C’est seulement la deuxième édition, et le festival Supernova qui aura lieu au théâtre Sorano du 7 au 25 novembre a déjà ses aficionados : autour de six spectacles découvertes de la jeune création contemporaine régionale ou plus lointaine, et de propositions émergentes en apéritif, le Théâtre Sorano fait bruisser novembre comme un printemps. De quoi donner du peps à cette entrée dans l’automne.
Rumeur et petits jours © A.Piemme AML
Place aux jeunes
Donner sa chance à la jeune création théâtrale, défricher, repérer, donner à voir dans des conditions optimales les tentatives de nouveaux collectifs ou le talent naissant de jeunes metteurs en scène c’est une des envies et des missions que Sébastien Bournac directeur du théâtre s’était fixée dès le commencement de son mandat l’an dernier. Supernova is back donc, avec une intensité festive concentrée sur trois semaines, de quoi faire bouger les lignes de ce début d’automne où l’on aurait sinon tendance au cocooning sous le plaid. Les propositions s’enchaînent, jouées au rythme de tous les deux jours en moyenne, organisées autour de débuts de soirées consacrés à des spectacles plus frais, moins aboutis, en chantier (baptisés fort justement « Fragiles ») et des soirées coups de cœur en compagnie de spectacles jeunes certes mais déjà repérés pour leur qualité.
Regards croisés
Il y a donc un vrai plaisir dans cette programmation : assister en tout début de soirées à des spectacles où se noue pour certains la poursuite de l’aventure : les compagnies invitées ne sont pas forcément des débutantes et leur travail a réunit deux lieux en coréalisation pour le montrer. C’est le principe de ce premier axe du festival : donner un espace de visibilité à une proposition encore inachevée, à un projet, et ce en co-réalisation avec un autre théâtre partenaire. Il y a donc deux regards en amont qui ont jugé que la proposition pouvait être vue en l’état, à mi-chemin entre un début de création et des questionnements en actes. Une manière de mutualiser et de fonctionner en maillage qui dépasse le réseau local, car le Sorano s’est aussi associé à des festivals parisiens pleins de fougue, Impatience diffusé au 104 et à la Gaieté lyrique et Fragments à la Loge et au Carreau du temple.
Fragiles mais en devenir
Le premier spectacle, Bolando, roi des gitans est montré avec le théâtre Jules Julien. La compagnie Acétés vient du Lot et travaille sur des écritures actuelles engagées. Ce jeune collectif a confié à Gustave Akakpo écrivain togolais, l’écriture d’une sorte de western africain qui évoque le projet pharaonique de construction d’une boucle ferroviaire Abidjan/ Lomé par l’industriel français Bolloré, un chantier emblématique de l’exploitation de l’Afrique par ses anciens colonisateurs. Le spectacle suivant, L’éveil du printemps est une mosaïque de points de vue, ceux d’enfants et de jeunes sur le monde des adultes. Ecrit en 1891 le texte (qui a fait scandale à sa sortie mais est-ce encore le cas ?) a servi de support au travail de Sébastien Bournac et aux jeunes comédiens de l’Atelier du TNT. France 98 qui est présenté avec le CDCN – La place de la danse revient sur la victoire la plus célèbre de l’équipe de France de football en 1998 lors de la Coupe du monde. C’est une jeune femme, Natacha Steck qui plonge nos footballeurs d’alors dans les épreuves qui feront d’eux au terme de sept matchs initiatiques des héros inoubliables de notre mythologique sportive. A suivre, La rabbia – la Rage présentée avec le théâtre Garonne est une variation théâtrale coup de poing sur le film-manifeste de Pasolini sur la société de l’après-guerre. La metteuse en scène Sophie Lagier invoque comme sien « un théâtre engagé, qui cherche et qui interroge ». Médéa mountains proposé avec La Nouvelle Digue va plutôt chercher du côté de la narration autobiographique et interroge la mémoire individuelle d’Alima Hamel, chanteuse, diseuse et conceptrice de ce projet qu’elle a mené sous le regard extérieur d’Aurélien Bory.
D’autres pépites à découvrir
En soirée, la programmation se recentre sur des spectacles emblématiques d’une jeune création dont la vitalité puise non seulement dans les classiques réinventés ou les écritures exigeantes (Tchekhov, Lars Noren, Maeterlinck, etc) mais aussi dans l’actualité et les idéologies qui traversent nos sociétés contemporaines. La Mort de Tintagiles ouvre le bal : après une création remarquée l’an dernier, ADN où un groupe d’ados faisait face à sa propre violence, Yohan Bret interroge les frontières normées, les genres et notre rapport au temps qui passe dans une scénographie très plastique. Le texte de Maeterlinck, dramaturge et poète symboliste, auteur de Pelléas et Mélisande, a souvent décontenancé les metteurs en scène, Podalydès entre autres, et pour cause : Maeterlinck y plonge avec très peu de dialogues dans les méandres de l’esprit humain et son théâtre, sous l’apparence de contes pour enfants, remue de profonds questionnements métaphysiques. Rumeur et petits jours à la suite propose de son côté une lecture engagée du réel en abordant la pensée comme moyen de résistance. Raoul collectif est un groupe de cinq jeunes belges pour lesquels « le théâtre contemporain est du théâtre fait par des vivants pour des vivants » : les chroniqueurs de l’émission qu’ils représentent joyeusement au plateau vont dynamiter rapidement les attendus des directeurs de la chaîne. Plus sombre évidemment, Démons mis en scène par Lorraine de Sagazan va chercher l’être humain dans sa difficulté à vivre ensemble, dans son rapport à l’autre et dans sa capacité à exister de façon sociale, politique, sans consensus. Un théâtre « art du présent » comme elle le revendique. Nos serments creuse un peu la même veine, celle de la liberté de l’homme à faire sauter les carcans, à vivre en dehors des normes, en inventant de la nouveauté sur l’histoire des utopies des années 70. Dans R (Remplacer) le collectif Moebius invente une nouvelle forme de dialogue mise en scène par Sophie Lequenne sur un texte de Marion Pellissier elle-même comédienne, auteur et metteure en scène. Quant à Non ce n’est pas ça ! (Treplev variation) c’est une relecture de Tchekhov complètement actuelle où se reflètent bien des contradictions de notre monde contemporain.
On fera la fête aussi le 25 novembre pour fêter la clôture de ce Supernova et dieu sait si la jeunesse sied bien au teint de ce théâtre Sorano décidément porteur de dynamisme et d’envies nouvelles. Un théâtre qui s’ouvre et qui assume pleinement son rôle de découvreur.
Cécile BROCHARD
du 07 au 25 novembre 2017