Iliona trace son chemin dans le paysage de la pop francophone, armée d’une sensibilité brute. Avec son premier album, What if I break up with u?, l’artiste belge cristallise les blessures de la rupture tout en révélant son talent aux multiples facettes. Souvent comparée à Angèle, elle s’impose pourtant avec un univers bien à elle, au-delà du carcan de la bedroom pop. Le public toulousain pourra la découvrir en live lors du coup d’envoi de sa tournée, sur la scène du Bikini, le 26 septembre prochain. Rencontre.
Culture 31 : Ton premier album, What if I break up with u?, est sorti le 14 mars 2025. Pourquoi avoir choisi un titre en anglais pour un projet chanté en français ?
Iliona : J’avoue qu’il n’y a pas une vraie signification derrière ce choix. C’est une phrase que j’avais notée parmi les milliers de notes que je prends toute la journée, et qui m’avait plu, qui m’avait marquée. Elle m’avait un peu donné ce premier élan, qui était de me dire : « J’ai l’impression que c’est vraiment de ça que l’album va parler, et que c’est la bonne manière de le formuler ». Plus le temps passait, plus je composais l’album, et plus cette phrase avait du sens pour moi. Quand je l’ai proposée à mon équipe, c’est vrai que tout le monde se demandait pourquoi, mais je trouvais qu’en français, c’était moins bien. Puis, je suis un peu attachée aux signes, et aux trucs instinctifs comme ça. Je me suis dit : « J’ai toujours senti que c’était ça, donc ça va être ça. Et même si c’est en anglais, ce n’est pas grave ».
Tu as réalisé cet album seule, de l’écriture au mixage. Quelle étape du processus de création t’a procuré le plus de plaisir ?
J’adore composer et faire mes prods. C’est vraiment mon truc favori au monde. Souvent, le texte, il vient un peu en même temps, voire après, ça dépend. Mais toute la période de création, de prod et d’écriture, elle crée toujours des moments très intimes et « soulageants ». J’ai vraiment écrit l’album comme un journal intime dans lequel je me consolais. Même si c’est une période très chelou où je suis enfermée chez moi, c’est un processus que j’adore et que je chéris énormément. Et sur ce premier album, j’ai aussi appris à mixer, ce qui était encore autre chose, avec plein de nouvelles connaissances à acquérir. Donc c’était aussi très intéressant pour pousser les chansons le plus loin que je pouvais toute seule. C’est la manière de travailler que je préfère.
Dans ce projet, tu parles évidemment de la rupture amoureuse, mais aussi des différentes étapes du deuil d’une relation, avant et après son terme. D’un point de vue personnel, tu as parlé de te consoler, mais que voulais-tu transmettre ?
C’est un peu bizarre, mais j’avoue que pendant l’écriture, je ne me suis pas du tout projetée en me demandant si quelqu’un allait l’entendre. J’avais vraiment l’impression que personne n’allait l’écouter. Et ce n’est même pas de la fausse modestie ou un truc bizarre ! C’est vraiment que, pendant la création, j’étais tellement coupée du monde, de mes réseaux sociaux, et de tout, que je l’ai vraiment écrit pour moi. Je me disais : « Je ne sais pas à quoi ressemblera mon premier album et je m’en fous un peu ». J’étais tellement dans le mal, dans mon histoire, que je me suis juste consolée dans mon coin avec ces chansons-là.
En fait, la dimension des gens qui entendent ça, je l’ai prise un peu comme une surprise, une fois que l’album est sorti. Et ça a donné un autre sens aux chansons. C’est encore plus incroyable, parce que ce sont tellement des titres que j’ai écrits pour moi, en me disant que personne n’allait s’identifier dans quoi que ce soit. A posteriori de la sortie, j’ai compris que tout le monde vit un peu la même chose, et plein de gens se reconnaissent, me disent que ça fait écho à leur histoire. C’est presque « soulageant » !
Le titre Ça n’existe pas est un cas particulier puisque tu l’as écrit à 18 ans, avec cette image forte du « trou dans ton ventre« . Si tu regardes en arrière, qui était la Iliona de l’époque ?
Franchement, c’était un âge très particulier. Ça me paraît lointain, et c’est une chanson que je n’avais pas voulu sortir plus tôt, que je pensais peut-être même jamais sortir. Je pense que c’est la première fois que je sortais une chanson « vieille ». Souvent, quand j’abandonne des chansons – parce que j’en écris plein qui ne sortent pas – elles finissent sur un disque dur et je n’y touche plus jamais. Mais je me suis un peu réconciliée avec cette chanson-là pendant la création de l’album. Je me suis dit que c’était peut-être le moment ou jamais, que je n’allais pas la sortir plus tard. Je pense qu’il y avait aussi un truc de : « si je fais la paix avec cette chanson, je fais aussi la paix avec cette période-là de ma vie ». Ça fait du bien symboliquement. C’était important pour moi.
On remarque une similitude entre ce « vieux« texte et un titre plus récent, puisque tu fais intervenir la figure parentale en disant « Papa, maman, j’ai fait une bêtise« dans Ça n’existe pas et « Maman, j’ai fait une connerie« dans Connerie.
En vérité, ce n’est pas fait exprès du tout ! Mais je pense que c’est ça qui est beau avec l’écriture des chansons. En fait, on travaille vachement sur les choix des mots qu’on utilise, sur les formules… Et on travaille tout le temps en s’exprimant. C’est comme le langage parlé. Par exemple, ma psy me fait tout le temps remarquer que je vais utiliser un terme précis dans telle situation. Elle me le fait remarquer en me disant : « Tu vois, le fait que tu utilises tout le temps ce mot-là dans cette situation, ça veut peut-être dire quelque chose ». J’ai l’impression que les chansons, c’est un peu pareil. Parfois, avec des années de recul, je me dis : « C’est drôle, j’ai écrit un peu la même chose là-dessus et là-dessus ». Est-ce qu’il y a une corrélation ? Peut-être.
Dans le morceau 23, tu dis cette fois : « J’ai pas envie d’être connue, j’me fais pitié dans mes sons« . Ton rapport à la notoriété a t’il évolué désormais ?
Je pense qu’il a un petit peu évolué, parce que j’avais vraiment très peu confiance en moi en écrivant l’album. La confiance en soi, c’est vraiment un sujet dans ma vie qui a toujours été un problème. Et je pense que ce n’est pas réglé du tout. Mais j’avoue que, le fait d’avoir sorti cet album auquel je croyais, mais sans y croire vraiment, ça m’a quand même soulagée. Parce que j’ai accompli ce truc-là que je m’étais donné comme défi, et que j’ai tellement bossé dessus, toute seule. C’est quand même une petite victoire personnelle de travail de se dire « tu t’es donné cet objectif et t’as fini, t’as été jusqu’au bout ». Donc, c’est vrai que ça donne confiance en soi. En tous cas dans le travail.
Pour définir ton style musical, la presse parle unanimement de bedroom pop. Et toi, comment le décrirais-tu ?
C’est difficile, parce que moi-même, j’écoute tellement de styles différents. Je ne sais même pas définir ce que j’écoute ! Quand les gens me demandent ce que j’écoute en ce moment, je suis en mode « je ne sais pas, mais j’aime bien ». Je peux mettre une chanson, puis une autre, et ça ne se ressemble pas du tout. Je ne connais même pas les termes techniques. Je ne suis pas très pro là-dessus. Du coup, pour décrire la musique, j’ai toujours un peu du mal. Mais c’est vrai que la bedroom pop, ça me va très bien, parce que c’est littéralement une définition pratico-pratique de ma musique. C’est-à-dire que je fais tout dans ma chambre et c’est de la pop ! Je me dis que ça marche. C’est de la pop qui va un peu dans tous les sens. Parfois, c’est varié, parfois c’est rock, parfois c’est électro… La seule constante, c’est en effet que ce soit fait dans ma chambre et que ce soit en français.
Avant ton album, tu avais dévoilé les projets Tristesse et Tête brûlée. Avec du recul, comment vois-tu ton évolution entre ces projets et What if I break up with u ?
J’avoue que j’ai du mal à avoir un recul sur ces projets-là parce que je ne les écoute jamais. Ils sont encore récents, même si j’ai aussi l’impression que c’est très lointain. J’avoue que je n’ai pas trop de regard sur ma musique. Même l’album qui vient de sortir, je n’ai pas vraiment un avis dessus ! Je me dis juste que j’ai fait du mieux que j’ai pu. Je suis déjà dans l’après, je continue de composer plein de trucs et je ne pense jamais vraiment au passé. Je pense plus au futur. Parfois, quand je réentends les sons et qu’on les travaille pour le live, je me dis juste que c’est drôle que j’ai fait ça à tel âge. Et j’essaie d’avoir de la bienveillance. C’est dur. Souvent, quand un projet est sorti, je ne l’aime plus après, ou bien je me dis que je peux mieux faire. Je suis très perfectionniste.
Pour finir, quelle est la chanson de rupture que tu pourrais écouter en boucle ?
Il y en a plein. J’aime trop les chansons de rupture. Il y en a des tellement belles. Celle que je pourrais écouter en boucle, je ne sais même pas vraiment si c’est une chanson de rupture. Et j’aime bien ne pas trop savoir, mais ça parle un peu de nostalgie. C’est Yesterday de Paul McCartney, je ne m’en lasserai jamais. Elle est tellement juste dans le choix des mots.
Propos recueillis par Inès Desnot