Pierre Bessière, enseignant-chercheur en virologie à l’Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse a publié en juin 2021 sa BD « La grippe, un virus, des canards et des hommes » chez Edp Sciences, dans la collection Carnet de labo. Les dessins sont signés de l’auteur et illustrateur Yohan Colombié-Vivès. Cette bande dessinée est présélectionnée pour la 13ème édition du Prix Le Goût des Sciences 2022 (récompense créée par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche). Rencontre avec Pierre Bessière, auteur de la bande dessinée.
Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire cette BD ?
Il y a deux éléments. D’une part, j’ai toujours aimé écrire depuis que je suis tout petit. Avant d’opter pour un cursus scientifique, j’ai beaucoup hésité avec un cursus littéraire, mais finalement, je suis parti en science et je ne le regrette pas. Mais il y avait toujours cette volonté d’écrire qui était dans la tête. D’autre part, la recherche, c’est un milieu enclavé dans lequel nous écrivons des articles qui sont publiés dans des journaux scientifiques en anglais avec des formules compliquées. Moi-même, si je lis un article sur un domaine que je ne connais pas, par exemple sur un autre virus ou pire sur la bactériologie, parfois, je ne comprends rien et c’est dommage. Au final, on vit dans sa bulle et on parle uniquement avec des personnes du même milieu. C’était frustrant pour moi. Le fait d’écrire une BD sur la grippe me permet d’écrire, car cela me plaît, mais aussi pour me défrustrer en rendant la chose accessible à tous.
Cette BD, n’est-elle pas une manière ludique d’expliquer certains procédés scientifiques ?
Oui. J’ai voulu écrire cette BD avant que tout le monde parle du Coronavirus. Lorsque j’étais en train de l’écrire, nous étions en pleine pandémie. Les gens ont été surpris d’apprendre que le coronavirus pouvait muter. Mais dans un sens, c’est normal, un virus de la grippe comme le coronavirus par définition mute. Quand un virus infecte une de nos cellules, ceux qui sortent sont légèrement différents. Ainsi, en écrivant ce livre, je me suis dit qu’il y avait des choses dans lesquelles il fallait insister un peu, car elles sont méconnues. Donc, il faut aller mieux expliciter le fonctionnement.
Pourquoi avez-vous choisi de traiter le virus de la grippe et pas un autre agent infectieux ?
Il y a plusieurs raisons. L’avantage de la grippe est que nous avons des dizaines d’années de recul dessus en termes de recherche. Donc, il y a moyen d’en faire quelque chose de précis et de très juste en écrivant un livre sur ce virus. Ces agents infectieux sont extrêmement passionnants, parce que nous avons tendance à directement penser à la grippe aviaire, porcine, ou humaine. Alors que ces virus, ils infectent des centaines d’espèces animales différentes. Il y a aussi les oiseaux aquatiques qui sont les réservoirs des virus, mais cela peut passer par les baleines, phoques, fourmiliers, cochons d’Inde, etc. Cela fait qu’il y a tout un réseau de virus qui au fil des siècles s’est tissé entre les espèces. Nous avons eu quatre pandémies dues à un virus grippant depuis le début du vingtième siècle. C’est certain qu’une autre pandémie arrivera un jour, peut-être demain, dans 10 ou 50 ans. Là où je veux en venir, c’est que nous avons des virus importants en santé humaine, animale et publique. C’est un peu l’exemple type de la maladie zoonotique susceptible de causer une pandémie et qui est impacté par les activités humaines. Donc, c’est l’exemple parfait pour faire de la pédagogie sur les maladies virales et sur les zoonoses en particulier.
À l’écriture de cette BD, s’est-il imposé rapidement à vous de vulgariser des termes scientifiques afin de faire comprendre de tous ?
Il a fallu trouver le juste milieu. Il y a des mots qui sont compliqués et que j’ai utilisés. Par exemple, antigène, polymérases. Pour d’autres termes, j’ai pris quelques libertés, mais à chaque fois, j’ai essayé d’avoir un fond scientifique relativement solide quitte à rendre le message moins clair par moment. Cela permet que la lecture soit appréciée à la fois par quelqu’un qui a un bon cursus scientifique et par une personne qui ne l’a pas.
Est-ce important pour vous d’expliquer de manière humoristique comment les virus se reproduisent, pourquoi ils mutent et comment s’en protéger ?
Je pense qu’il est dur de faire une bande dessinée scientifique sans apporter un petit d’humour. Le dessin, il est présent à la fois pour bien expliciter un concept. Par exemple, si on parle de chromosome ou de fragment d’ARN, c’est plus intéressant de se le visualiser avec du dessin. Lorsqu’on parle de mutation, c’est agréable d’avoir des dessins un peu humoristiques pour inciter la lecture. Sinon, autant écrire un livre sans illustrations et qui touchera moins de gens.
Au total, combien de temps vous a-t-il fallu pour l’écriture de cette BD ?
Cela a pris un an.
Cette BD, se destine-t-elle aux plus jeunes comme aux plus âgés ?
Oui. À partir du collège, un élève peut lire cette BD. Pour être plus précis dès la 4ème.
Pour vous, serait-ce une satisfaction si des professeurs d’SVT proposaient à leurs élèves de lire votre BD pour mieux comprendre le fonctionnement d’un virus ?
Ces dernières semaines, nous avons eu des stagiaires de 3ème, une nouvelle doctorante et une stagiaire de master 1. Tout le monde a lu la bande dessinée. Pour les personnes que je forme, je leur laisse le choix, soit, je leur imprime des articles en anglais ou ils vont mettre plusieurs jours à les lire sans en comprendre la moitié, soit, ils lisent la BD. C’est moins précis, mais ils vont mieux retenir et ils seront ce qu’est un virus de la grippe dans les grandes lignes. Je trouve que c’est un bon moyen de pédagogie pour des étudiants qui veulent faire un petit de science.
Avez-vous pour projet de réaliser d’autres BD en lien avec la science ?
On a pu entendre beaucoup de choses sur « qu’est-ce qu’un test PCR ?« . Aussi, il y a eu beaucoup de débats sur la chloroquine sur son efficacité. Il a aussi été abordé, la question de « qu’est-ce qu’un essai clinique ?« . J’aimerais bien exploiter ces pistes en faisant le même travail que j’ai effectué sur la virologie en appliquant le même procédé, mais cette fois-ci de manière plus générale sur le fonctionnement de la recherche médicale, scientifique et sur la gestion d’une pandémie.
La sortie de cette nouvelle BD est prévue pour quand ?
Je l’espère dans quelques mois.
La grippe, un virus, des canards et des hommes • Edp Sciences