Critique. Concert. 45ème Festival de La Roque d’Anthéron. Parc du château Florans, le 28 juillet 2025. Robert Schumann (1810-1856) : Blumenstück ; Fantaisie en ut majeur ; Modest Moussorgski (1839-1881) : Tableaux d’une exposition ; Benjamin Grosvenor, piano.
Le son de Grosvenor est celui d’un maître d’atelier de peinture à l’huile.
Nous avons déjà entendu la version de Blumenstück de Schumann par Benjamin Grosvenor en 2019. Nous avions loué à l’époque le ton simple, la pureté du jeu, la beauté du son. Cela évoquait un bouquet de fleurs champêtres. Ce soir 6 ans après l’art du pianiste anglais s’est développé. Le sentiment de beauté sonore reste l’impression première. Mais ce soir le développement des couleurs, des nuances et la délicatesse des phrasés évoquent clairement un bouquet de fleurs plus complexes et moins sauvages. Des fleurs de serre aux couleurs plus vives, aux parfums plus capiteux dans un camaïeu de couleur vert-bleu. Le coup de pinceau est invisible et le glacis est transparent. Les nuances très subtiles vont de pianissimo à mezzo-forte. Un bouquet d’amour serein et élégant certain d’être accepté.
C’est par le développement des nuances, la plénitude du son plus grandiose, les phrasés plus amples et les couleurs plus vives que Benjamin Grosvenor rentre dans l’univers plus sombre et plus contrasté de la Fantaisie en ut majeur. Le discours se fait intimiste ou plus extraverti mais sans véritable violence, toujours dans cette élégance aristocratique qui accompagne le jeu du pianiste anglais. La beauté de la musique de Schumann irradie avec un son de cette plénitude. Les nuances vont vers le Forte. Le pianiste-peintre est très applaudi à la fin de cette première partie.
Puis Benjamin Grosvenor change de jeu et semble changer de piano. La deuxième partie consacrée aux Tableaux d’une exposition de Moussorgski va nous transporter dans un monde de couleurs vives et chatoyantes. Le motif de la promenade va changer au cours de la visite de l’exposition, s’enrichir, se complexifier. Les moments de richesse harmonique et rythmique sont magnifiés. La perfection du jeu met toute la virtuosité au service de la narration. Les tableaux sont tous bien visibles et sont très « parlants ». Les nuances vont du ppp au FFFF. Chaque instant est construit avec un art suprême. Les effets pianistiques si savoureux de Moussorgski deviennent de la magie sous des mains si sûres. Le dernier tableau de la porte de Kiev ferait trembler les murs avec ces cloches si puissantes. La beauté du son forte ultime et qui sera le plus puissant de la soirée est incroyable.
Le public de connaisseurs de La Roque d’Anthéron ne s’y est pas trompé. Il a fait une ovation au pianiste. Celui ci tous sourires a offert un magnifique bis avec le jeu d’eau de Ravel. Autant dire que l’élément liquide été présent sous les doits magiques de Benjamin Grosvneor comme peu de fois. C’était absolument bouleversant de beauté. Vraiment quel artiste!
Benjamin Grosvenor développe un art de la couleur, des contrastes et des nuances dignes d’un Véronèse puis d’un Delacroix. Le programme bien construit nous a progressivement conquis en allant vers une beauté sonore de plus en plus généreuse. Ce pianiste arrive dans une plénitude de son art sonore que peu de ses collègues possèdent.
Nous le retrouverons avec grand intérêt dans cette si belle évolution.
Photos : Valentine Chauvin
Ecrit par Hubert Stoecklin