On aurait pu titrer encore : Deux Cast d’enfer pour deux Don Giovanni enthousiasmants. Ou :
Don Juan ou quand la conquête est jouissance pour elle-même.
Relire mon article d’annonce paru ici même.
Et encore : Un Don Giovanni mozartien jusqu’au bout des ongles.

Nicolas Courjal et Anaïs Constans
Ou quand le théâtre permet à la musique et au chant de s’exprimer dans toutes leurs splendeurs. Ou quand on sait que le moindre siège au Paradis du Théâtre, là-haut, tout là-haut est occupé mais que le spectateur pourra entendre et tout voir, au mieux. Ou quand la mise en scène place les chanteurs au plus près de leur public sans être gênés par quelque accessoire inutile. On met en scène pour le public et pas pour le fond de scène et les coulisses. Ou quand les lumières nous plongent dans des clair-obscur d’époque de bougies, inoffensifs pour nos rétines plutôt que des projecteurs aux lumières blanches de salles d’Ehpad ou de sport. Ou quand toute transposition se révèle inutile nous évitant toute masturbation intellectuelle irritante. Réjouissant quand les éléments de décors se meuvent en toute discrétion, semblables à des fantômes, s’assemblant, ou s’effaçant permettant aux scènes de se succéder sans accroc, ni temps mort. C’est ingénieux, de maniement aisé, rapide et discret. Comme un ballet parfaitement réglé. Et beaux dans leur rigueur. D’inspiration XVIIè ibérique ? On est en Espagne, en effet.
On est sensible aussi et admiratif du très très beau travail de façon des costumes, certains vraiment somptueux, de ceux des paysans comme des donne et de Don Juan et même de son valet.

Masetto – Don Juan – Zerline
Finalement, on est plus proche de Tirso de Molina que d’un Don Juan draguant à la dernière Foire du Trône sous les lumières de tirs de mortier. Enfin, foin d’un Don Juan au caractère rationaliste et profondément moral mais, disons, qu’on le préfère, je le préfère, traditionnel, hédoniste et libertin, séducteur et, très important, jamais vulgaire dans son jeu. Aime-t-il, n’aime-t-il pas la femme, les femmes ? On y réfléchira, ailleurs. Mais, si vous le voulez sombre et désespéré qui ne voit de raison de ne pas mourir que dans une quête éperdue de femme en femme, libre à vous. D’aucuns voudront y voir un séducteur fuyant l’attrait du masculin d’où l’Air du catalogue et sa diversité dans le féminin ! Il n’empêche qu’en lettres de feu, c’est le désir, le désir qui tourbillonne sans cesse grâce à Da Ponte et au mélancolique Mozart.

Riccardo Bisatti – photo : Andrea Butti
Vous l’avez deviné, merci à Agnès Jaoui pour sa mise en scène qui a permis tout cela, et à ce remarquable travail d’acteurs, aidée par Éric Ruf pour les décors, Pierre-Jean Larroque pour les costumes et Bertrand Couderc pour les lumières. On loue la discrétion du travail de vidéo de Pierre Martin Oriol.
Merci à Riccardo Bisatti qui dirige le tout de la première à la dernière mesure comme un Mozart non cocaïné, réincarné avec comme une tradition assumée, des tempi fluides jamais précipités. Une efficacité telle qu’on en oublierai la présence ! Une performance. Récitatifs, airs se succèdent, c’est jubilatoire. Et des musiciens de notre ONCT bénéficiant d’une demi-fosse bienvenue donc un ensemble plus sonore du meilleur effet. On n’oublie pas bien sûr, ceux qui sont sur scène, grimés, costumés, emperruqués. Trois heures de musique et de chant, d’un plein accord, en s’appuyant sur une partition respectée, sans rajout de quiconque, ni coups de ciseau saugrenus. Il faut dire que Monsieur le Directeur artistique est très attentif et surveille tous ces désordres éventuels.

Leporello et Donna Elvire
Quelques mots sur les distributions vocales. Signalons d’emblée la diction disons exemplaire de tous. C’est un privilège d’avoir pu assister aux deux casts concernant les principaux rôles avec, de plus, de nombreuses prises de rôles. Pour ma part, je loue le résultat, sans réserve aucune devant une telle unité dans chaque cast et proclame la réussite d’un tel travail !
La paire maître-valet Don Juan et Leporello, me conforte un peu plus encore dans l’idée que l’un est bien inséparable de l’autre, et que si les deux ne s’accordent pas, soit par le jeu de scène, soit par le niveau vocal, ou hélas les deux, la production aura beaucoup plus de mal à être fidèle à Mozart, car dans ce duel sans relâche de l’ombre et de la lumière, c’est bien Mozart en sous-jacent. En truculent valet soumis à son maître, « un jeune homme extrêmement licencieux », Leporello n’est bien que le double négatif et trivial du séducteur fulgurant et fuyant, mystificateur, vivant dans l’accumulation jusqu’à sa fin recherchée et libératrice. Les deux tandems proposés Nicolas Courjal/ Vincenzo Taormina et Mikhail Timoshenko/Kamil Ben Hsaïn Lachiri sont cinq étoiles, de voix et de jeu scénique. Vocalement parfaits et brillants comédiens investis. Irréprochables, le valet comme le maître.

Nicolas Courjal – Karine Deshayes
Le dramma giocoso est au rendez-vous permanent sans sombrer un seul instant dans l’opérette. Très délicat. Jusqu’à l’instant fatal avec la soudaine apparition du Dieu vengeur, le Commandeur blanc-gris funéraire, de pierre des pieds à la tête, vêtu, chaussé, ceinturé, coiffé, cuirassé, de pierre, froid, dur et insensible comme la pierre. Sulkhan Jaiani ou Adrien Mathonat tonnent, maudissent, jugent et condamnent de leur voix formidable. Ce dernier qui est donc dans l’autre cast le fiancé de Zerline interprétée de façon exquise par Anaïs Constans, comédienne enjôleuse, vraiment parfaite vocalement et scéniquement. Il en est de même pour le tandem de l’autre cast avec Francesca Pusceddu et Timothée Varon.

Don Ottavio et Donna Anna
L’autre fiancé dans le livret, c’est Don Ottavio. Voix de ténor plutôt léger, Dovlet Nurgeldiyev nous livre, façon de parler, une véritable leçon de beau chant, d’un souffle et d’un legato emportant l’adhésion, aux vocalises meurtrières parfaitement rendues. Remarquable. Autre cast, Valentin Thill se sort fort honorablement des écueils côté voix et côté scène aussi car être le fiancé de Donna Anna n’est pas de tout repos.
Dans ce cast, une superbe Donna Anna interprétée par Andreea Soare, très investie. De la présence à l’évidence, comme on dit une santé de fer, la véhémence au rendez-vous, une grande voix à l’excellent projection et d’une réelle intensité dramatique. Dans l’autre cast, Marianne Croux au timbre rayonnant n’est pas loin de rejoindre les mêmes avantages.

Générale de la première distribution avec salut d’un Leporello survolté
Enfin, la troisième femme qui compte dans cet opéra, c’est bien l’épouse, plus que délaissée de, Don Juan, Donna Elvira. Dans ce cast, Karine Deshayes s’est emparée du rôle après avoir été Zerline, ici-même il y a vingt ans. Peut-on dire qu’elle n’en fait qu’une bouchée ? Chaleureuse, rageuse dans sa détresse, pathétique dans son incapacité à obtenir ce qu’elle espère, elle est Donna Elvira. Alix le Saux en trace le même chemin.
On n’oublie pas nos choristes du Chœur de l’Opéra national du Capitole qui participent à la complète réussite de cette nouvelle production de Don Giovanni au Théâtre du Capitole.
> Avec Don Giovanni, Mozart par-dessus tout
> Mikhail Timoshenko
> Kamil Ben Hsaïn Lachiri
> Agnès Jaoui
> Riccardo Bisatti


