C’était la soirée de clôture du Festival Cosmo Jazz le samedi 2 août 2025, Mère Nature était avec nous, comme l’a dit André Manoukian, qui l’a imaginé après celui de Chamonix : il ne faisait ni trop chaud, ni trop froid, et surtout il n’a pas plu.
Ce grand artiste, au demeurant fort sympathique, que l’on ne présente plus, avec sa faconde gasconne (même s’il est né à Lyon), nous a fait une brillante introduction sur la beauté de la nature dans ce Piémont pyrénéen (qu’il aime autant que celui des Alpes), et sur les origines arabo-andalouses des musiques d’Occitanie, sur le mariage entre l’Occident et l’Orient, sur ces « musiques qui donnent de la joie », dans la grande tradition des Troubadours, en faisant rayonner cette Convivencia, (qu’Alem Surre-Garcia a si bien défini au Centre des Musiques et Danses traditionnelles occitanes, comme « l’art de vivre ensemble le respect mutuel de l’altérité »; lors d’un concert de… Guillaume Lopez, qui assurait la première partie de cette soirée de clôture (avant les explosives barcelonaises de Maruja Limon) avec son Quartet: Thierry Roques (accordéon), Nicolas Gardel (trompette) et Simon Portefaix (percussions).

Quartet Guillaume Lopez © S. Renault
Ce concert dans un cadre exceptionnel, dans l’écrin de la grande forêt luchonnaise, tant aimée d’Edmond Rostand (1868-1918), toute ouïe, comme le très nombreux public, sur le parvis des Thermes de l’architecte Edmond Chambert (1811-1881) dont la verrière de 1880 qui occupe le tympan de la porte d’entrée (représentant une allégorie de la vallée du Lys et de la vallée d’Oueil, dans un décor pastoral (fleurs, eaux, montagnes), ainsi que des armoiries de la ville de Luchon) servait ce soir de fond de scène, et sous les yeux de la statue majestueuse de Monsieur d’Etigny (1719-1767) qui n’en croyait pas ses yeux, ne pouvait être qu’exceptionnel.
Guillaume Lopez, dont j’ai déjà eu plusieurs occasions de vous entretenir, le principal compositeur et l’initiateur du projet Anda-Lutz, merveilleux chanteur en espagnol, en occitan, et en français bien sûr, est aussi un mélodiste hors-pair avec ses flûtes comme nous avons pu nous en rendre compte durant son solo sur « Aure » (musique de Christian Vieussens).
Thierry Roques, l’accordéoniste complice de Guillaume Lopez depuis au moins deux décennies, à la fois mélodique et rythmique, est l’autre cheville ouvrière du quartet ; il nous a régalé d’un solo sur « Coûte que coûte » (musique de Frederic de Monpou, texte de Guillaume Lopez) enchaîné avec « Mi Granad »a (musique trad arabo andalouse/ texte Guillaume Lopez).
Nicolas Gardel, le trompettiste tout en puissance mélodique, apporte une tonalité jazzy bien dans l’esprit de Cosmo Jazz (d’ailleurs, l’après-midi dans la cour du Castel d’Alti, André Manoukian au piano bien sûr et lui ont donné un concert impromptu qui a ravi les spectateurs privilégiés ayant la chance de se trouver là à ce moment-là): « Su memoria, su destino, un poème de Guillaume Lopez, a bien démontré sa virtuosité:
Simon Portefaix, le percussionniste très fin, est tout à fait dans l’esprit de cette musique comme nous avons pu nous en rendre compte avec son solo sur Ostal Blanc (musique Guillaume Lopez).
Il ne faut pas oublier le cinquième membre du groupe, le sonorisateur Alfonso Bravo, « Le son à l’état pur, pour le plaisir des oreilles. » Il fait partie, comme Jean-Jacques Lassus, de ces sonorisateurs qui n’oublient jamais que la sonorisation est avant tout un instrument pour restituer le talent des musiciens, y compris leur voix chantée et la compréhension des textes; et c’était ce soir fort bienvenu.
Les solis, duos, trios et quatuors, s’enchainaient comme l’eau des ruisseaux de la montagne alentour chantés par Edmonds Rostand (dont l’arrière-grand-mère était de Cadix, ce n’est pas un hasard):
Dans l’herbe, au fond du précipice,
Caressant ou rongeant le bord,
Partout l’eau sourd, l’eau court, l’eau glisse,
L’eau fuit, l’eau bout, l’eau rit, l’eau dort!
Quand l’eau semble absente, un bruit tendre
Nous avise qu’elle est tout près (…)
Des petits bonheurs, alors qu’on parle de canicule aquatique, les lacs des Pyrénées et leur écosystème menacés par le réchauffement climatique
« Douceur », une composition de Driss El Maloumi, qui porte bien son nom avec son thème moyen-oriental envoutant, était tout à fait d’à-propos dans cette veine aquatique.
« El Olivo del Abuelo », l’Olivier des grands-parents, a été composé par Thierry Roques sur un texte de Guillaume en souvenir de ses grands-parents andalous enterrés sous un olivier sur la colline de Granada (on se souvient de « Somi de Granada », très bel album avec Guillaume Lopez déjà).
Ce morceau réveille la mémoire très forte des liens entre Bagnères-de-Luchon et l’Espagne : cette ville, « terre d’accueil, de passage et de partage, a toujours eu des relations privilégiées depuis les temps immémoriaux avec ses voisins et amis espagnols. Et nous n’oublions pas qu’en hiver 1939, plus près de nous, des milliers d’espagnols ont fuient la guerre civile et ont passé les cols enneigés après la prise du haut Aragon par les franquistes, accueillis avec chaleur par de nombreux Luchonnais, en particulier à l’Hospice de France (2).
Dans sa chanson «Sul Camin de l’Exil», Guillaume Lopez évoque les mémoires de ses grands-pères Républicains sur son dernier album « Thouxazun e Convits »:
Sur le chemin poussiéreux de la campagne
Tu es parti loin de ton pays
Des centaines d’amis t’accompagnent
Grands et petits cherchent un paradis.
Partir pour rester en vie
Ils ont quitté leur terre, familles et guerre
Pour chercher bientôt un nouveau nid
Dans mon quartier ils ont rêvé l’exil
Sur la barque vogue la galère
Souffle le vent, la peur d’un moment
Des centaines d’amis qui sont morts
Grands et petits cherchent un paradis
Partir pour rester
Ils ont quitté leur terre, familles et guerre
Pour chercher bientôt un nouveau nid
Dans mon quartier ils ont rêvé l’exil
« Jamei jo non veirei », un chant des Pyrénées, enchainé avec « Le Champ des Dunes », une superbe composition (encore de Guillaume Lopez) débute par un magnifique a cappella qui nous a donné des frissons, rejoint par l’accordéon et la trompette, pour enchaîner sur Le champ de Dunes », une danse endiablée qui fait vibrer les chaises des danseur.e.s assis; le public était enthousiaste et deux fillettes craquantes, dont une toute petite, se sont mises spontanément à danser devant la scène, entrainant d’autres bambins avec elles.
« Sense Tu », sur une musique traditionnelle turque avec des paroles Guillaume Lopez enchaînée avec » Revolum de Posca », un poème Alem Surre Garcia, a suscité une attention recueillie.
Sur « Pacifique/ D’une chose à l’autre », une bourrée d’inspiration quercynoise , Guillaume Lopez donne « un cours de chant » à la fois très occitan et très oriental suivi avec ferveur par tout le public.
« Ô Tolosa », la version occitane de « Ô Toulouse » de Claude Nougaro, adaptée par Eric Fraj, est reprise en chœur par toute l’assistance.
En conclusion, « Boha Malice » de Guillaume Lopez où il a pris sa boha (cornemuse des Landes de Gascogne ), en peau de chèvre retournée, qui a sidéré mon petit-fils ravi par ce qui était son premier concert de Musique du Monde, (comme l’on disait du temps de la Mounède ( ) où Guillaume Lopez « a fait ses premières armes » avec tous les musiciens qui venaient y jouer) et « Sueño de Launac » de Thierry Roques, ont provoqué une standing ovation.
Ce fut vraiment un concert d’anthologie dont Luchon se souviendra longtemps.
Anda-Lutz , cette création de Guillaume Lopez en 2017 soutenue par le Conseil régional d’Occitanie (un grand merci à lui), entre l’Occitanie et le Maghreb, entre Toulouse et Casablanca, dont je vous ai déjà informé.e.s, ne pouvait être mieux choisie pour illustrer la profession de foi d’André Manoukian: « Mettre en musique la beauté du monde. »
Il a eu raison de remercier chaleureusement les protagonistes de ce Festival (entièrement gratuit il faut le souligner !) en particulier l’adjoint à la Culture de la Mairie de Bagnères-de-Luchon qui n’a pas perdu une goutte du concert au premier rang.
A signaler que des concerts ont eu lieu au bord du Lac d’Oo (une prouesse technique) et devant l’Hospice de France, (que j’ai évoqué plus haut) suivant le désir du maître d’œuvre de cette deuxième édition de Cosmo Jazz qui se veut « Festival libre et vibrant, porté par la passion d’André Manoukian. Entre sommets pyrénéens et vallées verdoyantes, laissez-vous emporter par une aventure musicale unique, où chaque note devient un souffle de liberté. » Ce fut bien notre cas ce soir-là.
On dit que « la vérité sort de la bouche des enfants » et mon petit-fils m’a dit en repartant : » Merci Papy, c’était un concert exceptionnel dans un lieu exceptionnel, c’est dommage que ce soit déjà fini : nous étions loin du chaos du monde et j’aurai bien aimé que le temps s’arrête. »
Alors, sachant qu’il aime comme moi la Poésie, je lui ai récité les fameux vers d’Alphonse de Lamartine :
» Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !
PS.1 : Bonne nouvelle : le nouvel album de Guillaume Lopez, enregistré avec des musiciens rencontrés sur la route de son périple en Argentine sortira sur toutes les plateformes en novembre prochain chez le Label Irfan des Ogres de Barback.
PS.2 : A ne pas rater, toujours à Luchon, le 16 août prochain, 20h – Parc du Casino: Concert de La Mal Coiffée, pionnières des groupes vocaux féminins occitans, présentera son nouvel album, dans une ambiance festive et dansante; avec également Plume (Auvergne) et Orchestrina Trama (Catalogne), dans le cadre du Festival Hèsta Gasconha. Entrée libre.
Pour en savoir plus:
1) Guillaume Lopez: Toutes les infos sur https://www.guillaume-lopez.fr
CAMOM – Cie Guillaume Lopez Collectif Artistique et Musical Occitanie Méditerranée 06 22 44 19 97
Anda Lutz: Bande annonce du film :
2) “Le passage du port de Venasque en hiver 39, descente périlleuse, fut parfois mortelle. Les Luchonnais qui viennent à la rescousse, tracent un passage, installent des mains courantes. Et l’accueil généreux à Luchon, réconfort, soins, soupe. J’ai rencontré un jour au Bellevue un vieux monsieur qui avait passé le Port, dans les bras de ses parents, ses doigts commençaient à geler. Émotion, mémoire, respect: « On ne laisse pas un migrant sur le chemin. Pas plus aujourd’hui qu’hier. De nombreux luchonnais, montagnards aguerris, aidèrent les civils (femmes, enfants, vieillards), qui n’étaient pas chaussés correctement pour marcher dans la neige dure de printemps, à passer le Port de la Picade et surtout à les assurer pour la descente dans le vallon de la Fraîche bien enneigé. La municipalité luchonnaise et la population rivalisent de générosité. Les malades ont été installés à l’hôpital thermal. Des milliers de sandwichs, du café, du thé, du chocolat ont été distribués… Christian De Miegeville, Président de l’Association LUCHON d’ANTAN