À Toulouse, l’exposition du Musée Saint-Raymond «Le mystère Mithra» s’intéresse au culte dont fit l’objet ce dieu dans l’Empire romain.
Fruit d’un partenariat, dans le cadre d’un programme de l’Union Européenne, entre le Musée royal de Mariemont en Belgique, le Musée archéologique de Francfort en Allemagne et le Musée Saint-Raymond, une exposition dédiée au dieu Mithra est actuellement présentée à Toulouse. Objet d’un culte très surprenant dans l’Empire romain entre le Ier et le Ve siècle, Mithra est une figure méconnue du grand public mais qui captive les chercheurs depuis plus d’un siècle. Or, depuis quelques décennies, l’archéologie et le réexamen des sources anciennes ont permis de réévaluer les connaissances à ce sujet.
L’exposition exhibe de nombreux objets et sculptures venant de toute l’Europe, notamment les magnifiques sculptures de Sidon (Liban) venues du musée du Louvre, ou l’impressionnant groupe sculpté de Nida (province de Germanie Supérieure) conservé au musée de Francfort. Certaines sculptures n’ont jamais été exposées en France ; les recherches récentes sont illustrées par des objets issus des fouilles réalisées à Angers, en 2010. Des origines orientales de Mithra jusqu’à la disparation du culte, le parcours permet de pénétrer au cœur des sanctuaires qui lui étaient consacrés et de faire connaissance avec ses adeptes.
Dieu très ancien issu des mondes iranien et indien, Mithra est l’une des principales divinités du zoroastrisme, religion pratiquée par certains peuples de l’Iran oriental et d’Asie centrale. La première mention écrite le concernant se trouve dans un traité d’alliance proche-oriental daté du XIVe siècle avant notre ère. En langue iranienne, le nom de Mithra signifie «contrat». Mithra est donc un dieu juge, qui apporte prospérité et abondance à ceux qui tiennent parole, et punit ceux qui trahissent.
C’est, semble-t-il, depuis l’Asie Mineure que le dieu Mithra atteint l’Empire romain au Ier siècle. On suppose que Rome aurait absorbé, en même temps que Mithra, certains concepts de ce monde gréco-oriental, mais il n’est toutefois pas possible d’établir une filiation directe entre le culte romain et les vénérations plus anciennes de Mithra en Orient.
À Rome, le polythéisme n’était alors régulé ni par un Livre, ni par des dogmes mais par le respect de rituels sous la forme de gestes et d’actes inscrits dans la tradition, loin de toute notion de foi ou même de superstition. Les Romains s’attachaient à vivre en paix avec les dieux afin de s’assurer un destin favorable ; désireux de préserver cette harmonie avec le divin, les individus et les autorités intégraient à leur panthéon, en fonction de leurs nécessités, des dieux étrangers «voyageurs» comme Esculape, le dieu de la Médecine, importé de Grèce suite à une épidémie. D’autres dieux étrangers, tels Mithra, étaient vénérés à Rome sans accéder à la même reconnaissance: cantonné au cadre privé, leur culte relevait de la liberté individuelle, sans caractère officiel ou public bien que réglementé et soumis à autorisation.
Le dieu est représenté portant une tunique plissée, un pantalon bouffant et un haut bonnet de feutre, traditionnellement associés aux peuples de cavaliers d’Iran et d’Asie centrale. Dans l’Empire romain, l’image de Mithra associe à ces éléments orientaux un visage imberbe et juvénile, une chevelure bouclée rappelant les représentations d’Apollon ou d’Alexandre le Grand. Non spécifique à Mithra, cette iconographie correspondait en réalité à l’image de «l’Oriental». Le bonnet phrygien permettait alors d’identifier les personnages venus d’Orient, comme Attis, ou encore Cautès et Cautopatès, les deux porteurs de torche qui accompagnent le dieu.
Le récit du mythe nous est parvenu par les images sculptées, gravées ou peintes sur des supports variés, qui mettent en scène des figures bien identifiables, comme le montre cette exposition. Généralement découpé en quatre scènes, le mythe débute par un épisode «pétrogène», c’est à dire «né d’une pierre»: le dieu est montré jaillissant d’un rocher, nu bien que déjà coiffé du bonnet phrygien et souvent déjà armé et déjà encadré des deux dadophores, Cautès et Cautopatès.
Le deuxième épisode du récit est celui du pacte: Sol, dieu du jour, envoie un corbeau messager à Mithra lui ordonnant le sacrifice du taureau. L’épisode suivant, le plus représenté, est le sacrifice du taureau (tauroctonie): Mithra a capturé le taureau et le transporte dans une grotte où il procède au sacrifice – plusieurs animaux sont ici souvent présents: un chien, un serpent, un scorpion, parfois un lion. Le récit s’achève avec l’alliance de Sol et Mithra se serrant la main et partageant un banquet, avant l’ascension de Mithra au ciel.
Le parcours de l’exposition nous apprend que les temples dédiés à Mithra (mithréums) étaient souvent implantés dans des structures déjà existantes (bâtiments artisanaux ou commerciaux, sous-sols d’édifices publics ou d’immeubles), certains pouvaient toutefois être élevés sur des terrains vierges et d’autres intégrés dans de grandes demeures rurales (les villae). Édifiés par la communauté des adeptes, ils étaient bâtis à partir de matériaux peu coûteux (bois, terre, etc.), leur taille réduite indiquant qu’ils accueillaient un nombre limité de fidèles. Se différenciant des autres temples du monde romain, les mithréums évoquent la grotte, lieu central du récit mythologique, et sont généralement semi-enterrés ou installés en sous-sol – certains sanctuaires ont même été aménagés dans de véritables grottes. Quand ils sont bâtis en élévation, les murs demeurent aveugles afin d’obscurcir l’espace.
Le lieu d’accomplissement du rituel était un espace théâtralisé: murs et banquettes colorés, imitant parfois le marbre ; voûte ou plafond orné de motifs étoilés renvoyant à la dimension cosmique du mythe ; des lampes à huiles, assemblées en lustres ou disposées sur les banquettes, sur de petits autels ou dans des niches, produisaient des jeux d’éclairage dans une pénombre rappelant la grotte dans laquelle Mithra mit à mort le taureau.
Les visiteurs de l’exposition peuvent entrer dans une évocation de ce sanctuaire, où ils sont accueillis par les statues des deux dadophores, à l’image de gardiens du temple qui pouvaient accueillir les adeptes: Cautès, levant la torche, Cautopatès, abaissant la sienne. Élément principal du culte, l’image de la tauroctonie dominait le long espace central, souvent associée à une représentation de la naissance de Mithra.
Constituées d’un petit nombre d’adeptes, les communautés finançaient l’entretien du sanctuaire. Si plusieurs d’entre elles pouvaient coexister sur un même territoire et entretenir des contacts, ces communautés restaient autonomes. Sans autorité centralisée, chaque groupe d’adeptes s’organisait à sa manière, certains prenant la forme d’associations reconnues par les pouvoirs publics. Les communautés se formaient souvent dans un cadre professionnel, entre soldats d’une même légion, entre fonctionnaires, comme ceux de l’office des douanes, entre artisans ou commerçants, entre employés d’une même structure.
Les images de rituels mithriaques souvent décrits comme brutaux par les auteurs chrétiens de l’Antiquité tardive pourraient pourtant ne correspondre qu’à des simulacres de gestes, reproduisant symboliquement certains épisodes du mythe. Le caractère non officiel du culte explique les fermetures régulières des sanctuaires. Au IVe siècle, la reconnaissance du christianisme par le pouvoir impérial coïncide avec une forte et rapide diminution de la construction des sanctuaires consacrés à Mithra comme, apparemment, de leur entretien.
De nombreux mithréums sont également abandonnés à cette époque. Aux frontières de l’Empire romain, ce sont les peuples «barbares» qui semblent être à l’origine des actions violentes à l’encontre des sanctuaires mithriaques. Dans ces régions frontalières, où Mithra demeurait fortement associé à l’armée romaine, briser les images divines constituait sans doute un acte belliqueux fortement symbolique. En 392, l’empereur Théodose décide l’interdiction des cultes païens…
Jérôme Gac
pour le mensuel Intramuros