INTERVIEW – Titiou Lecoq publie Honoré et moi aux éditions de L’Iconoclaste. Une biographie géniale et décalé !
Pour certains, Balzac est devenu un souvenir d’écolier douloureux. Des noms, des descriptions, de gros pavés à petits caractères à ingurgiter de force. Aussitôt avalé, aussitôt oublié. Balzac rejoint les auteurs chiants de la littérature française. Et si on était à côté de la plaque ? Balzac, chiant !? Titiou Lecoq nous prouve tout le contraire dans Honoré et Moi. Dans cette biographie, très documentée, l’auteur montre un Balzac totalement différent de l’homme présupposé fade. Balzac était un être optimiste qui rêvait de richesses et de gloire. Pour cela, il regorge d’idées, il ose, il entreprend. Rien ne semble l’effrayer. Lorsqu’il a un objectif, il ne s’en détourne pas. Et pourtant Balzac est l’homme le plus poisseux qui soit ! Les projets foirent les uns après les autres et les dettes s’accumulent. Balzac balaie tout cela d’une main légère et court déjà derrière de nouvelles lubies, persuadé que le bonheur et la réussite sont au coin de la rue. Et c’est sans fin !
Titiou Lecoq nous présente un homme haut en couleur, pas forcément beau, souvent de mauvaise foi, mais touchant et bosseur. Même dans la tourmente, il produit, il écrit et veut construire une œuvre, sa Comédie Humaine. Un homme qui observe le monde qui l’entoure, qui parle de sa relation maternelle avec force et émotion, qui gaspille l’argent qu’il ne possède pas en déco et froufrous. Il veut être aimé et visible. Défi gagné avec cette biographie où l’auteur le scrute dans les moindres détails, l’écoute et l’aime comme un ami intime.
Titiou Lecoq apporte une vision moderne, fidèle, amusante et digne de l’homme de lettres qu’était Balzac. Ce texte est à mettre entre toutes les mains des réticents qui croiraient encore que Balzac est barbant !
Entretien avec l’auteur de Honoré et Moi.
Dès les premières pages de votre biographie, vous écrivez : « Il existe un Balzac intime, humain, fatigué, qu’on pourrait nommer le plus gros poissard de l’histoire littéraire, et qui m’émeut et m’interroge infiniment plus que la figure du demi-dieu », pourquoi cette obsession pour Balzac ?
Je crois que les gens qui échouent m’émeuvent et m’intéressent infiniment plus que ceux qui réussissent. Or la vie de Balzac est, écriture exceptée, une belle série d’échecs. Et la manière dont il a toujours gardé espoir, cette façon d’y croire malgré tout, de penser que tout va s’arranger, que la prochaine fois est la bonne, me paraît extraordinairement humaine. C’est même presque une métaphore de la condition humaine. Il a un côté Sisyphe, Honoré.
Votre récit est drôle, moderne, fourni d’anecdotes savoureuses. Aviez-vous pour projet de montrer que Balzac n’est pas l’auteur morose qu’on présente aux écoliers ?
Alors oui, guérir les traumatismes des élèves de quatrième, c’est un premier objectif. Mais il y a aussi une volonté plus politique de démonter le mythe du grand homme. Ce mythe qui nous fait croire que certains humains sont supérieurs à d’autres, qu’il existerait une hiérarchie humaine. Je voulais montrer que Balzac était comme nous. Il échouait, il mentait, il était souvent de mauvaise foi, il en faisait des tonnes.
Balzac était un optimiste invétéré qui pourtant se plantait tout le temps. Aujourd’hui, il est l’un des plus grands auteurs classiques de la littérature française. Pensez-vous qu’il a enfin atteint son rêve ?
Il aurait été infiniment flatté de cette reconnaissance. Mais il aurait continué à se comparer à ses confrères et il aurait sans doute pesté contre le fait que Victor Hugo (même si c’était un de ses amis) soit presque tous les ans au programme du bac alors que lui, Balzac, n’y est jamais. Il reste cantonné le plus souvent aux classes de collège – c’est dommage. Et puis, est-ce que cela valait le coup d’avoir une vie aussi difficile, aussi dure, pour devenir un « classique » ? Balzac n’était pas Proust. Il était du côté de la vie. Il voulait le bonheur, davantage que la reconnaissance.
Dans les dernières pages, vous avouez : « Il y a fort à parier que finir ce livre provoquera une nouvelle dépression. Mais j’y ai réappris l’importance fondamentale de vivre au milieu des livres, d’écouter des voix de morts qui se parlent si intimement. » Balzac vous accompagne-t-il toujours ? Ou avez-vous de nouveaux projets – d’autres voix qui vous parlent ?
Il m’accompagne toujours. Et j’avoue que j’ai du mal à lui dire aurevoir. De manière générale, je fonctionne par obsessions. Or je n’ai pas encore trouvé de nouvelle obsession, donc je continue d’embêter mon entourage avec Honoré.
Titiou Lecoq, Honoré et moi, Ed. de l’Iconoclaste, 256 p.
Crédit : Titiou Lecoq © Ed Alcock