Passionné insatiable, collectionneur depuis son adolescence, Jean-Paul Barrès est depuis quelques années l’un des principaux galeristes d’art contemporain de la place toulousaine. Sa curiosité, ses parti pris et surtout son envie de promouvoir des artistes selon lui insuffisamment reconnus témoignent d’une vie où l’art est un viatique.
Le monde des collectionneurs d’art apparaît aux yeux du profane comme un univers mystérieux, possédant ses rites, ses règles et ses secrets. Depuis de nombreuses années, et davantage encore après l’ouverture de sa galerie toulousaine située place Sainte-Scarbes, Jean-Paul Barrès en connait tous les codes, tous les acteurs. Il pourrait tout à fait, tel La Bruyère dans ses Caractères, en dresser des portraits mordants. Parfois il se prête au jeu, si l’on prend le temps de deviser longuement avec lui, dans les murs de sa galerie éponyme, située dans ce « triangle d’or » que l’on appelle aussi « quartier des antiquaires », niché entre la Cathédrale Saint-Etienne, la rue Ozenne et les Carmes, où il passe quasiment toutes ses après-midis afin de recevoir férus éclairés ou simples curieux.
Ce jour-là, devant les œuvres de Serge Fauchier, présentées dans le cadre de l’exposition « Peintures récentes », Jean-Paul Barrès raconte le travail permanent, chronophage, de galeriste. « J’essaie de montrer des choses radicalement différentes lors de chaque exposition. Confronter des artistes renommés avec des artistes plus jeunes ou moins connus. Nous avons une grande responsabilité vis-à-vis des artistes. Il faut soumettre leurs œuvres aux regards des amateurs et des critiques. Promouvoir le travail d’un artiste ne se fait pas du jour au lendemain. Il faut leur donner de la visibilité par rapport à des institutions, des collectionneurs, encourager des éditeurs à leur consacrer des livres. C’est un travail gigantesque que je n’aurais jamais imaginé. Cela m’occupe nuit et jour » confie ce Toulousain né précisément rue du Languedoc, à une volée de pinceau seulement de sa galerie, ouverte voici deux ans en compagnie à l’époque d’un autre passionné d’art contemporain, Jacques Rivet, dans le sillage du travail mené par l’association Art Garonne que Jean-Paul Barrès préside. « Notre envie, depuis longtemps, était de pouvoir disposer d’un lieu qui nous appartienne afin d’exposer librement les artistes et les œuvres que nous aimons » expliquait-il lors du premier vernissage de la galerie pour une exposition consacrée, déjà, au peintre Serge Fauchier.
Une jeunesse française
« Depuis toujours, je suis fasciné par la capacité de l’être humain à créer. J’ai très tôt éprouvé une forme d’émerveillement par rapport à cela, cette faculté à créer sans copier » poursuit Jean-Paul Barrès. Issu d’une famille aisée et d’une fratrie de cinq garçons, il met très vite à l’épreuve sa curiosité pour les arts, toutes disciplines confondues. La peinture, la sculpture et la littérature peut-être plus encore que les autres. Les toiles de Sam Francis et l’œuvre littéraire immense de Fiodor Dostoïevski marquent les années de formation de cet adolescent qui connaît par ailleurs une scolarité difficile dans l’établissement le plus réputé de la ville rose, Pierre de Fermat.
Nous sommes alors au tout début des années 70, dans l’atmosphère post-insurrectionnelle des évènements de Mai 68 que l’historien Michel Winock décrira plus tard comme « les heures chaudes du gauchisme ». Pour l’heure nullement politisé, le jeune Jean-Paul Barrès n’est pas pour autant hermétique à l’air ambiant. « Comme tous les enfants de l’hypercentre de Toulouse, j’ai connu les bancs de Fermat. Enfin, jusqu’en seconde seulement. En fait, je rejetais le système. Je m’ennuyais énormément en classe, je ne comprenais pas ce que nous faisions-là, huit heures par jour, à apprendre des choses qui me paraissaient totalement inutiles. Comme ça ne me plaisait pas, je m’en ouvrais directement aux professeurs, y compris pendant les cours ».
Cette attitude, très moyennement appréciée du corps professoral de la prestigieuse institution du parvis des Jacobins, conduit Jean-Paul Barrès à aller voir ailleurs ce qui s’y enseigne. Il passe successivement dans les rangs des lycées Saint-Joseph, Le Caousou, Bellevue… D’établissement en établissement, Il traîne toujours la même aversion pour une éducation dont il ne saisit pas le sens, mais commence surtout en parallèle une vie de noctambule qui laisse peu de place aux obligations du quotidien. Un fil rouge, cependant, tout au long de ces années : l’art. Durant les vacances scolaires, de nombreux séjours à Paris lui permettent d’aiguiser son regard, non seulement dans les musées et les galeries qu’il court sans reprendre son souffle mais, chose plus rare pour un jeune homme de son âge, les ventes aux enchères. « J’ai commencé à acheter de petites choses, de petits objets, des pièces d’archéologie et d’autres datant du Moyen-Age. Je trouvais incroyable que tout cela soit arrivé jusqu’à nous. Il y avait de petites statuettes très anciennes, dont certaines parties étaient cassées. La cassure rend une œuvre presque plus attirante ». Convaincu de vouloir consacrer sa vie à l’art sous ses diverses formes, Jean-Paul Barrès entame des études de droit afin de devenir commissaire-priseur, une profession qu’il n’exercera finalement pas, s’orientant assez rapidement vers les métiers de l’immobilier. Une idée fixe : entrer dans la vie active pour assouvir dès que possible sa passion et y dédier le plus de temps possible.
Sacerdoce
Au fil du temps, Jean-Paul Barrès cultive un intérêt de plus en plus affirmé pour l’art contemporain. Dans les années 80, « une époque bénie pour cet art-là », il fréquente le Centre Régional d’Art Contemporain de Midi-Pyrénées, situé à Labège, et commence à se rapprocher de galeristes toulousains tels Jacques Girard ou Pierre-Jean Meurice. « C’est à cette époque que j’ai commencé à acheter un peu plus. C’est devenu rapidement addictif. Quand on voit une œuvre qui nous fait envie, c’est difficile de résister » avoue-t-il. En 1985, il découvre le travail du peintre et sculpteur d’origine catalane installé à Toulouse, Joan Jordà. « Ce sont les premières œuvres vraiment importantes que j’ai achetées d’autant que, lorsque l’on commence à collectionner, on se rend compte qu’une œuvre d’un artiste ne prend tout son sens qu’au milieu des autres œuvres de ce même artiste. Et l’idée de créer cette galerie, finalement, est venue de ce constat. Le fil, la logique, la complexité du travail d’un artiste ne peut se comprendre qu’à travers la diversité de ses œuvres ». En cela, Jean-Paul Barrès partage la vision d’un galeriste parisien pour lui très important et très proche, le célèbre Jean Fournier, disparu en 2006.
C’est dans sa galerie qu’il découvre Stéphane Bordarier, Didier Demozay, les historiques : Jaffe, Sam Francis, Joan Mitchell, Hantai…
Une autre rencontre sera capitale, celle du Toulousain Jacques Girard, dont la galerie de la rue des Blanchers fut jusqu’à son décès en 2013 un écrin bouillonnant pour la création contemporaine. « Il ne disait jamais grand-chose lorsqu’on le rencontrait. Il s’exprimait très peu d’une manière générale. Mais il avait la peinture dans la peau. J’allais au moins deux fois par semaine lui rendre visite dans sa galerie et, paradoxalement, nous avons beaucoup parlé, beaucoup échangé. Il m’a aussi présenté des artistes, comme Claude Viallat, Patrick Sauze, Piet Moget artiste et créateur du LAC -Lieu d’art contemporain – Sigean et Serge Fauchier . Jacques Girard est vraiment quelqu’un qui a compté pour moi » reconnait Jean-Paul Barrès. C’est grâce à lui, sans doute, que le projet de la Galerie Barrès a d’ailleurs mûri. Une galerie qui en deux ans seulement a accueilli plus d’une dizaine d’expositions, qu’il s’agisse de toiles, de sculptures, de photographies, donnant à voir des œuvres de Guillaume Herbaut, de Patrick Sauze, de Claudie Dadu, de Jeanne Lacombe, de Joan Jordà, de Vanessa Notley ou de Jacques Mataly, entre autres. « Une œuvre raconte une histoire. J’ai vraiment besoin de passer du temps à l’observer. A travers elle, nous pouvons voir des choses qui ne sautent pas immédiatement aux yeux. Cela peut prendre des heures » dit encore Jean-Paul Barrès. Son regard sur l’art contemporain, sur la façon dont on en parle dans les gazettes et les dîners en ville, n’élude aucun travers. « Je suis sans concession sur tout un pan de l’art contemporain qui n’a aucun intérêt, et qui fait que beaucoup de gens ne comprennent pas le travail que nous faisons. Mais la véritable question est aussi de savoir où se trouvent réellement les lieux, les supports où l’on parle d’art contemporain. Art Press ? France Culture ? Une fois sorti de cela, et en dehors des grandes expositions internationales, qui en parle, sinon pour évoquer des questions d’argent ? » Un courroux qui n’empêchera jamais Jean-Paul Barrès de conserver sa capacité d’émerveillement, sa curiosité inaltérable. « Regarder quelque chose et être touché, avoir des émotions qui permettent de sortir du monde qui est le nôtre, voilà à quoi sert l’art » conclut-il. L’art, un viatique, une raison de vivre…
Portraits Jean-Paul Barrès 1 et 5 : Pierre Beteille / Culture 31
Galerie Jean-Paul Barrès
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1 place Saintes Scarbes • Toulouse