Adapté d’un roman de Sorj Chalandon, « Le quatrième mur », de David Oelhoffen, nous plonge dans le Liban déchiré par la guerre civile dans les années 1980. Un retour sur un passé douloureux qui fait terriblement écho à l’actualité.
Avec quels yeux aurait-on regardé la guerre au Liban si on y avait été confronté brutalement ? Tel est le point de départ du « Quatrième mur », roman de Sorj Chalandon, qui fut longtemps grand reporter et à ce titre observateur privilégié d’un conflit qui a duré de 1975 à 1990. L’homme ainsi plongé dans un chaudron accepte, en 1982, de rompre avec sa vie parisienne monotone à la demande d’un metteur en scène de théâtre malade auquel il est très attaché. Sa mission : monter « Antigone », de Jean Anouilh, dans un théâtre de Beyrouth situé sur la ligne de front, avec des comédiens issus des différentes communautés réglant habituellement leurs différents en semant la mort sur leur passage. L’héroïne est interprétée par une Palestinienne qui habite dans le camp de Chatila (où les milices chrétiennes assassineront plusieurs centaines de civils en septembre 1982). Elle est entourée d’un chrétien, d’un druze, d’une Arménienne, etc. que le metteur en scène (Laurent Laffite, très sobre en artiste à l’écoute peu à peu miné de l’intérieur) va devoir convaincre, passant d’un quartier à l’autre de la ville ultra-militarisée en compagnie de son chauffeur druze (Simon Abkarian, parfait en homme d’une grande douceur finalement happé par la spirale de la violence).
Dans son adaptation, David Oelhoffen réussit à rendre la tension palpable, chaque seconde pouvant être la dernière. Il sait utiliser les décors naturels d’une ville qui porte encore des stigmates de la guerre (le film a été tourné en grande partie au Liban) et paraît receler bien des menaces. Le réalisateur, dont c’est le 5e film après notamment « Le dernier homme » et « Frères ennemis », évite plusieurs écueils : il ne s’attarde pas sur les répétitions d’« Antigone » (le théâtre est rarement cinématographique) et ne délivre aucune explication politique ou religieuse à la situation inextricable dans laquelle s’est fourguée l’ancienne « Suisse de l’Orient » – qui a connu bien d’autres malheurs depuis. Quand elle est évoquée, la pièce d’Anouilh est l’occasion d’une réflexion intéressante sur la différence entre la tragédie, où aucun espoir n’est permis, et le drame, dans lequel on lutte pour échapper au pire. Quant à la géopolitique, elle est résumée par un des premiers échanges entre le metteur en scène et son chauffeur, une nuit comme les autres où claquent les armes automatiques. « Qui tire ? », demande le premier. « C’est le Liban qui tire sur le Liban », répond le second.
« Le quatrième mur », sortie au cinéma mercredi 15 janvier.