CRITIQUE. FESTIVAL. 46ème festival PIANO AUX JACOBINS. Cloître des Jacobins, le 11 septembre 2025. CHOPIN ; SCHUMANN ; RAVEL ; LISZT ; NELSON GOERNER (piano)
La subtilité de Nelson Goerner est un enchantement
Nelson Goerner propose un concert d’une très belle conception. Il aborde la Fantaisie en fa mineur op. 49 de Chopin dans un tempo retenu. Le poids d’un son plein et riche permet une avancée lente dans cette page complexe et finalement peu interprétée en concert. D’emblée on est frappé par les couleurs multiples et les nuances savantes que le pianiste argentin met dans son jeu. Un certain poids semble habiter le jeu, un sérieux, une douleur sourde. Le contraste avec le chant plus aigu et plus lumineux est très intéressant. Le chant éperdu et étincelant en contraste constant avec le sombre tapis si riche harmoniquement. Le dialogue est savamment entretenu et l’œuvre avance assez douloureusement puis s’éclaire pour le final. Cette interprétation est très construite et complexe. Très éloignée de la version discographique de Bruno Rigutto que je connais bien et qui est plus solaire et équilibrée.
Avec beaucoup de cohérence le grand pianiste poursuit avec la Fantaisie en do majeur op.17 de Schumann. Il construit une magnifique interprétation en structurant chacun des trois mouvements et la totalité de la Fantaisie. Les humeurs variées, la passion amoureuse, le désir puissant, la désolation, puis le retour de l’espoir tout est magnifiquement coloré et nuancé par ce poète-pianiste. Les phrasés sont absolument superbes sans rien céder à l’extraordinaire richesse harmonique. Cette interprétation semble livrer toutes les beautés et les richesses de l’œuvre. La puissance expressive de ce piano magnifique laisse un sentiment d’avoir rencontré la beauté absolue et une intelligence interprétative superlative.
Après l’entracte Nelson Goerner propose une lecture très analytique et très colorée des Valses nobles et sentimentales de Ravel. Le toucher change et les couleurs sont zénithales sans ombre portée. La précision rythmique et les phrasés élégants font mouche. La spécificité toute française de ces valses, leur capacité à s’encanailler presque donnent un chic fou au jeu de pianiste. Et il n’est pas avare de moments d’un humour très délicat.
Puis il nous est proposé trois pièces de Liszt correspondant à des danses de plus en plus virtuoses et rythmiquement complexes. La valse oubliée n°2 a un côté suranné et un quelque chose de décalé absolument savoureux. L’étude « la leggierezza » est vaporeuse à souhait puis la sixième Rhapsodie Hongroise a une puissance tellurique qui culmine sur une virtuosité apocalyptique avec tous ses plans superposés. La grandeur des moyens du pianistes nous submerge mais surtout la richesse musicale de ses interprétations toutes très abouties stylistiquement. C’est vraiment un art du piano suprême. Nelson Goerner fait partie des plus grands pianistes du moments.
Il a offert un somptueux récital à Piano aux Jacobins. Le public lui fait fête et avec un amour partagé de la musique il offre trois bis plus superbes les uns que les autres. Voilà un très grand récital qui aurait mérité une diffusion radiophonique mais France Musique présente la veille avait déjà plié bagage, dommage vraiment.
Hubert Stoecklin pour Classiquenews.com
Lien vers l’étude « la leggierezza » de Liszt
Photos: H.S.