Emmanuel Carrère publie Kolkhoze aux éditions P.O.L. Un récit familial et intime à travers le prisme d’une mère aussi prestigieuse que complexe.

Emmanuel Carrère © Hélène Bamberger
L’histoire s’ouvre sur les derniers jours d’une mère entourée de ses enfants. Autour de cette présence centrale gravite le souvenir d’une enfance marquée par la rigueur et la fierté, celle d’une femme d’État façonnée par le devoir. Peu à peu, les contours d’un héritage familial se dessinent : exil russe, ascension sociale, culte du travail et pudeur des sentiments. Emmanuel Carrère met en lumière le poids d’un nom, mais aussi celui d’une lignée où l’amour se dit rarement, mais se prouve par l’exigence.
Héritage et dévoilement
Née Zourabichvili, la mère du narrateur est issue d’une famille d’émigrés russes et géorgiens installée en France après la guerre. De cette lignée marquée par l’exil et la résilience naît une volonté de s’élever. De se forger un destin à la hauteur des sacrifices familiaux. La jeune femme se marie alors avec un jeune Bordelais : une rencontre entre deux mondes. Celui de la bourgeoisie française et celui d’une diaspora pétrie de mémoire. À partir de cette union complexe, Emmanuel Carrère esquisse les origines de sa propre histoire et celle d’une lignée à la fois mystérieuse et trouble. Sur quatre générations. De la Russie tsariste à l’Ukraine contemporaine, révélant les soubresauts de la grande Histoire et des destins individuels.
Puis retour à la figure maternelle. Figure d’autorité et d’intelligence à l’époque des grands bouleversements politiques et culturels du XXᵉ siècle. La mère devient le miroir d’une époque, celle de la reconstruction, du féminisme intellectuel et d’un monde façonné par la discrétion. Le texte glisse alors vers l’examen d’une relation faite de respect, de distance et d’admiration contrariée. L’auteur dévoile les blessures silencieuses, les malentendus qui ont façonné la tendresse et l’éloignement. La mort des parents se transforme en une réconciliation tardive, entre parole et silence.
Emmanuel Carrère signe ici l’un de ses récits les plus personnels : un hommage profondément humain, qui touche à ce qu’il y a de plus universel — aimer sans toujours savoir le dire. Kolkhoze est en lice pour de nombreux prix littéraires, dont le Goncourt, qui sera décerné le 4 novembre 2025.


