C’est magnifique ! L’intitulé du lancement de la toute première saison de Karine Chapert nommée directrice du théâtre, a de quoi donner le ton ! Avec ce changement de poste, une nouvelle identité visuelle et de nouvelles perspectives voient le jour comme celle d’ouvrir le lieu à un jeune public, aux collégiens, avec 5 spectacles présentés en matinée ; ou celle d’ancrer davantage le théâtre dans son quartier, en créant des partenariats avec le Quai des savoirs, ou le Muséum. Autre nouveauté, l’ouverture de la première saison du Sorano Club, une opportunité pour de jeunes artistes d’exprimer tout leur talent via le Stand-up.
Tout commence le 20 septembre par une exploration enjouée des coulisses guidée par une Drag queen (en lien avec les Journées du Patrimoine), dans une ambiance de kermesse puis de soirée DJ. La saison à venir sera l’occasion de fêter deux anniversaires. Dans un premier temps, les 50 ans de la librairie Ombres Blanches en célébrant Homère, avec deux séances gratuites de lecture portées par les envolées lyriques de Jacques Bonnaffé. En second temps, SuperNova, le festival de la jeune création fondé par Sébastien Bournac, l’ancien directeur du Sorano, fêtera ses 10 ans. Il s’ouvrira avec Une Pièce sous influence, qui raconte l’histoire d’une ancienne pianiste aux prises avec son passé, sorte de digression empruntée à Gena Rowlands tentée d’absurde, de douleur et de rire.

Une pièce sous influence © Virginie Meigne.
On a failli t’appeler Marthe, clôturera le festival, avec un seule-en-scène où une comédienne interprètera une lesbienne issue d’une famille bourgeoise de gauche, et endossera le rôle de plusieurs membres de sa famille avec humour. Parmi les autres spectacles du festival, un autre seule-en-scène au féminin avec sa galerie de portraits, Sans faire de Bruit, rendra hommage à une mère psychanalyste frappée de surdité, avec des témoignages sonores et la prouesse d’une synchronisation labiale. D’autres femmes feront voler en éclats le patriarcat dans C’est un réflexe nerveux on n’y peut rien : couvertes de tissus de chair, deux comédiennes répéteront les mêmes phrases jusqu’au burlesque et à l’émergence des pulsions libératrices. Quant à Annette, ce portrait intime (au plus près du public) d’une femme de 75 ans, dévoilera l’histoire d’une vie de lutte, d’une héroïne populaire dévouée à l’émancipation des femmes.
L’Île aux pères s’interrogera de son côté sur les legs de la masculinité et notre rapport à la paternité à travers un filtre documentaire drôle et sensible, porté par un circassien, un acteur et un danseur. Le seul-en-scène Dans ma chambre de Hugues Jourdain, se penchera, lui, sur la question des limites dans l’amour à travers une autobiographie érotique tirée d’un roman de Guillaume Dustan. Plus largement, des questions de société et de justice s’immisceront dans le festival via Non-Lieu, un retour, également documenté, sur l’affaire Rémi Fraisse, dans le but de croiser les points de vue et d’approcher au plus près la vérité ; et Vive, où cet autre procès décortique la cruelle silenciation autour de l’inceste à travers l’histoire d’une famille de restaurateurs.

Ma République et moi © Pascal Victor.
Hors festival, la question politique et sociétale n’en demeure pas moins présente. Ma République et moi aborde la laïcité, et déconstruit nos préjugés sur le voile à travers un hommage vibrant à une femme victime du racisme d’un élu extrémiste (d’une durée d’une heure, à partir de 10 ans). Avec L’Abolition des privilèges, c’est un bond dans l’histoire que ce solo en quadrifrontal propose avec humour, sans craindre l’anachronisme, pour parler des injustices d’aujourd’hui. L’étude de notre démocratie passe aussi par l’étude de nos anciens présidents. C’est du moins ce que propose La Vie et la mort de Jacques Chirac, roi des Français, en dressant un portrait par l’intime de l’homme derrière la figure politique. On ne jouait pas à la pétanque dans le ghetto de Varsovie, passe aussi par l’intimité, celle des enfants cachés survivants de la Shoah, pour célébrer le vivant avec dérision, en se demandant que ce serait-il passé si Freud avait été le psy d’Hitler.

La Vie et la mort de Jacques Chirac, roi des Français © Régine Lemarchand.
Bref, notre histoire pourrait se résumer à cette question que pose Romane Nicolas avec sa comédie musicale rétrofuturiste muette et déjantée à base d’archives de la Cinémathèque : Comment domestiquer les humains ? Peut-être par la littérature…
À travers le Polar(e), dont la Compagnie Les Roches Blanches (deux anciens membres des Chiens de Navarre), déboulonnera les codes du genre via une enquête policière désopilante. Ou à travers l’adaptation d’auteurs comme Racine, Hugo et Balzac. Andromaque ou l’exigence absolue et exclusive de valeurs irréalisables, traite du tabou de la mort et plus largement de ce que les tragédies d’aujourd’hui racontent de nous. Avec l’adaptation de la fresque historique de Victor Hugo, Cromwell, c’est une véritable expérience théâtrale de 6h qui est proposée hors les murs, en extérieur. L’adaptation de la deuxième partie du livre de Balzac, les Illusions perdues, se fera pour sa part en quadrifrontal avec cinq comédiens qui interprètent une vingtaine de personnages dans une énergie fulgurante. Rébecca Chaillon, elle, comme un clin d’œil à Tchekov, jouera La Gouineraie, et bousculera l’image traditionnelle de la famille accompagnée de son double féminin à la vie comme à la scène. D’autres clichés familiaux seront mis à mal avec le seule-en-scène de la marocaine belge Yousra Dahry dans Kheir Inch’Allah, où elle raconte le « syndrome de l’enfant unique » lorsque celui-ci n’est pas du sexe attendu. Le Groupe Merci, quant à lui, avec Trois contes et quelques, proposera au Jardin des plantes, une relecture incisive et sans filtre des contes de Perrault, afin d’explorer les vicissitudes et travers de l’être humain.

Illusions perdues © Simon Gosselin.
De quoi déclencher Le Grand Vertige. Cette quête initiatique de la compagnie MégaSuperThéâtre déborde la simple adaptation d’un livre jamais achevé. Un comédien fait une lecture lorsque, victime d’un AVC, nous rentrons dans les couches de son cerveau. Le sujet devient le prétexte pour se réinventer, chercher de nouveaux territoires, et se poser la question « comment faire du théâtre aujourd’hui pour qu’il ne disparaisse pas. » L’une des nombreuses missions dont se saisira le Théâtre Sorano lors de cette nouvelle saison.