« 12 years a slave », un film de Steve McQueen
Avec ce troisième long, après Hunger (2008) et Shame (2011), le britannique Steve McQueen nous ouvre grandes les portes d’un enfer, celui de l’esclavagisme. Il le fait au travers d’un récit authentique que l’on doit à Solomon Northup. Cet afro-américain, né libre en 1808, va être kidnappé grâce à un subterfuge. En effet, violoniste à ses heures, Solomon se voit proposé un contrat intéressant et accepte de suivre deux autres artistes. Après un repas bien arrosé, il se retrouve le lendemain pieds et poings liés en partance pour le Sud. Nous sommes en 1841. Dans une vingtaine d’années, la Guerre de Sécession règlera le problème de l’esclavage au niveau national, mais pour l’instant le Sud profite à plein de cette main d’œuvre corvéable à merci dans les champs de coton ou de cannes à sucre. Pendant douze années, Solomon va vivre sa condition d’esclave, ballotté et vendu de plantations en plantations. Comme un animal. C’est grâce à un charpentier canadien de passage (ici Brad Pitt, coproducteur de ce film) que Solomon va pouvoir avertir sa famille et ses amis. Sa libération est immédiate mais, malgré les efforts de tous, personne ne sera poursuivi, alors que les coupables sont parfaitement identifiés. Dès sa libération en 1853, Solomon écrit ses mémoires, intitulées Douze ans d’esclavage, et s’engage dans la lutte abolitionniste. Il disparaît des radars après 1857, année de sa dernière apparition publique. Qu’est-il devenu ? Comment est-il mort ? Deux questions qui à ce jour n’ont toujours pas de réponses, même s’il est permis d’échafauder des hypothèses plus que crédibles en pleine guerre civile américaine sur un sujet aussi sensible le concernant.
Porté par une distribution étincelante, au premier rang de laquelle le comédien britannique d’origine nigériane Chiwetel Ejiofor (Solomon) et l’acteur fétiche de ce réalisateur, Michael Fassbender, mais aussi Benedict Cumberbatch, Paul Dano, entre autres, ce film magnifique ne peut malgré toutes ses qualités que mettre mal à l’aise. Le silence sépulcral qui accompagne sa projection en salle en est le meilleur baromètre. Par quelle perversion de l’âme l’Homme en est-il arrivé à pareils comportements ? Cet article n’est pas le lieu d’en débattre, mais ce film met devant des scènes insoutenables telles qu’il ne peut que provoquer ce débat. Et surtout s’interroger sur la persistance de l’esclavage à notre époque dans certains pays africains, moyen-orientaux et indiens. Le tourisme sexuel et le travail clandestin, pour ne parler que d’eux, sont aussi des formes contemporaines de l’esclavage. Alors, si le comportement de l’Amérique est une honte à jamais gravée dans leur jeune histoire, ce qui se passe sous nos yeux aujourd’hui n’est guère moins honteux.
Robert Pénavayre