On est un brin chauvin, c’est sûr, mais on est très content d’accueillir à nouveau ce jeune chef japonais pour diriger ce concert de samedi 14 mars, au programme de choix, d’autant plus qu’il accompagne un jeune pianiste aux racines toulousaines pour qui nous avons quelque affection, osons le mot. Sur l’artiste, vous consulterez le lien donné plus loin. Quant au chef, voici quelques lignes mais on remarque tout de suite qu’il fut lauréat du Concours de la direction d’orchestre de Besançon en 2009, quatre ans après un certain Lionel Bringuier qui dirigeait un concert dans cette même Halle, ce lundi 2 mars, avec son orchestre le Tonhalle de Zurich. Abondance de biens, ou plutôt de talents ne……
Donc, ce 14 mars à la Halle, de retour de sa tournée au Pays du Soleil Levant, l’Orchestre National du Capitole va se plonger dans :
J. BRAHMS Concerto pour piano et orchestre n°1 en ré mineur, op. 15
R. STRAUSS Don Juan, poème symphonique, op. 20
R. STRAUSS Der Rosenkavalier (Le Chevalier à la Rose), suite (1946), op. 59
Né au Japon en 1979, Kazuki Yamada remporte ce Grand prix. Suite à un premier et exceptionnel concert avec l’Orchestre de la Suisse Romande en 2010, il est nommé Chef principal invité de la formation à partir de 2012/2013. Kazuki Yamada est également Chef principal invité de l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo depuis septembre 2014 ainsi que Chef principal du Japan Philharmonic Orchestra. Il est déjà régulièrement invité par de grandes phalanges et multiplie les fonctions dans son pays. En août 2012, il est appelé par Seiji Ozawa pour diriger une version scénique de Jeanne au Bûcher d’Arthur Honegger avec le Saito-Kinen Orchestra, ce qui lui vaut d’être invité pour diriger cette même œuvre à la Halle il y a quelques jours, et d’être acclamé. On sait qu’il la dirige à nouveau avec l’Orchestre de Paris à la Philharmonie en mars 2015.
Nous relations, il y a peu, notre impatience de savoir le sort qu’Adam Laloum allait faire de chacune des pièces qu’il avait mises à ses programmes donnés au Théâtre Garonne, le jeune pianiste étonnant son auditoire pratiquement à chacune de ses apparitions en concert que ce soit en récital ou comme concertiste. Pour le dire simplement, l’artiste ne joue pas qu’avec ses doigts déclenchant alors chez l’auditeur comme une sorte d’attraction. Jeu captivant car très singulier, interrogateur. « Jouer avec son cœur, c’est déjà pas mal. » a-t-il pu confier.
Un analyste de haut vol vous dirait : « Pourtant, il y a un mystère Laloum, qui émeut, fascine ou dérange, en tout cas impose le respect : plus il se produit, et moins on le connaît. Plus l’artiste se livre, et plus les ressorts secrets de son jeu se dérobent. »
Vous vous devez donc de consulter cette adresse qui vous apprendra beaucoup sur le pianiste et vous donnera aussi quelques clés sur ses choix délibérés d’interprétation. De cette “bio“, je retiendrai les quelques phrases suivantes : « Evidemment, l’époque dans laquelle nous vivons, exige une grande solidité mentale, mais Schumann est mort fou, Chopin était très dépressif, et je crois que pour être un bon interprète, il faut une sorte d’empathie, essayer de pénétrer dans le monde des compositeurs, cela demande beaucoup d’intelligence et de sensibilité. Les expériences de la vie (intérieure et extérieure) sont très importantes, elles font les interprètes que nous sommes. Il me semble que parfois, on perd le sens des priorités, la dimension artistique de notre métier, bien que nous ne soyons que des interprètes. »
Que je complèterai encore par ces clés, clés qui vous aident à mieux “rentrer“ dans telle ou telle de ses interprétations, liées à un besoin de sa part, semble-t-il, de modestie et d’effacement devant le compositeur. Des qualités que l’on ne retrouve pas chez tout interprète ! « …Je crois que nous aimons tous quand la musique est jouée naturellement, je fais donc tout mon possible pour préserver ce naturel, qui nous échappe si souvent et que l’on peine à retrouver. Un naturel déjà faussé à la base par nos connaissances et nos névroses…Souvent ce naturel n’arrive qu’après des heures de “prises de tête“ avec la partition, c’est un moment plutôt gratifiant dans le travail d’interprétation. »
Pour ce concert, c’est avec Johannes Brahms qu’il s’explique, compositeur qu’il connaît bien, lui ayant consacré un de ses premiers enregistrements. Ce sera donc le fameux Concerto pour piano et orchestre n°1 dont voici, plus loin, quelques mots.
Genèse du Concerto pour piano et orchestre n°1 en ré mineur, op. 15
D’une durée de plus de 45 minutes, c’est un très long concerto, il présente trois mouvements, Maestoso, Adagio, Rondo-allegro non troppo. Son élaboration fut longue et difficile. Les circonstances qui l’ont vu naître mettent en lumière la persévérance et le constant souci de perfection si caractéristiques du Maître. Mais, en même temps, elles sont l’image d’un des traits dominants du caractère du jeune Brahms à savoir un réel manque d’aptitude à la décision. Ce qui va lui causer nombre de déboires dans sa vie professionnelle mais aussi affective. On en trouvera d’évidentes marques dans son œuvre.
En avril 1853, âgé de bientôt vingt ans, il quitte sa demeure et une famille éplorée pour participer à une tournée de concerts organisée par le violoniste Reményi. Un mois plus tard, les deux compères arrivent à la cour de Hanovre où le violoniste prodige Joseph Joachim âgé de vingt-deux ans est Konzertmeister. Ce fut une rencontre déterminante, décisive pour J. Brahms, une amitié immédiate et pour longtemps. Elle sera le point de départ d’une deuxième rencontre toute aussi déterminante quand J. Joachim conduira notre compositeur à Düsseldorf chez les Schumann. Ces quelques lignes écrites par Robert Schumann à J. Joachim résument l’impression faite : « …on pourrait comparer
Brahms à un magnifique fleuve qui, comme le Niagara, se montre dans toute sa beauté lorsqu’il tombe, en chute d’eau, des hauts rochers, au milieu de l’écume, portant sur ses vagues l’arc-en-ciel, tandis que les rayons jouent sur ses rêves et que les voix des rossignols l’accompagnent. Je crois que Johannes est le véritable apôtre qui, lui aussi, écrira une Apocalypse, que de multiples pharisiens, pendant de longs siècles, seront incapables de déchiffrer. »
Robert Schumann a quarante-trois ans, Johannes Brahms juste vingt ans.
Clara n’est pas en reste qui note son émotion quand elle voit au piano « cet homme au visage intéressant, juvénile, qui se transforme complètement quand il joue, sa belle main qui triomphe avec aisance des pires difficultés (les propres œuvres de Clara sont très difficiles à jouer). »
Brahms se plaît chez les Schumann et malgré sa timidité, se sent rapidement à l’aise dans le cercle d’artistes que l’on côtoie chez eux quotidiennement. Des jours de fêtes qui vous font vraiment vivre, avouera-t-il. Hélas, cette félicité ne va pas durer. Le 27 février 1854, Robert Schumann se jette dans le Rhin, en réchappe mais le coup est terrible pour le jeune Maître. Pourtant, dans un nouveau déferlement de puissance créatrice, il termine la première version du très lyrique Trio op.8 en si majeur pour piano, violon et violoncelle.
En même temps, ce sont trois mouvements d’une sonate pour deux pianos (Clara Schumann et lui) que Brahms achève, « plus belle encore que son magnifique trio,» dira Julius Grimm, chef de chorale à Gottingen et ami. « Je l’ai souvent jouée avec Frau Schumann, mais je m’aperçois que les deux pianos ne suffisent plus, » écrira le compositeur. Il orchestre alors le premier mouvement pour en faire le morceau initial de sa première symphonie; et ce sera, finalement, pour un concerto pour piano. J. Joachim, est prié de donner son avis. Puis, ce seront à la suite, le Finale (Rondo) puis l’Adagio puis à nouveau le premier complétement remanié que le virtuose-compositeur-chef d’orchestre Joseph Joachim aura à juger. Il créera le concerto à Hanovre, le 22 janvier 1859 avec Brahms au piano. Les transformations seront incessantes pendant cinq ans.
Tout au long des trois mouvements, l’éventail émotionnel va de la tragédie la plus classique à la résignation pleine de dignité. L’ensemble est traduit par une écriture s’éloignant du genre traditionnel, les libertés prises choquant alors profondément à l’époque. La majorité des critiques parleront davantage d’une « symphonie avec piano obligé » que d’un concerto. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’instrument n’y est employé qu’en fonction de l’expression poétique de l’ensemble de l’œuvre, et qu’à aucun moment n’est faite une quelconque concession à la virtuosité pure, à la bravoure extérieure inhérentes par la tradition à ce genre d’œuvre.
Fin du premier mouvement avec d’insistants coups de timbales avant la coda passionnée, marquée pour les quatre dernières mesures par l’éclat des trompettes.
Le deuxième mouvement est un Adagio. Serait-il la traduction de la réaction de Johannes Brahms vis-à-vis des souffrances de Robert Schumann? Pourtant il écrit à Clara : « Je suis en train de faire un gentil portrait de vous sous la forme d’un adagio. » La toute première intervention du soliste est molto dolce e espressivo. Elle se signale par ses deux simples accords arpégés délicatement énoncés, empreints de beauté vivante, obsédante. Elégie, ou portrait? Les deux à la fois? Exprime-t-il la beauté du caractère de Clara Schumann?
Deux mesures de silence, et l’écriture pianistique devient plus ferme. La déroulement de la mélodie suggère, sans la moindre ambiguïté l’esprit du Benedictus (« Benedictus qui venit in nomine Domini »). Austérité et noblesse intérieure se dégagent de ces pages musicales empreintes de ces douces rêveries que l’on croirait improvisées, avec cette sombre passion qui émane des pupitres de cordes, ces trilles jaillissants, ces cinq coups de timbales de l’avant-dernière mesure, tout cela est bien le fruit d’une – déjà – complète expérience musicale et humaine.
Le rondo final est un Allegro ma non troppo qui va quelque peu détendre l’atmosphère. Comme dans de nombreux concertos classiques, c’est le piano qui énonce le thème principal. Le soliste est aussi chargé de présenter le premier couplet; le second est laissé aux cordes. Avec son énergie rythmique, le début du finale évoque une douleur tempérée par une solide volonté de vivre. C’est par son aptitude naturelle à la technique de la variation que Brahms va traiter l’ensemble de ce mouvement dans lequel les soli et les tutti sont distribués à égalité entre le piano et l’orchestre au rôle capital. On remarquera les développements dans lesquels le clavier et les basses semblent ne jamais devoir épuiser leurs forces. La vraie détente n’intervient, au piano, que dans la cadence quasi fantasia avec son postlude rêveur et les hautbois et bassons nonchalants. Tout cela constitue une excellente préparation pour une impétueuse coda qui ne fut pas, d’ailleurs, sans poser de nombreuses difficultés à son compositeur. Mais le but est finalement atteint : rigueur, passion, beauté profonde, telles sont les qualités premières du premier Concerto pour piano et orchestre de « L’homme du Nord ».
Richard Strauss : Don Juan – Poème symphonique, opus 20
Par une écriture orchestrale somptueuse, Richard Strauss s’empare de l’histoire de l’immortel séducteur Don Juan.
Ecrit à l’âge de vingt-quatre ans, Don Juan – 1888/89 – fait partie des très nombreux poèmes symphoniques écrits par le compositeur, surtout pendant les dix dernières années du XIXe. Avec Till l’Espiègle, ils sont reconnus comme ses deux plus grandes réussites orchestrales.
Richard Strauss adhère à l’idée de Franz Liszt : écrire de la musique instrumentale en s’inspirant d’un programme poétique qui donnerait forme à la composition. Assez du corset « exposition – développement – réexposition », le piège étant tout de même que l’auditeur ne se laisse accaparer par le programme, et en oublie d’écouter la musique. D’où, dans Don Juan, son abandon, s’en crier gare, du programme que d’aucuns pensaient déjà suivre jusqu’au bout en s’appuyant sur le livret d’un certain Mozart.
« Pour moi, le programme poétique n’est rien de plus que le moyen de créer une forme à travers laquelle ma sensibilité musicale s’exprime et se développe librement ; il ne s’agit pas, contrairement à ce que vous croyez, d’une plate description musicale de tel ou tel événement de la vie. (…) Celui que cela intéresse peut l’utiliser. Celui qui comprend la musique n’en a probablement pas besoin. »
A l’instar de Zarathoustra, Don Juan symbolise pour Strauss l’individu qui, fidèle à lui-même, suit son propre chemin contre vents et marées – une sorte de frère spirituel du compositeur, lequel devait défendre l’idée du poème symphonique face à une cohorte de conservateurs sceptiques.
Si le XIXe fut un siècle de lecture, tout compositeur digne de ce nom se devait de cultiver également la littérature. C’est ainsi que la culture littéraire de Richard Strauss était reconnue comme immense. Goethe en intégral, romans russes, traités historiques, Nietzsche, Schopenhauer, le domaine est vaste.
C’est le drame profond écrit par Nikolaus Lenau qui va inspirer ce poème symphonique, et non pas le livret de Don Giovanni. Une trentaine de vers en tout figurent en exergue au poème symphonique, et, sur un souhait du compositeur, sont insérés dans le programme du concert à la place de l’analyse.
Son héros n’est pas le banal coureur de jupons dont le châtiment sera la mort : Don Juan croise le fer avec Don Pedro, le frère de Donna Anna, dont le père a été assassiné par l’aventurier, et se laisse transpercer car : « Je tiens en main la vie de mon ennemi le plus acharné, mais cela aussi lasse, autant que la vie même. »
Le poème Don Juan comprend une série d’épisodes qui dépeignent, en les faisant évoluer autour de la figure centrale, les différents types de femmes devenues classiques. Strauss n’emprunte que quelques personnages au poème de Lenau : la comtesse, Donna Anna et la figure anonyme de la masquée; il y ajoute Zerline, la petite paysanne de l’opéra de Mozart. Trois idées, Désir, Possession, Désespoir pourront être traduites musicalement.
Musique simple et bondissante, l’attaque, allegro molto con brio, premier thème de Don Juan, exprime la fougue impétueuse du personnage principal, débordant d’énergie et d’optimisme, avide de conquêtes. On est loin du démonisme et du cynisme qui imprègnent le texte classique de Tirso de Molina ou de Da Ponte. Immédiatement après, la première victime fait son apparition par le violon solo : Zerline, toute pure et innocente, ou presque.
« Magie de la féminité splendide » peut-être, mais l’épisode ne dure guère car, assouvi, Don Juan ne ressent plus très vite que dégoût (un motif qui revient à la fin de chaque épisode traduit ce sentiment). Le voilà reparti à la chasse. La rencontre qui suit est plus importante : la comtesse, une nature aimable et exaltée. Le thème qui la symbolise est d’un lyrisme total et la harpe sollicitée incarne parfaitement la séduction toute féminine. Strauss développe à satiété cette scène d’amour. Mais le motif du dégoût est de retour ainsi que le premier thème, “Don Juan“, ou Désir.
L’épisode consacré à Anna fait suite. Comme Lenau, Strauss modifie considérablement le caractère d’Anna, figure orgueilleuse et vindicative comme la tradition le veut. Le personnage va inspirer au compositeur deux de ses plus belles mélodies : la première, exaltée, aux violoncelles et altos, la seconde mélancolique, est confiée au hautbois. Mais, même à cet instant, Don Juan est comme l’adversaire de son propre bonheur : d’où le second motif d’Anna qui reparaît, parodié encore et s’accompagnant de celui du dégoût. A cet épisode, très émouvant, succède un second thème “Don Juan“ : molto espressivo e marcato.
Possession, possession, les cors, ces instruments de la chasse et de l’aventure, nous le présentent conquérant toujours et en rajoutent encore à son énergie.
Mais l’homme ne parvient pas à oublier complètement Anna : aussitôt, musicalement parlant, nous nous trouvons devant une caricature du second motif caractérisant cette dernière. C’est pourquoi il souhaite l’oubli au travers des plaisirs du carnaval. Par la trompette avec sourdine, un accord en trois notes nous révèle dans quelle “mauvaise“ compagnie il se trouve. Et puis, soudain, Strauss se débarrasse du programme : motifs et thèmes s’entrecroisent à toute allure, s’enchevêtrent sauvagement. Seul, le motif d’Anna est parodié, et c’est là un détail chargé d’un sens profond, car c‘est bien d’elle que Don Juan est finalement le plus épris.
Pour clore, on sait déjà de quelle manière Don Juan meurt, mais dans la description du duel, le compositeur est réaliste : après une angoissante pause générale, c’est un bref accord en trois notes que perce un son dissonant à la trompette – en fa mineur. Sur un accord pianissimo en la mineur, suivent de lugubres trémolos des cordes, en descrecendo, suggérant la vie qui s’écoule, comme le sang de la plaie. Quelques sombres accords terminent le récit.
De Richard Strauss, au crépuscule de sa vie, les Suites de valses pour orchestre tirées de thèmes appartenant à l’opéra Le Chevalier à la Rose. Nous attendrons les quelques minutes offertes pour savoir quelle suite est finalement interprétée lors de ce concert, la dénomination pouvant se révéler confuse entre la Première suite, la Deuxième suite et…la Grande suite (celle-ci est normalement estampillée op.45), donc comme c’est, en principe, l’op. 46 !!
Michel Grialou
Orchestre National du Capitole
Kazuki Yamada (direction)
Adam Laloum (piano)
samedi 14 mars 2015
Halle aux Grains
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