Lors du concert du 7 février dernier de la saison des Grands Interprètes, les Musiciens du Louvre, placés sous la direction tonique et vivifiante de Marc Minkowski, ont rendu un vibrant hommage à Jean-Philippe Rameau. Tout au long de cette rencontre particulièrement conviviale, le chef et fondateur de ce bel ensemble n’a cessé de commenter avec talent et humour un programme d’une grande richesse issu de l’œuvre impressionnante de ce protagoniste de la célèbre Guerre des Bouffons.
Rappelons que l’ensemble Les Musiciens du Louvre, fondé en 1982 par Marc Minkowski, s’est donné comme mission de faire revivre les répertoires baroque, classique et romantique sur instruments d’époque. Les musiciens qui le composent (une quarantaine ce soir-là) possèdent à la perfection le style de jeu qui convient aux musiques abordées. Sous la direction affutée de leur chef, ils réagissent instantanément à chacune de ses indications. La sonorité intense et colorée de l’ensemble s’adapte en outre à chaque partition, à chaque atmosphère évoquée par la musque de ce brillant compositeur aux multiples talents.
Le programme choisi pour cet hommage se présente comme un puzzle, un kaléidoscope composé de nombreuses pièces instrumentales et vocales empruntées aux ouvrages lyriques de Rameau. Commencée sur le tard (à près de cinquante ans), sa carrière de compositeur pour la scène ne l’a pas empêché d’aborder tous les genres d’ouvrages vocaux, et ils étaient nombreux à l’époque ! : Tragédies en musique, Opéras-ballets, Pastorales héroïques, Comédies lyriques fournissent à ce riche panorama imaginé par Marc Minkowski matière à explorer l’ensemble d’une œuvre foisonnante.
Outre les pièces instrumentales, de grande et belles interventions vocales bénéficient du talent, du beau timbre, de l’éloquence à la fois noble et sensible ainsi que de la diction, du baryton Thomas Dolié. Bien connu et apprécié à Toulouse lors de ses précédentes apparitions, il fut notamment Adario dans Les Indes Galantes de Rameau en 2012, Melot dans Tristan und Isolde de Wagner en 2014, Fritz dans La Ville morte de Korngold en 2018 et Eurymake, dans Pénélope de Fauré en 2020.
Le programme de ce 7 février s’ouvre et se referme sur la tragédie en musique Castor et Pollux. L’Ouverture puis la Chaconne sont jouées, projetées même, avec une énergie et une conviction communicative. Les bois solistes se lèvent lors de leurs interventions comme pour souligner leur importance.
Suivent des épisodes subtilement regroupés par œuvre mais aussi par mode d’expression ou par tonalité. Ainsi, l’Air tendre en rondeau, extrait de Zoroastre laisse la place à trois mouvements particulièrement animés de la comédie lyrique Les Paladins. L’opéra-ballet Les Indes Galantes est largement représenté avec cinq Airs parmi lesquels la douceurs des « Airs pour Zephire » contraste avec l’animation de l’« Air pour Borée » ainsi que la scène 5 sur laquelle je reviendrai. La plus étrange instrumentation habille la pastorale Acanthe et Céphise, pleine de bruits et de fureur avec une intervention iconoclaste des clarinettes. Après le poétique air de musette extrait de La Naissance d’Osiris, l’épisode final regroupe Dardanus, Pygmalion et enfin Castor et Pollux. Alternent alors la gaité des Tambourins et la nostalgie de l’Air de Pollux « Nature, Amour, qui partagez mon cœur ».
Dans la douceur de ce dernier chant comme dans les imprécations qui accompagnent certains autres extraits chantés, Thomas Dolié adapte son timbre, ses nuances et son expression au caractère de chacun d’eux. La colère de « Je puis donc me venger moi-même » des Paladins ou encore l’ardeur héroïque de « Voici les tristes lieux… Monstre affreux… » de Dardanus, contrastent avec cette scène 5 des Indes Galantes, offerte dans son intégralité avec une diversité expressive admirable. L’ode au soleil déclamée par Huascar dans l’Entrée Les Indiens du Pérou émeut par la noblesse que sous-tend l’éloquence de la diction. Un grand moment de cette soirée animée et diverse.
Pas moins de trois bis ont été nécessaires pour répondre à l’enthousiasme du public. Après la reprise de l’air de Dardanus par Thomas Dolié, une version « musclée » du fameux rondeau des Sauvages, extrait des Inde Galantes, (exécution plus « wild » que jamais !) précède la poésie apaisante de l’Entrée de Polymnie des Boréades, l’ultime chef-d’œuvre de Rameau.
Belle soirée vivifiante et chaleureuse !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse