La parole est laissée à un fan d’opéra et fan surtout d’un metteur en scène hors-pair, Stefano Poda, j’ai nommé Daniel Martin. Les italiques sont mes rajouts.

Rachel Willis-Sørensen et Tassis Christoyannis © Corretta
Immense joie que cette première d’hier soir ! vendredi 26 septembre
« Thaïs » le « bébé » de Stefano Poda , dont je rêvais ineffablement la présence lumineuse au Capitole depuis la découverte de la production de Turin, en 2008.
C’est fait et au-delà de mes rêves : grâce au meilleur des casteurs, qui réussit chaque fois le miracle que l’on sait : trouver la voix parfaite pour tel ou tel rôle, en ajoutant le luxe suprême d’une prise de rôle! …C’est aussi ce qui fait dorénavant la marque de cette Maison, faut-il le souligner. Le “casteur“ étant bien entendu Christophe Ghristi, directeur artistique de la Maison.

Thaïs Premier Tableau © Marco Maglioca
Prise de rôles donc, et éblouissement total :
Rachel Willis-Sørensen, incarnation parfaite du rôle éponyme : une diction nous permettant de nous départir des surtitres, un timbre voluptueux, dans toute la tessiture, tantôt profond comme l’océan, tantôt moiré et d’une extraordinaire sensualité. Et un physique supplantant ô combien la créatrice du rôle Sybil Sanderson (vue sur photos !). Son aisance dans l’émission lui a déjà ouvert bien des portes. On n’oublie pas que c’est la Première, dans une prise de rôle et, quelle qu’ait été la qualité du travail de préparation, c’est toujours une phase d’expérimentation pour l’artiste. Et c’est déjà une réussite ! C’est pourquoi nous voilà fort impatient de revoir ce spectacle !

Rachel Willis Sørensen © Marco Maglioca
Tassis Christoyannis est la seconde révélation de ce cast (merci encore Christophe !), tant on a l’impression que ce rôle est tout simplement écrit pour lui : un rôle très dur théâtralement (ne pas trop en faire). Il tonne, il rugit, s’indigne mais aussi, il sait trouver des trésors de douceur et d’émotion toujours dans le chant. Ici encore une incarnation juste parfaite et si profonde qu’Athanaël, le cénobite de tous les excès, possède littéralement Tassis, même pendant les saluts finaux.
Jean François Borras est Nicias, et l’immense regret que plus de lignes de chant n’aient été écrites pour lui, tant Massenet lui va si bien : délicatesse, intelligence du chant, et un phrasé de rêve, font sa marque. Il était incontournable dans cette production !

Nicias et la Charmeuse, Crobyle et Myrtale © Corretta
Frédéric Caton, Palémon exprime ici un rôle paternel, parfait pour sa voix.
Thaïs Raï-Westphal, Crobyle, et Floriane Hasler, Myrtale, se disputent la beauté physique, la grâce féline et la splendeur vocale. Stefano Poda les a voulues telles des créatures possédées, issues des mythes grecs… effectivement nous avions devant nous deux magnifiques et vénéneuses Circés, sublimes créatures au chant sirénéen…à en perdre la tête. Dotées de costumes surréalistes, leurs expressions du visage complétaient leur personnage.
Restons dans le charme avec Marie-Eve Munger, la Charmeuse : une fois de plus, grands regrets que plus de musique n’ait été écrite pour cette voix et cette très belle artiste.
Enfin, Svetlana Lifar, mère Albine, la douceur et l’opulence d’un timbre maternel, une de ces voix que l’on n’oublie pas depuis Rusalka/Poda.
Et puis les chœurs, encore et toujours, toujours et encore sublimes de justesse, de diction, de nuances et de musicalité…merci Gabriel Bourgoin pour ce travail magnifique autour du chant français. Nous avons une chance immense.

Thaïs © Marco Maglioca
Et quand tout cela s’accompagne de l’intelligence de la direction d’orchestre par Hervé Niquet, nous pouvons presque dire, à l’instar de Thaïs : « j’entends Dieu ; »… Un chef qui disposait d’un effectif composé des musiciens de l’Orchestre national du Capitole qui se révèle systématiquement un des meilleurs orchestres français de fosse. On remarque au passage que certains, entre deux Thaïs, sont ce samedi à la Halle dans la Turangalila qui est un véritable triomphe, menée par un Tarmo Peltokoski survolté assisté d’un Bertrand Chamayou comme possédé !.
Car « Voir Dieu » nous l’aurons eu grâce au génie de Stefano Poda bien sûr ! Et ce, depuis ce Christ en croix qui se lèvera sur nous à la manière d’un tableau de Dali.

Rachel et Thaïs © Marco Maglioca
Poda est lumière : la lumière de l’art, celle de la beauté antique, celle de la pureté du nu, de la danse, de la gestuelle et de l’expression. En un mot, rien ne lui échappe. Le travail de chaque costume, de chaque expression, du moindre mouvement, tout est art. On s’extasie évidemment sur ces jeux de lumières, et on a enfoui dans les souvenirs, ces plateaux d’autrefois éclairés par un seul projo, fixe ! braqué ici sur un tas de sable – le désert – et deux toiles tendues – les monastères, une branche de palmier – l’oasis.
Il est en cela suivi par une troupe de danseurs et de figurants époustouflants ! car Stefano est aussi chorégraphe. Et le ballet, déplacé dans la version de 1898 dans le deuxième acte, est donné dans son intégralité.

Ballet dans Thaïs © Marco Maglioca
Qualifié souvent de magicien de l’opéra, Stefano Poda parvient à magnifier le moindre ouvrage…tellement ici sa Thaïs, transformée en une expérience intérieure, mystique et hypnotique, rappelant souvent l’élasticité temporelle et la perte de repères d’un wagnérien Parsifal.
Merci encore le Capitole et sa direction de nous donner la chance de nous transcender grâce à Lui.
La saison est lancée…et quel lancement !
Grande joie !
> Je connais toutes les ivresses, répliqua Thaïs