Dans le cadre du Cycle Grands Interprètes à Toulouse, logique d’avoir à l’affiche l’une des pianistes les plus prisées des grands événements de récitals et concerts du clavier. C’est à la Halle, le mardi 13 décembre à 20h.
À partir de son immense répertoire, elle nous offre le programme suivant :
Franz Schubert
Sonate pour piano en si bémol majeur, D. 960
I. Molto moderato
II. Andante sostenuto
III. Scherzo. Allegro vivace con delicatezza
IV. Allegro ma non troppo
Durée : environ 40’
Impromptu n°3 en sol bémol majeur, op. 90
Schubert / Liszt
Ständchen – Sérénade S. 560 N° 7
Franz Liszt / Vladimir Horowitz / Buniatishvili
Rhapsodie hongroise n°2
Biographie : Un certain Jacques Thelen dira de la musicienne : « Le succès, ça ne s’explique pas. Ce qui est certain, c’est que Khatia a quelque chose à dire. Elle fait du bien à la musique classique. » ET on a pu lire : « Elle rejoint le cercle très restreint des artistes de musique classique qui se font entendre au-delà de la sphère des mélomanes avertis. »
Née en Géorgie en 1987, Khatia Buniatishvili commence le piano à l’âge de 3 ans, donne son premier concert avec l’Orchestre de Chambre de Tbilissi à 6 ans et se produit à l’étranger à 10 ans. Elle étudie à Tbilissi avec Tengiz Amiredjibi et se perfectionne à Vienne avec Oleg Maisenberg.
Après ses débuts au Carnegie Hall de New-York en 2008, on peut dire que les plus grandes salles du monde, les plus grands festivals de piano l’ont accueillie.
Elle a pu collaborer avec les plus grands chefs – d’orchestre aussi et interpréter bien entendu tous les concertos pour piano du répertoire, accompagnée par les plus grands orchestres.
C’est une carrière qui fait appel aux plus significatifs des qualificatifs et pourrait se résumer en un seul : brillante, pour une pianiste dont l’entrée sur scène, de plus, ne laisse pas le public de glace. Et l’on pourrait s’amuser à énumérer que, papa est son chauffeur à l’occasion, maman s’occupe des robes et des chaussures, en un mot, de la tenue de scène, que sa sœur Gvantsa gère l’intendance, les voyages, les hôtels, … qu’à l’occasion elle est partenaire pour les œuvres pour piano à quatre mains, ou à deux pianos. Une véritable entreprise familiale dont elle est l’épicentre et dont elle a un absolu besoin, dit-elle.
Son jeu ne laisse aucun spectateur indifférent, en bien comme en mal, d’ailleurs. Sa sœur aînée vous dirait : « Elle donne tout. » et le prodige pourrait ajouter : « J’inclus tout mon corps pour jouer, pour devenir immatérielle. »
Le chef d’orchestre estonien Paavo Järvi, est admiratif : « Elle est passionnée, subtile, avec un toucher très doux et délicat. Elle est comme un chat sur le piano, rapide et jamais brutale. Je suis extrêmement sensible à la douceur de son toucher. Elle fait partie de ces très rares interprètes qui peuvent tout jouer : Mozart, Beethoven, Rachmaninov, Prokofiev… Elle a un spectre technique très large. » Des critiques, elle apprend à passer par dessus et résume en une phrase ce qu’elle peut en penser : « Ce qui compte, c’est ce qui se passe avec le public. Et je respecte trop ma liberté. Le but de l’art, c’est d’être complètement libre. »
Au sujet d’une œuvre interprétée, l’un d’eux résumera en quelques mots, admirateurs et détracteurs : « Les choses qui pourraient me déplaire sont extraordinaires ici, car c’est vivant, éloquent. Il y a une forme de flamme qui pourrait tourner à l’anarchie. Mais non. On entend une fougue exceptionnelle et maîtrisée. »
Khatia est marraine de DEMOS, un projet qui fait découvrir la musique classique par la pratique instrumentale en orchestre. Elle est aussi ambassadrice de l’association SOS Village d’Enfants. Elle est naturalisée française, et parisienne.
Sur les œuvres interprétées
Sonate D 960 : Les trois dernières sonates de Franz Schubert dont celle interprétée ce soir est la toute dernière, furent composées, à notre connaissance, entre mai et octobre 1828. Le compositeur meurt au mois de novembre. Elles furent copiées au propre quelques semaines avant que ne se déclare cette terrible typhoïde qui devait l’emporter. Elles furent imprimées onze ans seulement après la mort de leur auteur. Elles ne constituent en aucune façon comme un message ultime, sorte de “testament musical“. Même si dans cette Sonate en si bémol majeur, on constate un ton solennel tendrement hymnique dans les deux premiers mouvements. Remarquons que le tout premier (répétition de l’exposition comprise d’ailleurs) dure autant que les trois autres réunis.
Enfin, parmi ces trois dernières, celle en si bémol majeur est la plus prisée du public. Elle est certainement la plus belle, la plus émouvante – la plus résignée aussi et la plus équilibrée. Elle est, plus naturellement que les deux autres, ressentie comme proche d’un Schubert tendre et mélancolique qui aura en moins d’un quart de siècle écrit plus d’un millier d’œuvres, et combien de perdues, froissées, déchirées.
Impromptu n°3, op. 90 : Un brin de pédagogie. Cette dénomination vient du latin « in promptu » qui veut dire, être prêt. Signification donc très proche de la notion très souvent utilisée en musique de “improvisation“ (du latin ex improviso, soit sans préparation). Le caractère spontané, inspiration du moment donc justement improvisée définit bien l’Impromptu qui se distingue cependant de la libre fantaisie pour le piano par une conception plus concise, plus typique et par l’invention mélodique typique. Ces Impromptus de Schubert ne sont pas des “romances sans paroles“. Point d’ambition descriptive non plus. Ils vivent et émeuvent par la seule richesse de leurs idées purement musicales et des ressources harmoniques du piano exploitées avec tout le brio nécessaire.
Celui-ci est un Andante . C’est un lied d’une extrême douceur, un nocturne nostalgique et quasi…irréel. Il est écrit : « …qu’il n’est que rêverie, affleurement de l’âme, d’une âme au diamant fin. C’est le Schubert des grandes profondeurs qui, avec une excessive simplicité de moyens, atteint le tréfonds de la sensibilité, ouvre toutes les portes du rêve. La mélodie flotte, suspendue déjà dans l’éternité. On ne sait si elle est tournée vers le passé ou vers l’avenir. …Le bleu nocturne du sol bémol majeur teinte ces pages. L’ineffable, la sainte, la mystérieuse Nuit du Romantisme allemand impose ici son envoûtement. »
Schubert / Liszt : « Dussè-je toute ma vie ne rien produire de bon et de beau, je n’en sentirais pas moins une joie réelle et profonde à goûter ce que je reconnais et ce que j’admire de beau et de grand chez autrui. » dans une lettre de Liszt adressée à Wagner. D’un certain André Suarès à propos de ce Liszt qu’il appelle “le magnanime“ : « On dirait qu’il donne son nom à ce qu’il admire. » Il n’y a pas meilleure façon de comprendre le chapitre des transcriptions lisztiennes. Et le chapitre est copieux ; plus de cent numéros dans le catalogue qui les répertorie rien que pour le piano à deux mains. On y retrouve bien sûr la catégorie qui traite des lieder de Schubert, plus d’une cinquantaine (58 au total). Un exercice pianistique bien délicat qui n’est pas à la portée de tout pianiste car il faut traduire, et l’accompagnement qui peut accaparer plus ou moins, déjà les deux mains, et trouver comment traduire le chant, et là, la difficulté technique peut être immense ! Ces transcriptions ne figurent pas dans tout récital de piano, vous l’avez deviné.
Aux transcriptions, il faut ajouter les paraphrases, les fantaisies et autres “réminiscences“.
Liszt : Rhapsodie hongroise n°2
Au départ, l’ensemble des Rhapsodies hongroises de Liszt est composé pour le piano. C’est même un des monuments d’écriture et de virtuosité de la musique romantique de piano. Cependant, devant le succès qui accueillit ces pièces à leur publication, Liszt en orchestra quelques-unes. En effet, leur rédaction pour le clavier est d’une telle richesse qu’il ne pouvait être que très tentant d’en faire une traduction instrumentale. Au piano seul ou orchestrées, leur prestige est incontestable. Est-ce dû au côté systématiquement “tziganisé“ de tous les thèmes par le compositeur ? Peu nous importe.
Toutes ces rhapsodies sont composées sur le plan traditionnel de toutes les danses tziganes. Il dira : « une sorte d’épopée nationale de la musique bohémienne ». Leur plan est en deux parties enchaînées, mais de caractère très différent, voire violemment contrasté. Une partie lente suivie d’une partie que l’on pourra dire endiablée pour suivre. Mais, ce n’est pas ici que l’on va démêler ce qui est plus particulièrement tzigane de ce qui est proprement hongrois.
Laissons-nous happer avec excitation non dissimulée par l’écriture pianistique de ce génie “infernal“ que représente Liszt, un Liszt sous les doigts de Khatia Buniatishvili, mais pas que les doigts, les mains, les bras, les pieds, le corps et bien sûr l’intelligence, cela va de soi, de l’artiste. Et on n’oublie pas que c’est Liszt qui a inauguré le genre récital, c’est-à-dire la séance musicale au cours de laquelle un seul artiste se fait entendre. Peut-être aussi parce que lors de certains de ses concerts, le piano étant assez malmené, il fallait en prévoir…deux ! pour lui, et même davantage.
Cette rhapsodie n°2 peut être l’objet de quelques, disons, manipulations, toujours dans le sens de faire briller un peu plus encore l’interprète. Hors récital de piano, elle est célébrissime : cartoons, pubs, films… C’est ainsi, aussi, que le pianiste Vladimir Horowitz en a pris possession et n’a pas hésité, pratiquement, à la faire sienne. Elle ne pouvait qu’entrer dans le répertoire de Khatia Buniatichvili qui, elle-même n’hésite pas à modifier la partition non pas originale mais ayant déjà subi l’esprit créatif du pianiste virtuose (1953). Qui sera concerné ? Le rythme, la mélodie, la découpe rythmique de la mélodie ? Langue au chat : mardi 13 décembre.