Compte rendu concert. Quarantième Festival International de Piano. La Roque d’Anthéron. Parc du château de Florans, le 8 Août 2020. Intégrale des 32 sonates de Ludwig Van BEETHOVEN (1770-1827). François-Frédéric Guy ; Emmanuel Strosser ; Rodolphe Menguy ; Nicholas Angelich.
Sixième concert : Auditorium, 21 h. Sonates 29 ; 30 ; 31 ; 32.
Des œuvres géniales : l’ Himalaya !
Voilà un concert historique qui jamais ne peut être donné par un seul pianiste. La « Hammerklavier » sonate numéro 9 fait à elle seule un demi-concert. Et les trois dernières sonates sont une gageure pour n’importe quel vaillant pianiste lors d’un généreux concert. Jamais je ne crois pouvoir écouter en un concert ces quatre énormes sonates par un même pianiste. La « Hammerklavier » est l’œuvre phare de François-Frédéric Guy, c’est l’œuvre de sa vie. Il a conquis le monde avec son premier enregistrement en 1997. Depuis il la remet sans cesse sur le métier renouvelant sa connaissance intime d’une partition complexe qu’il éclaire chaque fois d’une lumière magique. Lorsqu’il la joue, il est aspiré dans un autre univers et nous entraîne avec lui. C’est à la fois un monde majestueux mais également profondément humain en raison de toutes les émotions que la musique géniale fait naître. Le mouvement lent est une méditation philosophique en musique d’une profondeur insondable. Chez François-Frédéric Guy la maîtrise technique est absolue et toujours mise au service de l’expression. Cet aboutissement de ce que peut être une sonate est un absolu au-delà duquel Beethoven n’ira pas. Il composera autre chose, jamais plus rien d’aussi grand, ni d’aussi développé.
La vingt-neuvième sonate est interprétée par Emmanuel Strosser qui domine entièrement les enjeux et le propos. Il donne cette impression de confort absolu qui installe la virtuosité au cœur de la musicalité la plus vraie. Son piano vit, chante, tonne, hurle, murmure, jouit. Les nuances sont magnifiques, les couleurs explosent et la beauté rayonne. Emmanuel Strosser est un grand beethovenien.
Le jeune Rodolpha Menguy avec une belle présence dès son entrée en scène, ne se laisse pas impressionner par ses aînés et se lance avec panache dans une interprétation très prometteuse de la vaste sonate. Il fait tout ce qu’il faut pour rendre hommage à ce Beethoven tardif. C’est à présent la maturité qui va lui permettre d’évoluer car techniquement il est de taille.
La dernière sonate, la trente-deuxième sonate, revient à Nicholas Angelich qui précédemment nous avait accompagnés dans la découverte des sonates en semblant les étudier au plus près pour nous, parfois semblant les avoir écrites à l’instant. Ce qu’il va réaliser, comme en transe, dans le dernier mouvement de cette dernière sonate est absolument incroyable. Ce très long mouvement tient lieu de vision. Il est possible comme le suggère Angelich de penser que Beethoven avait tout deviné, tout suggéré. Le piano jazz, la dissolution de la tonalité, une sorte d’impressionnisme liquide, des oppositions radicales, des superpositions, que sais-je encore, si ce n’est tout du moins presque tout ! Et Nicholas Angelich a semblé aller jusqu’à improviser, inventer lui-même. Une interprétation en forme de vision en miroir des visions de Beethoven. Un grand moment de musique, de poésie et de sensations mystiques. Sous le ciel brillant d’étoiles à travers les frondaisons, dans le silence et la légère fraicheur, cela ressemblait au paradis : Angelich en ange musicien visitant Beethoven.
Cette communion délicieusement étrange a cédé petit à petit dans des applaudissements nourris, puis les autres pianistes de cette folle aventure l’ont rejoint sur scène en le félicitant. Et cette grande fête des 32 sonates de Beethoven s’est terminée dans l’allégresse, les dix pianistes fêtés par un public enthousiaste. Il y avait de quoi se sentir heureux d’avoir été parmi les privilégiés qui ont pu assister à cette intégrale inoubliable en ce lieu dédié au piano depuis 40 ans.