La première de Richard Wagner, la deuxième de Richard Strauss. Elles sont au programme de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse, ce cher ONCT pour un concert hélas non public et diffusé cependant en LIVE sur les réseaux sociaux et You Tube, ce samedi 6 mars à 18h. Il sera disponible en streaming jusqu’au 19 avril 2021. À la direction, c’est le jeune chef allemand Thomas Guggeis, âgé de 24 ans, qui officie.
Thomas Guggeis © Matthias_Baus
Thomas Guggeis, encore une de ces jeunes pousses bourrées de talent qui vient diriger les forces plus que vives de notre orchestre de renommée internationale. Il a été assistant d’une gloire de la direction d’orchestre, exerçant toujours, un certain Daniel Barenboim. Il fut pianiste-répétiteur au Staatoper de Berlin. Durant la saison 20-21, dans cette salle mythique de Berlin, le jeune homme va diriger le Vaisseau fantôme, Tannhaüser, Hansel et Grëtel, Salomé, ni plus, ni moins !! Et cela fait déjà plusieurs années qu’il dirige des opéras, et quels ouvrages !
Orchestre National du Capitole © Dominique Viet
Tristan et Isolde, Prélude et Mort d’Isolde
L’ouvrage fut créé le 10 juin 1865 à Munich, au Théâtre de la Cour, en présence du roi Louis II de Bavière, Hans von Bülow à la direction. Sa gestation fut longue puisque commencée dans les années 40. « Comme je n’ai jamais goûté le vrai bonheur que donne l’amour, je veux élever à ce rêve, le plus beau de tous les rêves, un monument dans lequel cet amour se satisfera largement d’un bout à l’autre » écrivait Richard Wagner à Franz Liszt le 16 décembre 1854. Le compositeur a 40 ans.
Il va lire toutes les versions littéraires alors disponibles. Ce n’est qu’au cours de l’été 57 qu’il va entamer les esquisses en prose et aussitôt après attaquer la versification, car Wagner écrit musique et livret de ses opéras!! Partition achevée le 6 août 1859. Puis, six ans d’attente avant que les impossibilités scéniques ne soient alors résolues.
L’effectif est celui d’un grand orchestre avec environ 80 musiciens, tous pupitres confondus.
De Wieland Wagner, fils de Richard, au sujet des partitions : « Pour une compréhension totale d’un ouvrage de Wagner, on doit toujours se référer à la partition elle-même, parce qu’il a écrit exactement ce qu’il voulait, non seulement à travers les indications scéniques, mais surtout dans la musique qui dit tout par elle-même. Si on lit ce qui est dit, si on écoute la musique, toutes les analyses deviennent pratiquement inutiles car tout est là : on peut discuter sur la signification de tel ou tel détail, mais la seule réalité est la musique de Wagner et les mots tels qu’il les a associés à la musique. D’une certaine manière, c’est une énorme prétention que de vouloir analyser une œuvre de Wagner, c’est comme de discuter de la signification de la vérité. Si on comprend la musique, si on la sent, si on lit le texte, il n’y a pas grand chose d’autre qu’on ait besoin de savoir !… »
Quant à Richard Strauss, qui va nous occuper avec son poème symphonique le plus connu de lui mais sûrement aussi, de tous les poèmes symphoniques, son fameux : Ainsi parlait ou parla) Zarathoustra, il considérait que Wagner avait mis un point final divin à toute la musique romantique par l’accord le plus parfaitement orchestré de toute l’histoire de la musique, ce fameux accord de Tristan que d’aucuns considèrent comme les prémices du modernisme musical, plutôt “dissonant“ pour l’époque, geste sonore spectaculaire de ce début d’œuvre à la partition si extraordinaire. Comme dans la plupart de ses œuvres, Wagner utilise ici aussi, le procédé du leitmotiv ou thème conducteur, les principaux étant annoncés dès le Prélude – tendez donc bien l’oreille ! – Prélude qui trace par avance les grandes lignes du drame.
Quant à à la Mort d’Isolde , le sublime Liebestod, littéralement “mort d’amour“, qui clôt l’opéra, c’est l’incomparable lamentation d’Isolde qui est ici remplacée par un tissu musical dans lequel on retrouve aussi les leitmotive concernant l’Invocation à la nuit, le Chant d’amour, le Regard, Tristan blessé. L’hymne final de la Mort se fait entendre tandis que termes nocturnes, mélodies de bonheur et d’extase se gonflent en flots irrésistibles avec le Chant de la Mort. La montée du Désir se dessine une fois encore, inachevée, le drame se concluant sur trois accords…définitifs.
Richard Strauss par Fritz Esler en 1998. Le musicien a 34 ans
Also sprach Zarathustra
Introduction
De ceux du monde de derrière
De l’aspiration suprême
Des joies et des passions
Le chant du tombeau
De la science
Le convalescent
Le chant de la danse
Chant du somnambule
Le fait que la littérature ait exercé une influence aussi fondamentale sur la musique du XIXè siècle n’est pas un hasard. En effet, le XIXè fut véritablement un siècle de lecture, et tout compositeur qui se respecte se devait de cultiver également la littérature. Strauss, tout comme Wagner, acquit lui aussi au cours de sa longue existence, une culture littéraire impressionnante. Goethe n’avait aucun secret pour lui, tandis que les écrits de Friedrich Nietzsche côtoyaient dans sa bibliothèque ceux d’Arthur Schopenhauer bien que le compositeur se contentât d’en prendre connaissance plus que de se lancer dans quelque analyse de fond. La réflexion philosophique n’était pas de son ressort.
C’est ainsi qu’il voit dans Ainsi parlait Zarathoustra, publiée en 1892, une œuvre qu’on ne lit plus guère maintenant, un poème littéraire dont la lecture lui causait avant tout un “plaisir esthétique“. En 1895-96, lorsqu’il décide d’en tirer un poème symphonique, son but n’était donc pas de traduire la pensée philosophique de l’écrivain en musique. Il reprend en effet les titres des chapitres du livre pour les différentes sections du poème musical mais la raison première de ce fait, c’est comme une concession faite au public qui pouvait comme s’intéresser principalement à ce que le compositeur voulait lui “dire“ avec son œuvre programmatique. Avouons que cette idée ne concerne sûrement pas davantage le public actuel que celui d’autrefois ! Et, soyons rassurés, il n’est absolument pas utile de connaître la prose, disons-le, passablement hermétique du philosophe, pour goûter pleinement les émotions que la musique de Strauss peut susciter en nous.
On peut penser de même que le contenu philosophique de l’écrit n’a pas passionné particulièrement le compositeur, plus fasciné sûrement par la seule dimension visionnaire. Il la captera d’ailleurs de manière fort saisissante dès l’Introduction, avec ce formidable lever de soleil traduit par l’orchestre au complet, dans un ardent ut majeur couronné par un plein jeu d’orgue. La plupart des auditeurs l’ont dans l’oreille depuis le film 2001 : L’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick. Richard Strauss dirigera lui-même la création de l’œuvre à Francfort le 27 novembre 1896
Peut-être se sentait-il aussi attiré par le personnage de Zarathoustra, celui qui tourne le dos au monde des humains pour trouver la sagesse dans une absolue solitude. Mais, la fin des ouvrages symphoniques à programme approche et Richard Strauss va abandonner le genre pour retrouver son statut de figure de proue de l’art moderne avec ses deux opéras défrayant la chronique alors en ce début de XXè naissant, Salomé d’abord en (1903-05) suivi d’Elektra (1905-06), deux tsunamis musicaux, à l’évidence.