Jeudi 15 février à la Halle, 20h, encore un grand concert symphonique en cette période hivernale. Les musiciens de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse sont dirigés par Petr Popelka, chef tchèque. Le concert débute avec Carnaval Ouverture d’Antonín Dvořák suivi du Concerto pour violoncelle n°2 de Dimitri Chostakovitch avec pour soliste Truls Mørk qui nous revient enfin. Pour clore, la version du chef de la Suite du Romeo et Juliette de Serge Prokofiev.
Petr Popelka : Vivace n° 18 ! que vous consulterez nous dit l’essentiel sur ce chef tchèque.
Carnaval Ouverture dans le triptyque In der nature, ouverture op. 92
1890, Anton Dvořák est toujours aussi prolifique. Comme sa musique de chambre, ses concertos ou ses symphonies, ses pièces plus narratives ne rompent jamais totalement avec les formes classiques. S’il a signé treize ouvertures, la plupart d’entre elles ont été pensées soit pour un opéra, soit pour une pièce de théâtre, dans le cadre alors fréquent de la musique de scène. Et c’est durant 1891 que, retrouvant sa résidence de campagne, il y entreprend la composition de « Nature, Vie et Amour », réunissant autour d’un même thème mélodique trois ouvertures de concert : Dans le royaume de la nature, Ouverture de Carnaval et Othello. Elles ont été conçues pour le concert.
En effet, Vie est devenu Carnaval. Cet opus est dédié à l’Université de Prague qui venait de l’honorer en le faisant docteur honoris causa. Quel parcours pour un enfant qui devait devenir apprenti-boucher ! Carnaval fut créé le 28 avril 1892 au Rudolfinum de Prague sous la direction du… compositeur lui-même. Débordante d’énergie pour ces quelques minutes, elle est joyeuse et pleine d’énergie.
Le violoncelliste norvégien a dû tout interpréter du répertoire lié à son instrument de prédilection tout au long de sa riche carrière, jusqu’au Suites de J. S. Bach. Tout enregistré ? cela ne doit pas en être loin. Citons juste ces quelques mots qu’il livre en novembre 2008 sur l’œuvre qu’il interprète lors de ce concert : « C’est un des chefs-d’œuvre du répertoire, malheureusement moins connu que le n°1, plus démonstratif. Il délivre un message à la fois profond et sibyllin à travers des formules “grotesques“ et grinçantes, typiques de leur auteur. »
Concerto pour violoncelle et orchestre n°2, op.126I Largo 15’
II Scherzo (Allegro) 4’
III Finale (Allegretto) 17’
Enfouie sous les contraintes et persécutions, l’existence de Dimitri Chostakovitch aura été entièrement fidèle à la terre russe. Malgré la terreur psychologique institutionnalisée par le régime soviétique, le dernier Géant de l’écriture symphonique laisse une œuvre considérable, universellement reconnue. Il décède en 1975 à 69 ans. Il est ainsi impossible d’écouter la moindre de ses partitions tout en ignorant le déroulé de son existence.
Ce concerto fut achevé en avril 1966 et composé comme le n°1 pour Mstislav Rostropovich, à qui il est dédié. Il fut créé en septembre de la même année par le dédicataire pour un concert de gala en l’honneur des 60 ans du compositeur, gala au cours duquel il reçut le titre de Héros du travail socialiste, le premier musicien de toute l’histoire de la musique soviétique à recevoir cette distinction.
Le compositeur a écrit deux concertos pour chacun des trois instruments privilégiés de cette forme musicale, le piano, le violon et le violoncelle. Ceux pour violon et violoncelle seront directement inspirés par les virtuoses les plus accomplis du XXè siècle, David Oïstrakh et Mstislav Rostropovitch. Deux à chaque fois, il paraît difficile de parler de simple coïncidence : cette symétrie formelle fait pendant aux conceptions divergentes de la musique concertante qui s’y expriment. Ce principe s’applique tout particulièrement aux deux concertos pour violoncelle, composés à sept ans d’intervalle. De durée comparable, ils comportent chacun trois mouvements et se ressemblent également par l’importance accordée au soliste et par l’orchestration réduite. On note l’absence de trompettes et de trombones. Cependant, leurs caractéristiques essentielles sont fondamentalement différentes.
Tandis que le Concerto n°1 est écrit dans l’esprit virtuose et ludique du divertimento classique, sous un masque caricatural, satirique et grimaçant, le Concerto n°2 brille de toute cette originalité dont Chostakovitch a fait preuve dans l’immense majorité de ses œuvres. Il est dominé par un lyrisme douloureux, une forme méditative à la limite de la symphonie, un constant monologue intérieur tourmenté jusqu’à l’obsession. Sous des accents tragicomiques, une stoïque tristesse marque en filigrane ce concerto déchiré. Cette mélancolie ne se dément pas dans les moments contrastés, aux allures de scherzo, empreints d’une gaieté violente et exubérante, où se dévoile sans pudeur aucune la nature banalement animale de ses pulsions et dont le spectacle nous fait reculer en frissonnant.
Une écriture musicale aussi franchement narrative et ouvertement évocatrice ne peut qu’inciter à rechercher les motifs et les causes de la naissance d’une œuvre pareille. Comme l’affirme l’un des récents biographes de Chostakovitch, l’œuvre serait-elle un cadeau que le compositeur s’est offert à lui-même pour se dédouaner des hommages dont l’accablaient les officiels à l’occasion de son soixantième anniversaire. Pas moins de quatre médailles ou équivalents lui furent décernés. Dans son concerto, il aurait ainsi désiré brosser un autoportrait intérieur débarrassé de tout fard. Dans une parodie amère de son existence factice, il aurait voulu illustrer la tragédie d’un artiste dissimulant depuis des années des vérités intransigeantes et douloureuses sous la grimace d’un sourire de circonstance.
Cependant, on sait que Chostakovitch lui-même se méfiait – à juste titre – de toutes les explications intellectuelles ou assimilées qu’on pouvait proposer pour interpréter ses énigmes musicales. Non pas par désir de protéger à tout prix ses secrets mais parce qu’il préférait s’en remettre au langage évident de ses images musicales. Il se fiait avant tout à la capacité de ses auditeurs de comprendre sa musique sans avoir besoin d’explications, « de l’appréhender par la seule richesse des sens concrets suggérés par l’héritage romantique. »
D’une part, nous n’en savons toujours pas assez sur ses motivations et sur les intentions personnelles qu’il incorporait dans son œuvre créatrice. D’autre part, nous en avons trop appris pour prêter foi encore aux clichés héroïques élaborés qui sévissent toujours dans la patrie du compositeur, clichés de plus en plus nombreux au fur et à mesure que le musicien est de plus en plus joué aux quatre coins du monde. Dire, par exemple, de ce Concerto pour violoncelle n°2 qu’il « exprime les idées et les sentiments qui ont marqué notre époque » revient à avancer un argument qui sonne plutôt creux, bien loin d’être irréfutable.
Et pourtant, elle existe, cette œuvre vivante, cette création musicale particulière, unique en son genre, dont Benjamin Britten, ami du compositeur, disait qu’elle était un des concertos les plus importants du XXè siècle. Divisé en trois mouvements, le concerto n’obéit pourtant pas aux modèles traditionnels, car la dramaturgie de cette « partition concertante empreinte de tragédie » l’emporte dans une autre direction. Le concerto met en scène une lutte acharnée entre la partie solo et l’accompagnement orchestral, une âpre conquête de l’espace sonore, une aspiration à l’harmonie et à des moments de sérénité difficiles à faire émerger : en somme, une sorte de ballade harmonique sur le thème de la …défaite.
« Les grandes courbes de ce récit lyrique parviennent à un sommet dramatique, où le violoncelle déchire réellement l’âme. » Mstislav Rostropovitch
De Mstislav toujours : « Chostakovitch n’avait pas encore terminé son Concerto n°2 lorsqu’il me fit venir à sa datcha. Il me joua presque entièrement le concerto. J’en fus bouleversé. Quand j’eus maîtrisé parfaitement l’œuvre, Chostakovitch se trouvait en Crimée, avec son épouse, non loin de Yalta. Pour la jouer devant lui, je dus aller l’y rejoindre avec Dedioukhine. Dans un petit théâtre qui possédait un piano, je jouai donc ce n°2. J’étais tellement enthousiaste que la nuit qui suivit, j ‘allai à son hôtel et je glissai sous sa porte une lettre dithyrambique. D. C. ne me dit jamais s’il l’avait lue et je ne lui ai jamais posé la question…(…) Dans la seconde partie, il utilise une vieille chanson d’Odessa,“ Achetez des boublikis (craquelins)“, où se retrouve toute la douleur du monde…Le finale se clôt sur une trouvaille géniale : les résonances du violoncelle et des percussions se fondent pour nous emporter dans un autre monde. Cette première interprétation eut lieu le 25 septembre 1967, le jour anniversaire des 61 ans du compositeur qui y assistait, et ce, dans la grande salle du Conservatoire de Moscou. » Son fils Maxim était au pupitre et Rostropovitch, le soliste.
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Serge Prokofiev, Romeo et Juliette, suite
En 1934, à propos de la musique de son ballet, Prokofiev publie dans un journal national Izvestia, un article intitulé Chemin de la musique soviétique : « On pourrait qualifier la musique dont on a besoin ici de « facile et savante », ou de « savante mais facile » … Avant tout, elle doit être mélodique…La simplicité ne doit pas être une simplicité passée de mode, mais une simplicité nouvelle. » Dorigné, Serge Prokofiev, Fayard, 1994, p. 419
Concernant la composition de l’orchestre, il s’agit d’un groupe spécifique “de Prokofiev“ : timbales et grandes batteries fournies, 2 harpes, 2 mandolines ?, piano et cloches (les fameuses cloches, souvenir de celles de la cathédrale Sainte-Sophie de Novgorod, berceau de son enfance). Les bois sont par trois, saxophone ténor, les trombones et les trompettes par trois aussi, cornet à pistons, quatre à six cors, le tuba, les pupitres de cordes (60)
Prokofiev tira une série de douze Pièces pour piano, et, tira aussi de la musique du ballet, trois Suites pour orchestre. Mais, rien ne vaut la partition en entier. Le ballet intégral est de 145 minutes environ, en trois actes et comporte 52 numéros !! C’est dans ces numéros que Prokofiev a déterminé ses deux Suites les plus prisées mais, la plupart des chefs d’orchestre maintenant, décident de leur programme et même ne respectent plus une certaine chronologie dans l’histoire. Toutefois, aucun, à ce jour, n’a osé encore faire commencer l’œuvre par, la mort des deux jeunes amants !!
Petr Popelka crée sa propre suite en ce sens qu’il respecte l’ordre chronologique des différents numéros sauf pour ceux se rapportant à la mort de Tybalt qu’il place en fin de suite de par leur grande puissance dramatique.
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Orchestre national du Capitole