Bénéficiant enfin d’un « Photo Poche », collection iconique, à la fois accessible et superbement réalisée, destinée aux plus grands photographes, Bernard Plossu, 79 ans, nous offre un nouveau voyage, tendre et rêveur, dans ses archives. Voyage à poursuivre avec un autre livre très réussi, « Mucho amor, les années andalouses ».
Son « Photo Poche », Bernard Plossu le dédie à « Françoise, (son) amour », à savoir la Toulousaine Françoise Nunez, rencontrée en 1980 lors d’un pique-nique chez Jean Dieuzaide, dont il partagea la vie jusqu’en 2021 quand la mort vint brutalement interrompre leur belle complicité. On retrouve celle qui fut aussi photographe en 1981, dos nu, chevelure déployée sur l’oreiller; en 1987, embrassant, les yeux fermés, leur fils Joachim ; la même année, sur un bateau, avec le Stromboli à l’horizon, ou encore en 1990, courant sur une plage andalouse, avec Joachim et sa soeur Manuela…
Autant d’images d’un bonheur intime et tellement universel que l’on retrouve dans un ouvrage particulièrement délicat, « Mucho amor », centré sur les années espagnoles du couple Plossu et de leurs enfants. Françoise Nunez renouait avec ses racines. Quant à son compagnon, il découvrait une « familia » très chaleureuse, « les ruelles qui sentent bon, les montagnes aussi belles que celles en Afghanistan, l’odeur du pain dans la rue en dessous… » Devenue Paquita, Françoise était « rayonnante de bonheur », rêveuse dans une ville blanche, maman attentive serrant dans ses bras ses petits, main dans la main avec eux sur le chemin de la plage, séductrice juvénile dans une robe à fleurs… Et Bernard Plossu, aujourd’hui veuf inconsolable, de lâcher : « Rien n’est plus fort que l’amour ».
Alternant portraits et paysages, en noir et blanc ou en couleur, saisis au vol avec des appareils rudimentaires, « Mucho amor » est une merveille de livre, que l’on doit à Lamaindonne, éditeur basé à Marcillac-Vallon, dans l’Aveyron.
Le monde de Bernard Plossu tel que nous le raconte le « Photo Poche », c’est aussi son fameux voyage mexicain, en 1966, effectué, version hippie, en compagnie de quelques amis. Sous un soleil écrasant, un bus est arrêté au bord d’une route poussiéreuse ; un peu plus loin, deux bras sortent de la vitre arrière d’une voiture ; un soir les jambes d’Elena sont pleines de promesses… Le volume nous transporte aussi au Niger et en Egypte dans les années 70 ; dans le Sud des Etats-Unis où Bernard Plossu a vécu plusieurs années à la même époque. Et puis encore dans le train Talgo, en Espagne (sur un écran de télé, une femme ferme les yeux), dans les brumes du nord ou dans la chaleur napolitaine. Le « Photo Poche » n’oublie pas un versant moins connu de l’œuvre de Bernard Plossu, qui pratiqua aussi la couleur à sa manière flottante et caressante, « comme une danse », qu’il s’agisse de paysages déserts ou d’intérieurs un brin fantomatiques. Ou de Françoise, encore, regard profond, à la fois doux et affirmé, dont l’écharpe rouge tranche sur une robe noire.
« Photo Poche » n°178 (Actes Sud, 144 pages, 14,50 euros). « Mucho amor, les années andalouses » (Lamaindonne, 108 pages, 40 euros).
Du Japon à New York, les belles couleurs de « Photo Poche »
A l’exception de quelques maîtres comme Shoji Ueda, Eiko Hosoe (exposés il y a de nombreuses années au Château d’Eau, à Toulouse) ou Daido Moriyama, la photographie japonaise reste largement méconnue. Les Rencontres d’Arles nous on fait découvrir cet été de nombreuses artistes femmes ayant œuvré dans l’ombre de ces messieurs avant d’être enfin reconnues. La collection « Photo Poche » porte elle son regard sur Issei Suda (1940-2019), très actif lors des bouillonnantes années 70 et 80. Comme Bernard Plossu, l’artiste japonais adore marcher et s’ouvrir, tout entier, à la magie du quotidien, dans « l’exaltation d’une chasse au trésor ». Car de scènes de rues a priori banales peuvent surgir des instants étranges ou mystérieux. Deux paires de jambes de mannequins émergent d’un rideau ; un bloc de glace, attaché à la ceinture d’un homme, explose de lumière ; un parapluie, une robe et une palissade offrent un festival de rayures ; un costaud ultra tatoué exhibe ses dessins en pleine rue ; un enfant s’essaye aux échasses, dos au mur… Le noir et blanc est intense, les angles de prise de vue souvent inhabituels. Tout un monde enfin révélé (« Photo Poche » n° 177, 144 pages, 14,50 euros).
Après des décennies de couvertures noires, « Photo Poche » a fait le pari de la couleur pastel, aux multiples nuances selon les volumes. Et en profite pour rééditer régulièrement des titres épuisés. On peut ainsi retrouver dans de nouvelles éditions Helen Levitt (1913-2009), New-Yorkaise adepte elle aussi de la photographie de rue, qu’elle pratique dans sa ville dès les années 30. Même goût pour les rencontres fugaces chez Bruce Gilden, né en 1946 à Brooklyn, dans un registre beaucoup plus choc, flash balancé dans la figure de ses cibles, qu’il croque énergiquement, de la Grosse Pomme à Tokyo, Londres ou Haïti. Quant à Ernst Haas (1921-1986), il a débuté comme reporter à l’agence Magnum avant de se lancer dans des recherches formelles en maître du jeu des couleurs (chaque volume : 144 pages, 14,50 euros).