Le 50e anniversaire de la sortie de « Horses », de Patti Smith, est doublement fêté par la réédition de l’album, complété par des enregistrements inédits, et par la découverte, dans un beau livre, d’une série de photographies de l’artiste américaine, réalisées à Paris, en 1976, par Claude Gassian. L’agent français de Patti Smith, le Toulousain Alain Lahana, se souvient de ce moment-clé de sa vie.

Patti Smith à son arrivée à l’aéroport du Bourget. Photo Claude Gassian
Faut-il rappeler le choc que fut la sortie de « Horses » en décembre 1975 ? Une poétesse new-yorkaise habitée par son art déboulait sur la scène rock, entre morceaux rageurs et mélopées étranges. L’album, porté par la reprise de « Gloria », de Van Morrison, fit de Patti Smith une star, voire une icône. Il ressort en version remasterisée avec en bonus un CD de versions inédites, épurées et magnifiques de « Redondo beach », « Birdland », « Kimberly », « Break it up », etc.
L’artiste multicartes, qui privilégie aujourd’hui l’écriture livresque à celle de chansons, on la retrouve à l’époque héroïque grâce à une série d’images de Claude Gassian, maestro français de l’iconographie pop et rock, enfin publiées dans un bel ouvrage. Récemment, le photographe a redécouvert cet ensemble de 1976, réunissant « beaucoup d’images oubliées ou que je n’avais jamais vues et qui étaient restées inédites ». Autant de « baisers volés » pour une artiste dont le jeune Gassian tombe immédiatement amoureux lors de la découverte de l’album « Horses ».

Patti Smith. Photo Claude Gassian
« Ce disque m’a rendu fou dès la première écoute, raconte-t-il dans le livre, un demi-siècle plus tard. Cette voix, ce phrasé, cette façon d’éructer les mots dans un déluge électrique… Horses m’obsède. Je rêve de rencontrer cette artiste ! » Rêve devenu réalité, en mai 1976, quand Jean-Noël Ogouz, le directeur français de la maison de disques Arista, l’invite à l’accompagner à l’aéroport du Bourget pour accueillir Patti Smith et son groupe avant leurs premiers concerts français, à l’Elysée-Montmartre. Tournée reprise, en octobre, au Pavillon de Paris et au Bus Palladium.
Furie rock et tendresse absolue
Claude Gassian sera là, aux premières loges, pour enregistrer cette fureur punk, le côté sauvage d’un groupe en osmose. Mais, déjà, il excelle dans le registre du portrait, dès le premier trajet en voiture (où la chanteuse s’affiche en Ray Ban, robe de soie noire, veste Saint Laurent pour homme) et plus encore au cimetière du Père-Lachaise, où Patti Smith tient à voir la tombe de Jim Morrison, ornée de mots de fans écrits à la craie. Une série amusante voit la prêtresse tourmentée faire assaut de tendresse à l’égard d’une petite fille avec laquelle elle joue dans un bac à sable, place de Vosges. Elle vient de visiter la maison de Victor Hugo, une de ses grandes admirations avec Rimbaud.

Patti Smith
Photo: Claude Gassian
L’album est aussi l’occasion de retrouver un Toulousain qui a depuis fait un sacré chemin, aux côtés de Bernard Lavilliers, Iggy Pop, David Bowie et bien d’autres. « Après le concert de l’Elysée-Montmartre, les jeunes s’étaient rassemblés autour de nous dans les rues, se souvient Patti Smith. Un gamin nommé Alain Lahana – une connaissance de Bijou, le groupe qui s’était produit en première partie – avait fait du stop depuis Toulouse pour assister au concert. Des années plus tard, il est devenu notre agent en France et un ami cher : ce fut un merveilleux coup du destin. »
Alain Lahana nous confirme à quel point ce moment fut important pour lui : « En 1976, j’avais organisé une petite tournée dans le Sud-Ouest avec Bijou, à Balma, au Pied de L’Isle-Jourdain, etc. La maison de mes parents, à Toulouse, servait de point de chute : c’était la fiesta tous les jours ! A l’Elysée-Montmartre, j’ai pu rester traîner dans les loges, ce qui m’a permis d’assister dans des conditions privilégiées au concert de Patti. »
« Une claque monstrueuse »
Patti Smith le raconte à nouveau dans le livre de Claude Gassian : elle adore Paris, « ville des cafés » qu’elle connaissait déjà en 1976 pour y être venue deux fois, alors qu’elle était inconnue. « Dans mon esprit, Paris était bien plus qu’une étape dans une tournée ou qu’une nuit de communion autour du rock’n’roll, écrit la chanteuse. Cette ville m’avait, en quelque sorte, façonnée : les vêtements que je portais, la poésie que je chérissais, les films qui m’inspiraient. Après des années à me nourrir de culture française, j’avais enfin l’occasion d’apporter ma contribution à ma ville bien-aimée. » Dans un moment de grâce et d’énergie que Claude Gassian traduit si bien…
Patti Smith termine en ce moment, aux Etats-Unis, une tournée « Horses » qui a déjà triomphé en Europe. Alain Lahana était à ses côtés, il y a quelques jours au Beacon Theatre de New York. « J’ai encore pris une claque monstrueuse, dit-il, à peine remis du décalage horaire. C’était la même ferveur, le mois dernier, à l’Olympia. Les deux concerts se sont vendus en 8 minutes ! Mes relations avec Patti sont tellement…familiales que j’ai du mal à réaliser à quel point elle est une icône, partout dans le monde. »
Livre « Patti Smith Horses – Paris 1976 », de Claude Gassian (Gallimard, 200 pages, 35 euros).


