« On aura beau faire, on n’empêchera pas que Massenet soit un des diamants les plus étincelants de notre écrin musical. Nul musicien n’a joui autant que lui de la faveur du public… » Camille Saint-Saëns-1913.

Rachel Willis Sørensen © Olivia Kahler
Les attentes étaient grandes, mais revoilà Thaïs de Jules Massenet, cette comédie lyrique en trois actes et sept tableaux, sur un livret de Louis Gallet inspiré étroitement du célèbre roman d’Anatole France paru en 1889. Le compositeur écrit sa musique, si fournie en mélodies séduisantes, dans laquelle on dira même que “l’acuité de la description psychologique par la musique est prodigieuse“. Une partition qui constitue son quinzième ouvrage car il a l’écriture facile, le dernier enfant d’une fratrie si nombreuse (douze !), mis au piano dès les 6 ans avec pour professeur maman. On n’oublie pas qu’il eut une vie de jeune bohème désargenté, parti vers la capitale à 17 ans, vivant de petits boulots mais qui sera Premier Grand Prix de Rome à 21 ans en 1863. Et très envié de sa réussite dès la trentaine amorcée.
Créé à l’Opéra de Paris en 1894, l’opéra Thaïs y fut régulièrement représenté, mais d’abord restructuré, remanié pour reparaître le 13 avril 1898, version définitive, avant de disparaître de l’affiche à partir des années cinquante. Auparavant, l’ouvrage fut à l’affiche en janvier 1893 à l’Opéra-Comique d’où sa classification nécessaire de comédie. Cinq ans plus tard, il est créé au Théâtre du Capitole, mis régulièrement à l’affiche durant un demi-siècle avant de disparaître ou presque. La musique de Massenet n’est plus à la mode, à part Manon ou Werther.

Jules Massenet, 1880, photo de Pierre Petit. Gallica-BnF
C’est Hervé Niquet qui est en charge de la direction musicale de cette nouvelle production, des musiciens de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse et du Chœur de l’Opéra national du Capitole. Tous, nous avons encore en mémoire son Platée de Rameau, ici même. On remarquera l’absence d’ouverture mais par contre, des préludes et intermèdes servant de transition. Les pages symphoniques sont relativement nombreuses. Elles dépeignent des paysages, suggèrent des rêves, méditations ou visions. L’orchestration permet une coloration orientalisante en adéquation avec le livret, évidemment – jusqu’à quatre harpes ? – . Normalement, un groupe nombreux est placé derrière la scène et crée des effets spéciaux judicieux grâce à l’alternance avec la fosse.

Thaïs – Teatro Regio Torino © Ramella e Giannese
Côté Théâtre, le tout est entre les mains de Stefano Poda. Pour la mise en scène, les décors, les costumes et les lumières et, pour compléter jusqu’à la chorégraphie, mais oui. Poda est en train de laisser plus que ses marques au Capitole. Remember, son tout récent Nabucco, son Rusalka…, Mais on se doit de s’attarder sur l’argument. Tout d’abord, l’existence de Thaïs est attestée par de nombreux récits grecs et romains. Comédienne et courtisane d’Alexandrie, elle va renoncer aux plaisirs de ce monde sur les injonctions du cénobite rédempteur (moine vivant en communauté) nommé Paphnuce, et se laisser enfermer dans un couvent d’Antinoé où elle meurt quelques années plus tard. Gallet va transformer Paphnuce en Athanaël et abandonne la versification classique conventionnelle pour une prose rythmée qu’il appelle “poésie mélodieuse, ou mélique“. Soulignons que l’un des mérites du librettiste réside bien dans le fait d’avoir su tirer une action dramatique d’une œuvre mystique et psychologique, sans pour autant rendre l’ambiance dite sardonique qui imprègne fort tout le roman.

Hervé Niquet © Henri Buffetaut
Ainsi, avons-nous bien un opéra qui se déroule dans le désert égyptien de la Thébaïde et dans la ville d’Alexandrie. On est au IVè siècle ap-J.C, alors que le christianisme est devenu depuis quelques siècles la religion officielle de l’empire. Dans le désert, vivent dans des cabanes au bord du Nil, des communautés éparses de moines cénobites, vouées à la pénitence et à l’austérité. Le paganisme est toujours présent cependant, et à Alexandrie, cohabitent les représentants de toutes les philosophies et de toutes les croyances de l’Antiquité classique considérées par les chrétiens comme malfaisantes et diaboliques.
Avec ce sachant, nous voilà avec un moine cénobite Athanaël, le baryton-basse Tassis Christoyannis, qui revient dans sa communauté, et avoue à ses compagnons, et au vieux moine Palémon chanté par la basse Frédéric Caton, qu’il a une image qui le hante depuis sa jeunesse séculière, celle d’une courtisane, Thaïs, la soprano dramatique Rachel Willis-Sørensen, et qu’il s’est mis en tête de la sortir de son milieu, telle Vénus, fait de luxe et volupté. En un mot de l’aider à se convertir. Nous sommes dans l’Acte I, premier tableau.
Deuxième tableau : À Alexandrie, ville dans laquelle règnent richesse et vice, il a toujours pour ami, un certain Nicias, jeune philosophe sybarite, le ténor Jean-François Borras, qui se trouve être l’amant du moment de Thaïs et partage la vie dissolue de la courtisane. Maquillé et parfumé par deux esclaves, Crobile et Myrtale, Thaïs Raï-Westphal et Floriane Hasler, Athanaël va pouvoir assister au banquet et autres réjouissances qu’Athanaël, sollicité par Thaïs, refusent, toutes. C’est décidé, il doit l’aider à se convertir, coûte que coûte.

Tassis Christoyannis © Valeria Isaeva
Acte II : Premier tableau, nous sommes dans la maison de Thaïs. Mais, voilà que celle-ci se rend compte qu’elle vieillit, aussi et que cette vie l’ennuie de plus en plus. Là, se situe l’aria la plus célèbre de l’opéra si ce n’est des vingt-cinq ouvrages lyriques de Jules Massenet, et il y a concurrence. Thaïs est en plein doute. C’est alors qu’Athanaël survient pour mener à bien son entreprise mais, durant un instant, le voilà fortement troublé par le climat voluptueux entretenu. Il se ressaisit, et ne réussit qu’à effrayer la courtisane. C’est là que se situe la célèbre “Méditation de Thaïs.
Acte II : deuxième tableau : devant la maison de Thaïs. Avant l’aurore, totalement métamorphosée, Thaïs sort de chez elle. Convertie, elle s’offre à Athanaël pour accepter une vie nouvelle faite de prières et de pénitences. Il lui propose d’aller expier tout ce passé dans un ermitage tenu par mère Albine, en plein désert. Normalement, se situe ici un ballet qui se termine par le curieux “Cantique de la beauté“ chanté par Crobyle et Myrtale.

Jean-François Borras © Youness Taouil
Acte III : Premier tableau : Une oasis dans le désert. Thaïs est épuisée, Athanaël, pris de pitié. Elle est confiée à mère Albine, chantée par la mezzo-soprano Svetlana Lifar. Mais, plus le chemin jusque-là était-il douloureux physiquement, plus il est aussi éprouvant pour Athanaël, de plus en plus possédé par les démons de la chair, prenant conscience alors de ses sentiments à l’égard de l’hétaïre et surtout qu’il ne la verra plus.
Acte III: deuxième tableau : la Thébaïde. Des images voluptueuses et visions assaillent les pensées d’Athanaël, revenu auprès des siens. N’y tenant plus, il se précipite vers le couvent de mère Albine. Il veut même faire revenir en arrière Thaïs. « Dieu, le Ciel, tout cela n’est rien. Il n’y a de vrai que la vie de la terre et l’amour des êtres … »
Troisième tableau : Le jardin du couvent. Trop tard. Thaïs n’écoute plus le moine qui blasphème et hurle son désir. Elle expire en voyant “deux séraphins aux blanches ailes “ prêts à l’emporter vers les cieux. Athanaël n’a plus qu’à s’écrouler sur son cadavre.

Thaïs – Teatro Regio Torino © Ramella e Giannese
Ainsi deux destins se sont simplement croisés, à défaut de se rencontrer. Un peu comme le public, qui adhère, s’enthousiasme et le milieu des critiques et fins analystes qui “flinguent“ l’ouvrage. Mais le grand vainqueur, n’est-il pas Jules Massenet ?