L’après-11 mai ou le dé-confinement progressif de la population après le Covid-19 marque encore un temps de retard pour l’ensemble des restaurateurs et des commerçants toulousains, dont l’activité ne devrait reprendre pleinement qu’à la rentrée. Thomas Fantini, maître restaurateur, Claire Castan, gérante de la Chocolaterie familiale Castan, le chef Simon Carlier ou le caviste Pascal Penchenat qui a repris la cave Magnum, nous font partager leur vision de la crise et les perspectives d’avenir dans leur métier.
Thomas Fantini
Thomas Fantini, gérant de la Compagnie des Pergos, vous êtes à la tête d’une PME régionale qui fédère plusieurs établissements de restauration. Qu’est-ce qui a changé dans votre quotidien professionnel ?
TF : Bien sûr, ça a été très violent. Mais il n’y a pas eu de temps mort.
Il fallait assurer la continuité commerciale et administrative. Nous n’ouvrirons pas avant juillet je pense pour être prêts au maximum. On avait un peu anticipé cette situation et j’étais inquiet de ce qu’il se passait au niveau international. Dès le confinement en Italie, on a parlé avec les équipes (un peu plus de 80 salariés). Le personnel devait être protégé. 95% de nos salariés sont au chômage technique et 5% en chômage partiel. Tout de suite, nous avons participé à l’initiative solidaire Belle Gamelles et soutenu la Banque alimentaire pour dépanner le maximum de monde possible. On a décidé d’être fidèle aux fournisseurs. Ils ont écoulé leurs stocks et on les a mobilisés pour Belle Gamelles notamment. Naturellement, ils ont répondu présent. On a une cuisine au MIN (Marché d’Intérêt National) . Il s’est également impliqué dans la démarche. Au niveau du traiteur, on a tous les reports d’événements à gérer. On a un million d’euros de pertes chez Skandi & Pergo traiteur et un impact sur le Chiffre d’affaires de 2,5 millions d’euros pour le Groupe. On envisage une réouverture en septembre sur l’aspect traiteur et pas avant 2021 pour le secteur événementiel, qui était notre fer de lance. On essaye de se remettre en question en permanence et on ne s’interdit rien du moment que cela ne perturbe pas notre ADN, une restauration locale et de qualité.
Que mettez-vous en oeuvre pour pérenniser votre activité ?
TF : On avait pas mal de projets en cours comme celui de la Cité des Start-up en septembre, on se positionnait sur un appel d’offre du MEETTT (regroupant sur un même lieu un centre de convention et des halls d’expositions ndlr) en juin, un projet à Montaudran… On continue à travailler sur ces dossiers-là. Nos gammes de produits sont prêtes et nos établissements vont valoriser au maximum le marché régional. On digitalise en interne et en externe, pour développer l’expérience client. L’humain est la base de notre métier. Si on met de la digitalisation, cela ne doit pas casser la convivialité.
On a pérennisé nos actions solidaires locales, grâce à nos partenariats avec la Banque alimentaire qui soutient le Secours populaire, la Croix-Rouge. Ces ONG agissent avec une cinquantaine d’associations locales donc notre implication a du sens. C’était important pour nous d’être présents et on ne le voyait pas autrement, ça a fédéré les équipes. Ils étaient à fond. Pour nous, cette solidarité fait sens avec notre cuisine. Nous n’avons pas de structure pour ça, simplement l’envie et l’évidence de devoir être là.
On a fait un whattsapp des équipes avant le confinement : on les challenge, on leur propose des formations, de la gym en ligne, tous les chefs font des recettes, on les partage. Quasiment 100% des gens on voulut s’investir parmi nos collaborateurs. On travaille aussi sur le traitement des déchets, dans une logique de produits bio et de développement durable. On a aussi un partenariat avec la Ligue contre le Cancer… Tout continue.
Quelle vision portez-vous sur votre métier après le confinement et comment comptez-vous vous développer ?
TF : La suite, on la travaille sur l’humain car c’est l’essentiel. Notre priorité est de protéger les équipes, on a des nouvelles cartes, de nouveaux plans de table, des masques de protection floqués. Un E-shop avec paniers repas, cave à vins et épicerie fine, avec livraisons sera proposé courant mai. Nous ne voulions pas nous inscrire dans ce que fait tout le monde. Ce sera du 100% local. C’est notre ADN. Bon, pour la fève au chorizo, spécialité de la maison, la fève est le seul produit que l’on a pas toute l’année et donc qui n’est pas locale mais à part ça, aucune entorse. On a des grandes terrasses, à Labège, à Lardenne…
La Région est très présente pour nous accompagner. Beaucoup de produits sont labellisés Sud de France. On travaille avec eux depuis un an. Sur nos nouvelles cartes, quasiment 100% des produits seront labellisés Sud de France. 400 produits sont ainsi labellisés dans la Région. Ce serait dommage de ne pas faire vivre nos producteurs et fournisseurs, nos restaurateurs. J’entends beaucoup de polémiques sur la manière dont ont été montées certaines opérations. N’empêche, je préfère être aux côtés de ceux qui agissent. Maintenant, il va falloir se bouger et arrêter de critiquer à tout va.
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Les Champions – Epicerie fine
Simon Carlier, vous êtes le patron du restaurant gastronomique Solides, du Bistrot Garonne, et de l’épicerie fine Les Champions ouvert en Octobre 2019 aux Carmes. Comment vivez-vous cette crise sanitaire et qu’est-ce qui a changé dans votre quotidien professionnel ?
SC : Solides s’est retrouvé à l’arrêt. Mon chiffre d’affaire est donc au point mort pour le restaurant. On a 12 salariés au total sur l’ensemble des structures. Tout le monde est au chômage partiel. Sur l’épicerie fine, on a mis en place tout le matériel de protection nécessaire : des masques, des gants, du gel. On a laissé les Champions ouvert et pour permettre aussi de préparer des plats en livraison. Nos propositions changent tout le temps. À partir de cette fin de semaine, je proposerais via Solides des plats dressés, un peu plus gastronomiques et faire un joli menu pour les clients. Comme on était à l’arrêt et dans une situation grave – on a eu aussi la chance de pas avoir un pic épidémique à Toulouse – l’initiative solidaire Belle Gamelles m’a permis de me rendre utile. J’ai toujours eu cette sensibilité-là. Avant le confinement, je participe en cuisinant pour Féerarissime (événement caritatif du Rotary ndlr), qui reverse ces gains à l’association Hôpital Sourire et je suis parrain de l’école de Thierry Marx « Cuisine mode d’emploi » qui aide environ 12 personnes réinsérées à chaque session. Elles passent 8 semaines à l’école et 3 semaines en stage avec nous notamment.
On sent que les clients sont en demande mais j’ai peur de rouvrir trop vite, dans un climat anxiogène où les gens craignent de se rendre au restaurant. Si les serveurs sont en tenues de chirurgie, que les gens sont à 4 mètres les uns des autres, moi je ne suis pas un hôpital ou un parloir. Dans ces conditions, cela risque d’être très compliqué et financièrement pour appliquer les mesures dans un établissement à 25% de ses capacités, donc tant au plan économique, qu’au niveau de la convivialité.
Que mettez-vous en oeuvre pour pérenniser votre activité ?
SC : Il va falloir apprendre à vivre avec ce virus. Je me suis lancé à corps perdu pour les soignants, et pour les personnes en grande précarité alimentaire comme les étudiants. Nous ne sommes pas là pour les nourrir mais bien pour leur apporter du réconfort et leur montrer un peu de considération. Nous sommes entourés de plus de 150 bénévoles qui se relaient pour servir 500 repas par jour. Une vingtaine de personnes préparent les plats avec Belles Gamelles. Nous travaillons dans les locaux de Cuisine Mode d’emploi, avec les meilleures normes d’hygiène possibles. On aimerait monter un grand repas caritatif pour permettre d’appliquer « cuisine mode d’emploi » aux personnes atteintes de trisomie 21.
On a aussi mis en place un financement participatif sur tudigo.co pour que toutes les bonnes volontés participent à leur manière au projet Belles Gamelles. L’association est reconnue d’utilité publique depuis le 1eravril 2020. Le temps que tout se remette en place, on va avoir de gros besoins financiers pour pallier aux besoins des personnes précaires et on ne va sûrement pas s’arrêter maintenant.
Comment envisagez-vous votre métier après le confinement et par quelles actions ?
SC : C’est l’après confinement qui va être compliqué. J’ai ouvert Solides il y a 7 ans et je vais me retrouver endetté comme au premier jour. Il va falloir reconstituer un stock et mettre en place des mesures dont on ne sait pas encore grand-chose. Sur le bistrot Garonne, on a un an d’exercice, on a dû se mettre en place, on avait tout redémarré, on allait faire une super saison. Nous devons maintenant attendre une possible réouverture. On a mis en place de la vente à emporter. De manière confidentielle auprès des clients qui nous connaissent. Livrés à l’entrée de l’immeuble. On a trouvé les contenants adaptés, faciles à réchauffer. On va avoir des menus du midi à une vingtaine d’euros jusqu’à des formules dégustations avec 5 plats à 50 euros, on réfléchit sur des accords mets/vins.
EPICERIE FINE LES CHAMPIONS
50, rue Pharaon – 31000 Toulouse
du mardi au samedi • de 11h à 15h et 18h à 20h
Tel : 05 61 38 51 63
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Castan Chocolatier
Claire Castan, vous êtes gérante d’une entreprise familiale Avenue St Exupéry à Toulouse. La marque Castan Chocolatier existe depuis 1989. Comment vivez-vous cette crise sanitaire et qu’est-ce qui a changé dans votre quotidien professionnel ?
CC : J’ai 5 salariés en ce moment. Depuis mars, l’une de mes salariées est coincée à Los Angeles mais devrait rentrer bientôt. J’ai arrêté ma production de fabrication, située au même endroit depuis 30 ans près du magasin de vente et de la base arrière également. La chocolaterie fait environ 150 m2. L’activité repose sur deux saisons phare dans l’année, Noël et Pâques, principalement les 15 jours qui précèdent. Avec le Covid-19, nous n’avions pas assez de visibilité. Je ne savais si on allait être davantage confinés. J’ai demandé qui était volontaire ou non pour rester travailler. Je ne voulais pas obliger les gens à venir s’ils ne le souhaitaient pas. Les 3/4 de mes confrères ont fermé pendant tout le confinement. J’ai mis en place les précautions sanitaires, du télétravail entre ma vendeuse et ma comptable. Pour Pâques, j’ai préparé le site internet en refondant les livraisons, l’expédition et le retrait sans contact à la fenêtre de la chocolaterie ! Les commandes sont récupérées, sans contact via une sonnette. Cela a continué. J’ai travaillé beaucoup sur la communication digitale. Comme tout le monde était là la semaine du 12 avril, on a rempli toutes les commandes. C’était chouette ! Cela fait 3 semaines que les chocolatiers travaillent activement pour être à jour. Comme j’avais récolté assez de masques par des amis, que je demandais le port des masques au personnel, j’ai équipé les salariés et leurs familles. En tant que TPE, je prends la responsabilité de tout ce qui arrive, je me sens très responsable de mes employés.
Que mettez-vous en oeuvre pour pérenniser votre activité ?
CC : Je gère les livraisons, les commandes par internet, les clients qui viennent nous voir sur place. J’ai restreint les horaires, on déjeune sur place à tour de rôle pour respecter les précautions sanitaires. Garder l’activité avec tous les protocoles que ça suppose, le stress quotidien des gestes barrière, c’est épuisant. Après Pâques, j’étais épuisée. Nous avons plus de 600 commandes sur le site Internet qui n’avait jamais aussi bien marché, 120 livraisons, on ne pouvait plus assurer sans aide extérieure. Donc nous avons appelé un restaurateur pour nous aider.
J’ai une perte de CA du dé-confinement jusqu’à avril de moins 10%. Je m’en sors bien car j’ai été créative. A partir des consignes et de notre compréhension des choses, il faut savoir innover. Les restaurateurs de l’Avenue ont continué à servir les personnes âgées en livraison et à emporter, comme les clients habituels. Tout le monde peut leur commander le plat du jour. D’autres confrères ont perdu plus de 50% de leur Chiffre. J’ai gardé mon sang-froid. Ce qui m’a motivée, c’est d’offrir des moments de douceur dans ces temps difficiles. Ma mission a été accomplie. Dans les grosses structures, ce n’est pas une règle d’or. Certains étaient en panique et des figures médiatiques au plan national ont fait une pétition pour que tous les chocolatiers ferment à Pâques ! Vous imaginez ! Heureusement, cela n’a pas fonctionné.
Comment envisagez-vous votre métier après le confinement et par quelles actions ?
CC : Le dé-confinement, je veux le faire en douceur. Je ne changerai rien de ce que j’ai mis en place. Pour l’instant, je ne vais pas trop changer mes horaires. On va voir comment ça se passe. On a vu pour les livraisons de plus en plus d’activité. On se calera en fonction de ça. La fête des mères arrive. On a refait quelques moulages dans l’esprit de Pâques. J’ai un magasin à St Exupéry et j’aimerais rouvrir à St Georges dès que ma salariée sera rentrée en France. Mais sur des bases sereines. Avec les grosses chaleurs, on risque de fermer fin juillet-fin août. Comme mon activité est très saisonnière avec beaucoup d’heures supplémentaires, il faut que les gens puissent prendre aussi des congés. La récolte du cacao est étrangement parallèle à nos saisons, mais quand ce n’est pas le moment de planter la graine, il faut respecter le rythme naturel de la vie ! A l’image de cette période. Cela reste une leçon. Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Prenons le temps de respirer et de profiter de la nature. Je ne cultiverai pas le monde d’avant. Les citoyens ont désormais le pouvoir d’acheter les produits qu’ils veulent, à l’endroit de leur choix, pour créer des valeurs en étant bienveillant avec soi et avec les autres.
CASTAN CHOCOLATERIE
188 avenue Saint-Exupéry – 31400 Toulouse
du mardi au samedi • de 10h à 12h30 et de 14h30 à 17h
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MAGNUM, cave à manger, bistrot à vin
Pascal Penchenat, vous êtes le gérant de Magnum depuis juillet 2019, une cave à vin spécialisée dans le vin nature et bio associée à un restaurant de produits faits maison en circuits courts. Comment vivez-vous cette crise sanitaire et qu’est-ce qui a changé dans votre quotidien professionnel ?
PP : La nouvelle est arrivée très subitement un soir en début de service. On est tombés des nues. Mon cuisinier est en chômage partiel aujourd’hui. Nous ne sommes que deux. J’ai attendu 15 jours pour rouvrir la cave de bonnes conditions sanitaires, sur des horaires de 10h-13h, 4 jours par semaine et je me suis adapté aux heures des clients. J’ai communiqué et trouvé des solutions avec les commerçants du quartier. On s’est ainsi arrangé avec le restaurant Place Mage, pour ses horaires de livraison. Si les clients veulent du vin, le restaurant me les envoient. En plus, l’arrivée de ma fille est prévue fin août, donc il faut anticiper au maximum pour être prêt. Je vis donc cette crise comme un paradoxe : d’un côté, je suis content de ce dé-confinement pour voir les clients, de l’autre j’ai l’impression que personne ne sait quoi faire et que les gens ne sont pas assez vigilants.
Que mettez-vous en oeuvre pour pérenniser votre activité ?
PP : J’ai une double entreprise, restaurant et caviste. La cave fait partie des produits alimentaires, ce qui a permis de rouvrir assez vite et de vendre au comptoir pour que les gens puissent voir et acheter sans se croiser. On s’adapte au fur et à mesure. La partie restauration m’inquiète davantage. J’ai un local exigu, donc je ne veux pas faire à emporter.
On travaille souvent en direct. Les commandes baissent mais il y a beaucoup de travail à faire dans les vignes pour préparer les prochaines récoltes. On achète en quantité différentes, les transports sont réduits. Les achats groupés avec les autres cavistes.
Comment envisagez-vous votre métier après le confinement et par quelles actions ?
PP : Avec beaucoup de relativité. Pour certains, cela doit avoir de vraies vertus. J’espère que cela va modifier la consommation des clients, en privilégiant les circuits courts. Je reste positif dans l’idée que les gens doivent consommer différemment et faire fonctionner les épiceries qui offrent un service de qualité. Notre démarche est plus valorisée. Notre travail est différent de la grande distribution, puisque nous connaissons tous nos éleveurs et maraîchers. J’ai vu que les gens cherchent à quitter la ville. Il faut éviter l’hyper capitalisation en centre-ville ni l’extrême inverse, qui obligerait les gens à prendre leur voiture pour venir chez nous. Je dois moi-même prendre la voiture pour aller au travail en centre-ville du fait de la diminution des transports et des horaires. C’est agaçant. Dès que je vais rouvrir avec des amplitudes plus importantes, on sera là, y compris cet été pour les gens qui ne partiront pas en vacances. On va réadapter les achats auprès des vignerons qui nous allouent une quantité précise de bouteilles. On va faire appel à quelques agents commerciaux qui travaillent très bien sur le vin nature.
Je ne suis pas certains de rouvrir la restauration immédiatement. Je ne sais même pas comment vont faire les bars. Cela risque d’être compliqué. Les terrasses auront le vent en poupe. C’est utopique de penser que les clients vont manger avec des plexyglas devant l’assiette. Je n’ouvrirai que quand tout sera revenu à la normale. Je ne mettrai pas les gens dans des aquariums. Mon métier c’est le plaisir !
MAGNUM
5, rue Perchepinte – 31000 Toulouse
du mardi au samedi • de 10h à 13h et 17h-19h
Tél. : 05 62 17 95 48
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L’après-11 Mai pour les restaurateurs et commerçants toulousains / Partie 1
Restaurants • Cavistes • Epiceries Fines • Chocolatiers / Pâtisseries