Laurent Bayle et Philippe Cassard ont au moins quatre points communs : ils sont des personnages clés de la vie musicale française, ils ont écrit une autobiographie publiée en 2022, ils sont venus la présenter à la librairie « Ombres Blanches » cette année et leur texte chronologique est émaillé de portraits d’artistes qu’ils ont aimés. Cela m’offre quatre prétextes pour les mettre en parallèle.
Laurent Bayle est surtout connu pour avoir créé et dirigé la Philharmonie de Paris, j’en parle plus loin. Il a forgé son parcours dans la musique contemporaine, à Strasbourg d’abord avec le festival Musica, puis à Paris avec Pierre Boulez et son Ircam. Pour lui, l’interdisciplinarité art-science-technologie est à l’œuvre. Les compositeurs sont en demande d’une nouvelle liberté d’écriture. Bon. Ce bouillonnement créatif réel, qui aura marqué la vie musicale française d’un axe, d’un angle, d’un tropisme, appelons ça comme on veut, aura aussi masqué tous les autres axes, angles, tropismes pendant 40 ans. Laurent Bayle, excellent gestionnaire, en sera donc un excellent serviteur. Un homme efficace, comme l’est l’écriture de cette autobiographie.
De fil en aiguille, après être passé par la salle Pleyel, Laurent Bayle se voit confier la création de la grande salle symphonique que Paris attendait, à la Cité de la Musique de La Villette. Dans son récit « Une vie musicale« , sous nos yeux médusés, s’étale avec une grande transparence la pitoyable inconstance des hommes politiques et les oppositions dogmatiques entre ville de Paris et État. Les uns comme les autres laisseront croire dix fois à l’arrêt du projet. L’élan initial n’a pas trouvé de prolongements clairs écrit l’auteur, tout en nuances. Et quand bien même la réalisation était lancée, les liens entre architecte, constructeurs et tutelles seront épouvantables. Un vrai polar. On ne peut qu’admirer alors la persévérance et le courage de Laurent Bayle ! Et admirer d’autant plus la réalisation elle-même, cette Philharmonie, splendide écrin musical digne de la capitale de notre pays. Indéniablement, on la lui doit.
Toute autre est l’ambiance dans laquelle nous entraîne Philippe Cassard dans « Par petites touches« . Pianiste, il n’a de cesse de transmettre son amour de la musique en général. Par les concerts qu’il donne d’abord, puis par le truchement de la radio où il nous régale depuis tant d’années. Le parcours qu’il nous dévoile dans ce petit livre à la couverture rouge est plutôt intimiste, intérieur ; il est illustré de photographies bien rendues. On aurait envie de s’asseoir à côté de lui sur un banc du jardin du Luxembourg, de regarder dans la même direction que lui, et de l’écouter se raconter.
Je me suis réjoui de retrouver Sviatoslav Richter comme son plus grand modèle de pianiste. J’ai ri aux anecdotes glaçantes qu’il rapporte. Tourneur de pages du Maître, c’était une expérience ! Philippe Cassard m’a donné envie d’écouter les mélodies de Debussy, qui ne sont pas vraiment mon répertoire de prédilection. Et surtout il m’a donné le besoin pressant de ne rater aucun des prochains « portraits de famille » sur France Musique. Il les anime avec une douce familiarité qui réjouit l’oreille avec constance. Je ne serai jamais son élève : il n’en a pas. Mais je suis l’un des milliers d’élèves auxquels il enseigne chaque semaine, le samedi à 14h.
En résumé, ces deux livres n’ont rien en commun : ni le format, ni l’écriture, ni le papier, ni l’éditeur, ni le mode d’expression. Et c’est tant mieux ! C’est pour cela qu’on aime lire…