Une nouvelle fois, l’Institut Cervantes, à Toulouse, nous propose une excellente exposition photographique…et une totale découverte, celle du talent très vif de Benito Roman, chroniqueur, entre les années 1970 et 1980, de « La décade prodigieuse » ayant accompagné la création d’une nouvelle constitution en Espagne.

« La Vaqueria rue Libertad », lieu alternatif dans les années 1970. Photo Benito Roman
L’institut Cervantes nous propose, jusqu’au 30 janvier 2026, un voyage dans le temps, au cœur d’une révolution en cours en Espagne, de 1975 à 1985. Révolution politique avec la fin du franquisme et l’avènement d’un régime démocratique et révolution sociologique avec les frictions entre ce qui survit de la tradition catholique et l’explosion de mouvements contestataires et alternatifs. Ce tableau contrasté, voire heurté, on le doit à Benito Roman, photoreporter inconnu en France, dont on découvre avec plaisir le travail.

« Le miracle du samedi », en compagnie d’une voyante catholique et de fidèles. Photo Benito Roman
Le journaliste, qui a collaboré à de nombreux journaux et magazines espagnols (« El periodico de Madrid », « El Pais », « El Mundo », « Epoca »…) n’a pas pour vocation d’intervenir dans les multiples débats en cours alors. Il s’en fait néanmoins le témoin très actif, arpentant les rues de sa ville, Madrid, à la fois pour rendre compte des événements politiques (meetings et manifestations) et pour saisir, de façon intuitive, les changements de mentalité d’une population bigarrée. Les clichés en noir et blanc de Benito Roman sont souvent percutants et parfois tendres, qu’il s’intéresse aux personnalités publiques ou au commun des mortels. Il saisit ainsi, à contre-jour, un chômeur se tenant la tête alors qu’il est assis dans une salle d’attente. Sur les murs, une affiche annonce une « semaine de lutte contre la crise ». Plus anecdotique mais tout aussi parlante est la « nouvelle agent de police municipale » assurant la fluidité de la circulation. La jeune femme porte chapeau et jupe sombre très années 70. Le photographe se rapproche d’un Robert Doisneau ou d’une Sabine Weiss quand il montre une vieille femme balayant le trottoir devant sa porte, une petite fille se cachant les yeux de la main pour se protéger du soleil. Ou quand une femme traverse un terrain vague les bras chargés de courses. Au loin, sur les murs d’une bâtisse est annoncée la venue prochaine du Circo Atlas.

Première manifestation du Jour des fiertés à Madrid, en juin 1978. Photo Benito Roman
La vie qui bruisse, c’est vraiment dehors que Benito Roman s’en empare. A la sortie de la messe, un enfant de cœur apparaît derrière un voile de fumée : il amuse un copain clope au bec. D’autres gamins ont créé un chemin dans la poussière d’une placette. Ils disputent une course de capsules, jeu que les sexagénaires d’aujourd’hui, y compris Français, ont bien connu dans leur jeunesse. En pendant ce temps, le vieux monde bouge encore : chaque samedi, une voyante catholique et sa congrégation de fidèles déambulent en nombre sur une avenue. Ils rendent hommage à la supposée apparition de la Vierge des douleurs dans le domaine de Prado Nuevo.
Agrémentée de légendes très précises, l’exposition de Benito Roman se visite avec bonheur, à la fois passionnante historiquement et ludique photographiquement. Comme le condensé de ce que peut proposer le meilleur du photojournalisme.
Exposition « La decada prodigiosa. La Constitucion viva » de Benito Roman, jusqu’au 30 janvier 2026 à l’Institut Cervantes (31, rue des Chalets), Toulouse. Tél.05 61 62 80 72. Gratuit.

