Lire mes deux articles : Les Pigeons d’argile : un opéra en création mondiale au Capitole de Toulouse, et, A quand, le Théâtre NATIONAL du Capitole de Toulouse ?
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Voilà un ouvrage qui ne pouvait que soulever des humeurs contraires, mais elles ont été bien loin d’un tsunami, ou dignes d’un remake de La Bataille d’Hernani. L’énorme tâche accomplie est tellement palpable que l’on se prend à laisser de côté quelques points d’irritation. Le défi passionnant a été relevé, et gagné. A signaler tout de suite qu’il aurait fallu rendre presque obligatoire ! la lecture du Journal du Capitole afin d’éclairer les futurs spectateurs de cet opéra d’aujourd’hui. Je parle pour ceux qui ne pouvaient se rendre aux conférences données avant chaque représentation. Les différents articles et entretiens les auraient grandement aidés dans l’approche d’une œuvre pouvant se révéler déconcertante. Ceci précisé, le Théâtre ne peut pas tout faire, non plus. L’envie de découvrir est un stimulant qui ne peut être que personnel.
Ce fut, et le résultat est suffisamment convaincant pour cela, un formidable travail d’équipe, carrément impossible ailleurs pour d’autres productions. En effet, comment retrouver, à travailler ensemble, le compositeur, le librettiste, le chef, le metteur en scène, la scénographe et les acteurs-chanteurs. Pour ma part, ce qui me paraît bien le plus “excitant“, c’est cette adéquation parfaite entre ce que l’on entend et ce que l’on voit, entre l’écriture par Philippe Hurel de la partition d’orchestre et celle du chant, entre le choix des personnages et leur rôle et leur tessiture, entre le livret de Tanguy Viel et le déroulement de l’action sur scène, entre l’extrême précision de la mise en scène de Mariame Clément et le livret, entre les décors de Julia Hansen, les lumières de Philippe Berthomé, et même les costumes et la concision de la scénographie.
Tout avance de façon inéluctable. Préparé par Alfonso Caiani, les choristes chantent et jouent, sont remarquables, une fois de plus. Dans la fosse, les musiciens sont à la fête, si on peut dire, menés avec un enthousiasme évident et communicatif par le jeune chef italien Tito Cecceherini. Je ne sais si Philippe Hurel a pensé à l’impact de certaines percussions dont les fréquences dans l’aigu ne pouvaient que mettre à mal les tympans des musiciens tout proches, tous coincés dans la fosse. Heureusement, certains n’ont pas à jouer pendant qu’ils se bouchent les oreilles !
Si l’on peut être dérangé, agacé physiquement par certaines stridences dans les sons, on s’incline devant le travail du compositeur dans son approche très soignée du chant. Systématiquement, le chanteur peut exprimer son art sans avoir à passer par-dessus une rampe sonore. On n’est pas du tout dans le « plus fort l’orchestre, j’entends les voix ». Ils sont tous, alors, compréhensibles, et vivent leur personnage. Comme le dit Aimery Lefèvre, alias Toni : « Si des phrases montent dans l’extrême aigu, c’est toujours pour un effet psychologique en accord avec la situation du personnage, jamais par volonté de prouesse technique. »
Désolé donc pour les grincheux qui osent se plaindre de ne pas avoir compris les paroles, ce qui est globalement faux. Aucune bouillie pour aucun des chanteurs, même dans le parlé-chanté, et même pour la Commissaire de police alias Sylvie Brunet dont le débit voulu extrêmement saccadé, aurait pu mettre le plus à mal la compréhension de ses phrases. C’est le seul rôle d’ailleurs au niveau duquel quelques propos peuvent nous amener un sourire, un peu de détente ! Gilles Ragon n’a pas été épargné par Philippe Hurel !! Dans le rôle de Pietro, le père, dont le registre tout là-haut le rend encore plus émouvant dans sa supposée lâcheté effacée par le sacrifice. On est surpris agréablement par le choix des tessitures de chacun des protagonistes, et, au bilan, on se dit qu’il ne pouvait en être autrement.
On s’étonne et on adhère, quand on sent Toni, un baryton bien fragile d’allure basculer de la révolution à l’amour, quand Patty – Vannina Santoni – prend conscience que son ravisseur n’est autre que Toni, quand Charlie – Gaëlla Arquez – sent son amoureux s’éloigner petit à petit, quand Pietro se retrouve pris entre dénoncer son fils ou rester fidèle à ses principes, quand papa Baer – Vincent Le Texier – ne peut qu’agiter les bras pour exprimer ses émotions …une évolution dans la fameuse psychologie de chacun des personnages menée de main de maître par Mariame Clément.
On ne peut que louer aussi le travail des machinistes car en plus des cintres, il faut maintenant gérer les interventions des vidéos, les micros ! les effets de lumières…Pas un seul accroc durant les trois représentations auxquelles j’ai pu assister. Trois fois, oui, c’est un gros avantage pour apprécier un ouvrage dont on ne connaît rien auparavant. Aucune référence. Et qui rejoint ainsi les créations d’autrefois, quand le seul moyen de découvrir était d’assister en direct. Ici, une chose est sûre : Les Pigeons d’argile, c’est un opéra qui doit être vu, à la rigueur en DVD. Le support audio serait une hérésie.
Michel Grialou
photo © Patrice Nin