Critique. Concert. Rencontres Musicales de Nîmes. Nîmes. Temple de l’Oratoire, le 26 Août 2025. P. VASKS. W.A. MOZART. D.TABAKOVA.F. MENDELSSOHN. A. Kantorow, A. Martin : piano ; L. Petrova, C. De Forceville, C.Julliard : violon ; G. Vecchioni, P. Zientara : alto ; E. Moreau , A. Pascal : violoncelle.
A Nîmes le partage dans ce qu’il a de plus beau .
Quatrième édition des Rencontres Musicales de Nîmes ce soir avec un public remplissant entièrement le Temple de l’oratoire. Philippe Bernhard (ancien premier violon du quatuor Modigliani) fait une introduction fine, cultivée et sensible du concert. Il est rare d’être aussi bien préparé à un concert en des mots si bien choisis. Il a particulièrement insisté sur la notion de partage que représentent ces Rencontres musicales
Dès la première note du Castillo Intérior de Peteris Vasks (né en 1946) une étrange émotion saisit le public et le laisse coi. Cette première note nue, douloureuse, fragile est suivie du dialogue d’une extraordinaire subtilité entre le violon de Clémence de Forceville et le violoncelle d’Edgard Moreau. La beauté de ce qui suit évoque les doubles cordes et les doubles lignes musicales dont les Violes de Gambe sont capables. C’est beau, tendre, mélancolique et fragile. Puis une section agitée sur un ostinato rythmique dit toute la confusion et la violence du monde. Nous comprenons qu’il s’agissait de la naissance de la pensée dans un corps juste né et la connexion à son âme. Puis la violence du monde qui a surgi. Le retour du dialogue entre les deux instruments est plus engagé, plus solide, plus riche harmoniquement. C’est comme si la polyphonie d’un chœur a capella sur la route de Saint Jacques de Compostelle naissait dans une chapelle. A nouveau l’ostinato bruyant et agressif fait son retour, il évolue vers une fin hors des idées d’harmonie et semble s’affaisser hors de la tonalité. Nous pouvons à ce moment-là comprendre qu’il s’agit également de la naissance de la musique occidentale complexe. Le dialogue entre les deux instruments est de plus en plus extraverti et riche, voir puissant. Puis un petit retour de la partie rythmique, très courte et qui s’apaise d’elle-même. La cantilène des deux instruments se fait plus riche encore, chaque instrument allant vers sa tessiture ultime. Le rythme revient tel un vol d’hirondelles au travers d’un vitrail. Le chant éperdu des deux instruments à cordes est d’une éloquence incroyable avec une émotion complexe comme si la plénitude de la personnalité était enfin atteinte, comme la richesse de la musique elle-même. Un long silence étreint le public qui fait un triomphe aux musiciens. Le violon de Clémence de Forceville part du silence pour aller vers des notes suraiguës d’une plénitude rare. Les regards avec son partenaire sont explicites, d’une communion rare dans la recherche du poids exact du son. Edgard Moreau est d’une délicatesse incroyable lui aussi et son violoncelle a une douceur insoupçonnable. La toute fin lui permet d’atteindre enfin les notes graves les plus belles qui soient. Quelle chef d’œuvre rare et demandant tant de partage et de concentration tant aux deux musiciens qu’au public. Le début de ce concert est absolument sidérant d’intelligence et de beauté.

Clémence de Forceville et Edgard Moreau
Après ce passage de l’ombre à la lumière la musique de Mozart va nous ravir. Dans ce premier quatuor piano, violon, alto, violoncelle de l’histoire de la musique, Mozart nous invite à une fête joyeuse. Cette œuvre de la maturité est un hymne à la joie en musique, le piano semblant dans un rôle de prima donna volubile. Au piano Aurèle Marthan joue avec passion et relance avec élégance le discours à chaque fois. Le violon de Charlotte Julliard, l’alto de Grégoire Vecchioni et le violoncelle d’Aurélien Pascal sont des complices accomplis. Chacun rayonnant lors de ses passages exposés. L’œuvre avance avec célérité, joie et partage de bonheur. Le public semble en apesanteur devant cette interprétation très réussie.

Aurélien Pascal, Grégoire Vecchioni, Aurèle Marthan, Charlotte Julliard
Après l’entracte une autre œuvre contemporaine va nous emporter dans un univers inconnu. Le quintette à cordes avec le même instrumentarium que Mozart dans ses quintets est d’une grande beauté : Organum Light de Dobrinka Tabakova. Le jeu est kaléidoscopique avec des formules très variées entre les instruments. C’est profond, riche en harmoniques et plein de beauté originales. Les couleurs irradient, les nuances sont d‘une grande subtilité. A nouveau une sorte de mélancolie et de profondeur se dégage de la pièce, avec des moments douloureux ou plus serains. Les deux violons à gauche (Clémence de Forceville et Liya Petrova), les deux altos (Paul Zientara et Grégoire Vecchioni) à droite, le violoncelle (Edgard Moreau) étant au centre. Cela permet une grande variété de spatialisation du son. Cette trop courte pièce laisse une profonde impression sur le public.

Liya Petrova, Edgard Moreau

Clemence de Forceville, Edgard Moreau, Grégoire Viecchioni, Paul Zientara
Pour l’apothéose du concert les trois directeurs artistiques des Rencontres Musicales de Nîmes, Alexandre Kantorow, Liya Petrova et Aurélien Pascal entrent en scène sous un tonnerre d’applaudissement.

Alexandre Kantorow, Aurélien Pascal, Liya Petrova
Dans un partage de chaque instant, une énergie débordante et une passion romantique fulgurante, les trois sublimes musiciens nous entrainent dans le premier trio de Mendelssohn. La partie de piano virtuosissime semble couler sous les doigts magiques d’Alexandre Kantorow, la divine Liya Petrova au violon est toute de passion extravertie et Aurélien Pascal au violoncelle dans un jeu ample est tout amour tant pour la partition que pour ses amis sur scène avec lui. La complicité si souvent évoquée de ces trois musiciens est un véritable enchantement. Le trio s’envole sur des cimes inédites : quelle musique ! Quels interprètes !! Et comme le public exulte lui aussi !!!

La complicité aux saluts
Cette quatrième année des Rencontres Musicales de Nîmes débute avec un éclat aveuglant. Tous les musiciens de la soirée sont rappelés (certains en civil) pour un salut final sous les vivats du public.

La fine équipe de la première soirée mémorable des Rencontres Musicales de Nimes 2025
La construction de ce programme a été admirable d’intelligence.
Quelle joie d’être présent à une si belle fête de la musique et de l’amitié. Dans un inoubliable partage si généreux.
Hubert Stoecklin
Photos : H.S.