Retrait de subventions, menaces du ministre de l’Intérieur, concert sous haute tension… Dimanche dernier, le trio de rappeurs irlandais Kneecap s’est produit au festival Rock en Seine, dans la région parisienne. Récit d’une programmation qui dérange le gouvernement.
Un demi-million d’euros. C’est la somme que le festival Rock en Seine s’est vu retirer pour avoir maintenu dans sa programmation Kneecap, un groupe de rap aux positions propalestiniennes marquées.
Une semaine avant le début des festivités, la ville de Saint-Cloud, qui accueille le festival, a retiré sa subvention de 40 000 euros. Un manque à gagner gérable, jusqu’à ce que la région Île-de-France annonce à son tour, quelques jours avant l’événement, l’annulation de sa subvention au festival. Une décision aux conséquences financières importantes, puisque cette aide s’élevait à 450 000 euros. Au total, près de 500 000 euros disparaissent du budget de l’édition 2025.
J-5 : La pression s’emballe

kneecap lors de sa prestation à Rock en seine. Photo: Tara Yates
Derrière ces retraits financiers se dessinent différentes pressions. Le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) exigeait la déprogrammation du groupe nord-irlandais pour ses prises de position propalestiniennes et un supposé soutien au Hezbollah. « Ils profanent la mémoire des 50 Français victimes du Hamas le 7-octobre comme de toutes les victimes françaises du Hezbollah », avait déclaré sur X Yonathan Arfi, président du Crif.
La pression s’est intensifiée lorsque le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau est intervenu personnellement. « Tout propos à caractère antisémite, d’apologie du terrorisme ou appelant à la haine » ferait « l’objet de poursuites judiciaires », a-t-il averti dans une lettre datée du 14 août. Un avertissement direct qui planait au-dessus du festival.
Le jour même du concert, le ministre a réitéré sa position, assurant qu’il « condamne fermement les propos qui ont pu être tenus par ce groupe » et précisant qu’il serait « très attentif » aux prestations du groupe.
Face à ces multiples pressions, l’organisation de Rock en Seine a tenté de trouver un équilibre. Des discussions ont eu lieu avec l’entourage des artistes pour clarifier leurs positions, et l’organisation affirme avoir obtenu confirmation qu’il n’y aurait pas de débordements.
Matthieu Pigasse, à la tête du festival, a défendu cette programmation au nom de la « liberté de création et d’expression ». « Il ne faut pas accepter le principe de censure parce que, sinon, c’est une vague qui va déferler sur les festivals et sur les médias », a-t-il déclaré.
Jour J : le concert maintenu malgré les tensions

Kneecap lors de sa prestation à Rock en seine. Photo: Tara Yates
Le concert a finalement eu lieu dans une atmosphère tendue. Durant leur prestation, les membres de Kneecap ont évoqué à plusieurs reprises la situation au Proche-Orient, déclarant notamment : « Netanyahou est un criminel de guerre » et « Si vous n’appelez pas cela un génocide, comment appelez-vous cela ? »
Dès leur arrivée au festival, le groupe avait affiché ses positions avec des messages explicites : « Free Palestine » écrit en blanc sur fond noir, accompagné d’autres phrases en français, telles que « Israël commet un génocide contre le peuple palestinien », « Plus de 90 000 personnes ont été assassinées par Israël en 22 mois » et « Le gouvernement français est complice : il vend et facilite le commerce d’armes à l’armée israélienne ».
Dès la première chanson, plusieurs dizaines de spectateurs membres du collectif « Nous vivrons », qui lutte contre l’antisémitisme, ont perturbé le début du concert en brandissant des affiches « Antisémites hors de nos fêtes ». Ils ont rapidement été évacués par les agents de sécurité.
« Quelqu’un veut nous empêcher de jouer », a réagi le chanteur au micro. « C’est que de l’amour. Libérez la Palestine. » « Ils ont essayé de nous virer de l’affiche, ils espéraient que cela nous mettrait en colère. Ils croient que nous sommes aussi violents qu’eux. Ils se trompent », a ajouté l’un des membres avant de poursuivre la prestation.
Un précédent européen
Cette polémique française s’inscrit dans une série de difficultés rencontrées par le groupe en Europe. En août, Kneecap devait se produire au festival Sziget en Hongrie, mais le gouvernement hongrois leur a interdit l’entrée du territoire. « Kneecap est officiellement interdit d’entrée en Hongrie pour antisémitisme et apologie du terrorisme », avait annoncé le porte-parole de l’exécutif Zoltan Kovacs, la mesure s’appliquant aux trois membres pour une durée de trois ans.
Au Royaume-Uni également, la justice s’intéresse au groupe. L’un des trois membres, Liam O’Hanna dit Mo Chara, est poursuivi pour « infraction terroriste » après s’être couvert d’un drapeau du Hezbollah lors d’un concert à Londres en 2024. Ce mouvement islamiste libanais pro-iranien est classé organisation terroriste au Royaume-Uni. Mo Chara a comparu mercredi dans la capitale britannique et est reparti libre, la décision étant reportée au 26 septembre.
En France, le groupe s’était déjà produit aux Eurockéennes de Belfort et au Cabaret Vert de Charleville-Mézières sans incident particulier. Ce qui avait rassuré les organisateurs de Rock en Seine, malgré la pression gouvernementale persistante.
Et ce lundi, le groupe irlandais a même annoncé quatre nouvelles dates dans la capitale française, en septembre et octobre. Pas sûr que la pilule soit facile à avaler du côté de leurs détracteurs…