Le 19 avril dernier, l’Orchestre national du Capitole recevait deux immenses interprètes, le chef d’orchestre Frank Beermann et le violoniste Frank Peter Zimmermann dans un programme intégralement consacré à Johannes Brahms. La France a effectivement renoué avec ce compositeur mal aimé au début du XXème siècle et devenu depuis l’un des piliers des concerts symphoniques.
Peu appréciée des Français dans la première moitié du 20ème siècle, considérée comme trop « germanique » (!) l’œuvre de Brahms inspirait à Debussy cette remarque ironique et désobligeante : « Fuyons, il va développer ! » Les goûts ont bien changé. Dès 1959, Françoise Sagan donnait à son roman devenu célèbre le titre Aimez-vous Brahms ?. Ce 19 avril, dans un programme consacré au compositeur allemand, Frank Beermann, grand habitué de la fosse de l’Opéra national du Capitole, démontrait l’intensité des liens qu’il a tissés avec les musiciens de la phalange toulousaine qu’il déclare considérer comme des amis ! L’un des grands concertos du répertoire romantique et une « crypto-symphonie » du compositeur hanséatique ont reçu ce soir-là l’accueil enthousiaste d’un public qui emplissait totalement la Halle aux Grains.
L’unique concerto pour violon composé par Johannes Brahms ouvre la soirée avec la participation du grand violoniste allemand Frank Peter Zimmermann, de retour à Toulouse après une longue absence d’une dizaine d’années. L’ampleur sonore, le sens du phrasé et des nuances, un legato chaleureux caractérisent son approche de la partition. Son entrée est précédée d’une vaste introduction orchestrale d’un lyrisme éblouissant. Dans cet Allegro ma non troppo initial, le soliste impose une éloquence musicale ample et généreuse. La cadence qui conclut ce mouvement impressionne par son imagination et l’intensité des contrastes dynamiques et expressifs.
Parmi les instruments à vents qui ouvrent l’Adagio, le hautbois expose avec une belle poésie le thème repris ensuite par le soliste. Rappelons que le grand virtuose de l’époque de la création de l’œuvre, Pablo de Sarasate, avait refusé de jouer ce concerto, considérant « absurde la longueur du thème confié au hautbois dans un concerto pour violon ! » Tout ce mouvement résonne ici comme une vaste méditation. Sa conclusion douce et sereine évoque un état d’apesanteur. L’enchaînement avec le thème rebondissant du final n’en est que plus saisissant. Le jeu croisé des interprètes traduit avec finesse et bonheur le caractère profondément hongrois (en fait tzigane) de l’écriture. Cette exécution s’achève sur une atmosphère de fête et de joie.
L’accueil chaleureux du public obtient du soliste non pas un, mais deux bis ! Frank Peter Zimmermann se lance d’abord dans une transcription hallucinante du célèbre lied de Franz Schubert Der Erlkönig, (Le roi des aulnes). Commise par le violoniste, altiste et compositeur morave Heinrich Wilhelm Ernst (1812-1865), cette transposition abracadabrantesque semble avoir été conçue pour un violoniste possédant dix doigts à sa main gauche ! Outre sa virtuosité, Frank Peter Zimmermann conserve néanmoins l’émotion de l’œuvre originale. Il conclut sa prestation avec la Sarabande de la Partita n° 1 en si mineur de Johann Sebastian Bach. La paix retrouvée !
La seconde partie de la soirée permet à la plupart des mélomanes de découvrir une œuvre rare au concert. Il s’agit de la transcription pour grand orchestre symphonique, effectuée en 1937 par Arnold Schoenberg, du Quatuor pour piano et cordes n° 1 en sol mineur opus 25, initialement écrit par Brahms pour violon, alto, violoncelle et piano. Schönberg, grand admirateur de Brahms, inventeur de nouveaux procédés de composition, place ici son talent au service de son prédécesseur. Certes, il agrémente son orchestration d’instruments parfois « exotiques », comme certaines percussions (notamment le xylophone, le tambourin, le glockenspiel…). Il en utilise d’autres, comme les cymbales, de manière « décalée ». Néanmoins, cette transcription respecte le style d’écriture de Brahms et cette orchestration, assez fidèle à l’original, est parfois surnommée “La cinquième symphonie de Brahms”, lui qui n’en a composé que quatre !
Après l’Allegro initial thématique aux développements élaborés, l’Intermezzo (Allegro ma non troppo) se présente comme un Scherzo avec Trio central. Fiévreux et inquiet, ce mouvement est agrémenté de multiples solos instrumentaux, notamment de clarinette, de cor, de hautbois, tous magnifiquement exécutés ici. L’Andante con moto s’écoute comme un lied avec néanmoins certaines démonstrations d’héroïsme. Le final, Rondo alla zingareze (Presto) sonne comme improvisé. La musique tzigane si chère à Brahms explose ici avec exubérance. Petit clin d’œil de Schönberg, un passage « de chambre » est réservé aux seuls instruments à cordes de l’original, un violon, un alto et un violoncelle. Sans piano que Schönberg accusait de parfois couvrir les cordes dans les exécutions de la partition originale ! Frank Beermann dirige cette partition complexe, mais si pleine de sève, avec une énergie, un enthousiasme admirables.
Le public, mais aussi les musiciens, lui réservent une ovation chaleureuse. Signalons que le chef allemand sera de nouveau présent à Toulouse au cours de la saison prochaine, notamment pour y diriger Le Vaisseau fantôme de Richard Wagner. A bientôt, maître !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole