À Toulouse, sous la direction de Frank Beermann, « Parsifal » de Wagner est mis en scène au Théâtre du Capitole par Aurélien Bory, avec Nikolai Schukoff dans le rôle-titre, et Sophie Koch, Matthias Goerne, Peter Rose.
Aurélien Bory est cette saison à l’honneur à Toulouse, où ses spectacles (reprises ou créations) sont à l’affiche de plusieurs théâtres (Théâtre de la Cité, Théâtre Garonne, Odyssud, etc.). Au Théâtre du Capitole, le metteur en scène toulousain s’est vu confiée une nouvelle production de « Parsifal », «festival scénique sacré» (Bühnenweihfestspiel) et dernier drame lyrique de Richard Wagner, disparu de l’affiche à Toulouse depuis trente ans. Créé au Festspielhaus de Bayreuth en 1882, « Parsifal » est le seul ouvrage que le compositeur conçut en tenant compte des spécificités et des possibilités acoustiques de cet écrin capable de présenter «une action qui met directement en scène les mystères les plus sublimes de la foi chrétienne». Assistant à une représentation à Bayreuth, Nietzsche constata: « »Parsifal » conservera éternellement son rang dans l’art de la séduction, comme le coup de génie de la séduction… J’admire cette œuvre, j’aurais aimé l’avoir faite.»
Auteur du livret, Wagner s’inspira de l’épopée médiévale « Parzival », adaptée au XIIIe siècle par Wolfram von Eschenbach, d’après la légende de Perceval et du Saint Graal telle que la raconta Chrétien de Troyes, au XIIe siècle, dans « Perceval le Gallois ». Un récit où le compositeur avait déjà puisé en 1850 pour « Lohengrin », opéra qui s’achève par ces mots adressés au cygne par le héros: «C’est le Graal qui m’envoie vers vous : mon père Parsifal en porte la couronne, je suis son chevalier, mon nom est Lohengrin». Entre « Lohengrin » et « Parsifal », Wagner a composé « Tristan et Isolde », « les Maîtres chanteurs de Nuremberg » et la Tétralogie. Il débuta l’écriture de son ultime ouvrage après avoir achevé le « Crépuscule des dieux », dernier volet de « l’Anneau du Nibelung », créé lors de l’inauguration du théâtre de Bayreuth, en 1876.
Wagner s’est alors intéressé à d’autres versions et récits de la légende de Parsifal, dont il reprendra librement les grandes étapes, et s’est appuyé sur un manuscrit du XIVe siècle, « Mabinogion », pour cerner les personnages principaux de son drame lyrique. Pourtant détracteur du grand opéra français, il a emprunté à ce genre hexagonal un découpage en vastes tableaux où s’insèrent de majestueuses scènes de cérémonie. Il s’inspira également de la philosophie de Schopenhauer et du bouddhisme pour parachever dans cette œuvre sa réflexion sur le combat entre le bien et le mal.
« Le Monde comme volonté et représentation », d’Arthur Schopenhauer, a irrigué les œuvres de la deuxième partie de la vie de Wagner. Le musicien s’est alors attaché à concevoir des héros aux contours fidèles à la philosophie de l’auteur : l’homme doit renoncer à tout désir temporel pour atteindre, au terme de cette douloureuse épreuve, la rédemption et la félicité. C’est ainsi que dans son ouvrage « Opéra et Drame », Richard Wagner s’attaque au genre de l’opéra considéré comme un pur produit de la mode et du goût aristocratique, où la musique prend le pas sur le drame: «L’erreur dans l’opéra consiste en ce qu’on a fait d’un moyen de l’expression (la musique) le but, et du but de l’expression (le drame) un moyen», écrit-il. Wagner entend replacer l’homme au centre du drame à travers le récit des mythes universellement partagés et donc immédiatement assimilables par tous, où les rapports humains sont exposés dans un dénuement éloigné des formes conventionnelles.
Wagner conçoit sa Tétralogie et ses ouvrages suivants comme des créations où s’opèrent la convergence de tous les arts: musique, poésie, arts plastiques, théâtre, etc. Il considère toutefois la musique comme un art purement humain et l’envisage donc comme la mère du drame. Les symphonies de Ludwig van Beethoven sont la source de son inspiration pour la musique, dont la mélodie est propice à la fusion intime avec la poésie qui en traduit les sensations. Sur cette plage symphonique, les acteurs du drame s’expriment par des déclamations, ou parfois des airs, et des thèmes se développent. Les drames lyriques de Wagner sont en effet irrigués par des leitmotivs qui sont des motifs mélodiques, harmoniques ou rythmiques, servant à caractériser un personnage, une idée ou un sentiment.
Entre paganisme et christianisme, la partition de « Parsifal », teintée d’ésotérisme et de bouddhisme, est porteuse d’un message universel mais quelque peu mystérieux. Traçant un chemin qui ouvre vers la Rédemption, à la faveur de rencontres et d’épreuves auprès d’une communauté de chevaliers en perdition ou dans le royaume de Klingsor et de ses Filles-Fleurs, la figure naïve de Parsifal évolue de l’innocence à la compréhension de l’Incompréhensible. Dans son voyage initiatique, le jeune homme croise la troublante et enchanteresse Kundry, à la fois baume et poison, union des extrêmes, grâce à laquelle il prend conscience de lui-même et de sa mission: Parsifal est celui qui apportera le salut à toute l’Humanité à travers son propre rachat. La prophétie le désigne en effet comme l’être «innocent rendu sage par la pitié» qui délivrera Amfortas de sa profonde et douloureuse blessure infligée par Klingsor, le chevalier exclu de la communauté du Graal à laquelle il déroba la Sainte Lance. Fils de Titurel et prêtre-roi du Graal, Amfortas veille au royaume de Montsalvat sur les reliques sacrées du Christ, rassemblées par son père avec l’aide de ses preux chevaliers: la lance qui perça le flanc du martyr et le calice (Saint Graal) dans lequel on recueillit son sang.
Ignorant tout de sa propre identité, Parsifal s’inscrit à travers sa quête de la Sainte Lance dans un processus de recherche intérieure, matérialisé par le récit de son voyage. La partition est ainsi très fréquemment traversée par la mesure à quatre temps, rythme de la marche. Comme le Hollandais du « Vaisseau fantôme », Tannhäuser, Lohengrin, Siegmund, Siegfried et Wotan, Parsifal est une figure wagnérienne du Wanderer, ce marcheur que les romantiques allemands ont transformé en personnage errant et à la poursuite d’un idéal souvent inaccessible. Cette quête intérieure est exprimée dans la partition par un tempo étiré jusqu’au flottement. L’écriture musicale associée au monde sacré de Montsalvat utilise la clarté d’un langage diatonique, alors que le royaume de Klingsor est un lieu dionysiaque où est déployée une harmonie chromatique. Sans rupture aucune, les changements d’atmosphères musicales se fondent dans une fluidité magnifiée par les qualités acoustiques de Bayreuth.
Pour sa mise en scène de « Parsifal » au Théâtre du Capitole, Aurélien Bory dit s’être intéressé à «la figure de Mani, le prophète perse. Mani est une figure qui propose également une relecture de la figure du christ. Un des fondements du manichéisme est de séparer le monde en deux : le royaume de la Lumière, le royaume de la Vie divine, où s’exprime ce qui est de l’éternité ; le royaume des Ténèbres, le royaume de la matière, le royaume des “morts”, où s’exprime ce qui est de l’espace-temps. Mani divise le monde entre les ténèbres et la lumière. L’idée de l’ombre et de la lumière traverse Parsifal, il s’agit davantage de leur accouplement, de leur nécessaire co-présence, de leur distinction, autant que de leur complémentarité.»
Le metteur en scène prévient : «J’ai voulu ainsi faire de Parsifal un théâtre d’ombre. Mais le théâtre d’ombre et de lumière que j’imagine est cinétique, il suit le parcours initiatique de Parsifal. Il suit aussi le rythme des transformations permanentes de la musique. Tout est toujours en mouvement dans la musique de Wagner. Les motifs se forment et s’éloignent, comme si nous étions toujours entourés des mêmes influences, des mêmes pensées, que nous cherchons à assembler autrement et dont nous tentons de trouver l’équilibre dans le mouvement. Rien n’est et tout devient. En ayant recours au théâtre d’ombre, c’est-à-dire à une forme ancestrale de représentation, j’ai voulu redonner à Parsifal une dimension mythique et universelle.»
À l’occasion de ces représentations à Toulouse, on annonce les retours du ténor autrichien Nikolai Schukoff (photo) dans le rôle-titre et de Sophie Koch (« Ariane et Barbe-Bleue ») dans celui de Kundry, servante du Graal. On attend également la basse anglaise Peter Rose, pour interpréter le chevalier Gurnemanz, et le baryton allemand Matthias Goerne, sous les traits du roi Amfortas. Directeur musical de l’Opéra de Chemnitz, Frank Beermann fera à cette occasion ses débuts dans la fosse du Théâtre du Capitole, à la tête du Chœur et de la Maîtrise du Capitole, du Chœur de l’Opéra de Montpellier et de l’Orchestre national du Capitole.
Jérôme Gac
pour le mensuel Intramuros
Billetterie en ligne du Théâtre du Capitole