Pérégrinations gastronomiques, solides et liquides, à Toulouse et parfois un peu ailleurs.
Ce jeudi 30 juin, le chef Yves Camdeborde a livré son dernier service, à déjeuner, au Comptoir du Relais Saint-Germain, carrefour de l’Odéon à Paris, où il officiait depuis 2004. Celui qui a incarné, sinon créé, la « bistronomie » (concept dû au regretté Sébastien Demorand et désignant une cuisine alliant l’exigence de la grande gastronomie à la simplicité du bistrot) a passé la main au chef Bruno Doucet qui lui avait déjà succédé à la tête de La Régalade, le premier restaurant de Camdeborde lancé en 1992 après le passage du cuisinier au sein d’établissements étoilés (Ritz, Crillon) sous l’égide de Christian Constant.
Cette succession était attendue, mais nous avons eu le cœur serré avec l’officialisation de la nouvelle tant le Comptoir a été un lieu important et pas seulement dans l’assiette ou dans le verre. Ce ne sont pas nos souvenirs parisiens que nous allons évoquer ici. Plutôt quelques instantanés liés aux séjours du chef béarnais et palois dans notre ville.
Visite à des amis du coin, invitation à un salon du livre, tournage de Masterchef : les occasions ne manquaient pas et Yves Camdeborde venait rarement seul lors de ses escapades toulousaines. Evidemment, notre ami Sébastien Lapaque était en général de la partie. Stéphane Tilloy et Jérôme Besnard se postaient en embuscade. Bruno Verjus participa à un déjeuner de compétition au Tire Bouchon. Zoé Ferdinand n’a pas oublié le dîner à quatre mains donné par Yves Camdeborde et Simon Carlier chez Solides. Avec Yves, nous avions même visité le premier restaurant de Simon, Solides comme cochons, et Le Comptoir des vins d’Emmanuel Marinoni, tous deux en travaux, avant leur ouverture.
Humeur vagabonde
Avec Yves et ses amis d’ici ou de Paris, nous nous sommes attablés au Temps des Vendanges, à La Rôtisserie des Carmes, chez Michel Sarran, chez Vinéa, chez Navarre, au Tire Bouchon et chez Solides donc, au Bibent de Christian Constant (qu’Yves Camdeborde continue à appeler « Monsieur Constant), aux P’tits Fayots, à La Binocle… Nous avons bu des canons au Mauzac de Jean-Michel Delhoume, au Volcan, dans des bars de la place des Carmes, au Chai Vincent du marché Victor-Hugo où Marina Bonhoure nous servit quelques quilles du morgon de Marcel Lapierre, un dimanche matin après une nuit trop courte. Je n’oublierai pas un déjeuner d’octobre 2012 au Nez Rouge au cours duquel Yves retrouvait quelques vieux amis de Toulouse et de la région.
Il y eut beaucoup de rires et – avouons-le – d’ivresses lors de ces virées et de ces dérives. Il y eut des soirées émouvantes et des petits matins difficiles, selon les mots de Sébastien Lapaque. Certains soirs, nous avions le vent dans les voiles et l’humeur vagabonde. Descendre le Yang-Tsé-Kiang ne nous effrayait pas. Nous nous sentions jeunes et larges d’épaules, comme dans la chanson. Des invités surprises – Thierry Puzelat, Charles Hours, Moustache… – surgissaient parfois.
Cœurs battants
Même quand nous n’avions pas la tête aux bêtises, le loufoque, le fantasque, le saugrenu se glissait parmi nous. Comme un soir, au moment de l’apéro, au Tire Bouchon, lorsqu’un pilier de l’estaminet – Pierre G., personnage plein de faconde et de confiance en lui, ayant un avis sur tout et surtout un avis – entreprit d’expliquer avec autorité au chef les secrets de la cuisson de l’agneau. Etonnant spectacle. Notre petite assistance, ayant aussitôt compris que le cuisinier amateur n’avait pas reconnu son éminent homologue, pourtant devenu célèbre auprès du grand public par sa participation à l’émission Masterchef, laissa Pierre faire la leçon. Yves Camdeborde ne pipa mot, sourit, reçut avec reconnaissance les conseils du néophyte. On imagine volontiers que nombre d’illustres chefs, fiers d’eux et de leur image, auraient remis l’impétrant à sa place. Chez Yves, nous aimons l’humilité et l’humour autant que sa fidélité et sa générosité.
Bien sûr, la gastronomie et le goût des bonnes bouteilles ne sont souvent qu’un prétexte. Ce sont des cœurs battants, des mots simples et rares, des émotions et des sentiments partagés que nous recueillons entre verres et assiettes. Au gré de quelques moments de grâce, nous faisons corps et âme. Nous voulons faire mentir la phrase d’Antoine Blondin : « On boit ensemble, mais on est saoul tout seul. » Nos vies terrestres alors palpitent, crépitent, comme un plat sur le feu. Nous communions. Merci cher Yves et à bientôt.
DANS L’ASSIETTE ET DANS LE VERRE