Le 29 septembre dernier s’achevait la 44ème édition du festival international Piano aux Jacobins. Si cette édition a mis l’accent sur l’émergence des nouveaux talents du riche monde du clavier, les grands noms des « habitués » de cette vivifiante manifestation s’y sont brillamment exprimés. A preuve ce brillantissime retour de la grande Elisabeth Leonskaja pour le concert de clôture.
Il n’est certes plus nécessaire de présenter cette artiste qui compte, depuis plusieurs décennies parmi les plus grands pianistes de notre époque. Pour ce dernier récital du festival 2023, Elisabeth Leonskaja a choisi de se consacrer à un seul compositeur, Franz Schubert. Comme celle qui l’a précédée au cours de cette édition, Anne-Marie Mc Dermott, Elisabeth Leonskaja investit le monde prolifique des sonates de celui qui vécut si peu et produisit tant de chefs-d’œuvre. En ouverture de ce concert, Catherine d’Argoubet annonce que la pianiste dédie son récital à son collègue Nicholas Angelich, récemment et trop tôt disparu. Une attention touchante qu’il convient de souligner.
Trois sonates sont inscrites au programme de cette soirée de rêve. Trois sonates aux spécificités très différentes que l’interprète visite comme on rend hommage à un ami de longue date.
Tout au long de la soirée s’exprime un profond talent de musicienne qui dépasse même le seul monde du piano. Sous ses doigts, le clavier n’est qu’un instrument qui sert la musique. Ce qui frappe surtout, c’est ce sens un peu magique de la polyphonie. La hiérarchisation des voix qui se superposent atteint une incroyable perfection. L’attention de l’auditeurs est ainsi guidée vers l’essentiel.
La première partition de ce programme est la Sonate n° 7, en mi mineur D. 566, à l’histoire particulièrement compliquée. Restée inachevée, elle ne comporte que trois mouvements au lieu des quatre traditionnels. Au point que ses successeurs lui ont adjoint un final qui n’est autre que l’Allegretto moto D 506. Ce soir-là, Elisabeth Leonskaja ne joue que les trois mouvements initialement publiés par Schubert lui-même. On retrouve dans son interprétation ce sourire à travers les larmes qui vient souvent éclairer le discours comme s’il s’agissait d’un lied sans parole…
Le chant s’élève encore tout au long de la Sonate n° 21 en ut mineur D 958. Cette partition ouvre la grande trilogie que Schubert composa en septembre 1828, moins de deux mois avant sa mort. Angoisse et passion se disputent l’Allegro initial que l’interprète joue avec une énergie impressionnante. Elle oppose avec vigueur la sérénité et la révolte qui se partagent l’Adagio, alors qu’une touchante tendresse parcourt le Menuetto. L’Allegro final, sur un rythme de tarentelle, est abordé par l’interprète comme une course inquiétante. Là encore la puissance du toucher frappe par son intensité et sa force de conviction.
La Sonate n° 18, en ré majeur D 845 complète ce riche panorama. Réputée sombre et mélancolique, elle se trouve ici considérablement éclairée par le jeu lumineux et passionné de l’interprète. Accords martelés alternent avec la puissance de montées chromatiques dans le vaste Moderato initial. L’Andante poco moto s’anime de contrastes entre grâce légère et virtuosité vibrante. La pianiste souligne les alternances si typiques de Schubert entre mode majeur et mode mineur du bref Scherzo. L’agitation et la fièvre tourbillonnante animent le Rondo conclusif. Elisabeth Leonskaja domine ces trois partitions et leur confère une vitalité impressionnante.
Une ovation spontanée salue cette prestation, incitant la pianiste à offrir un bis particulier. Elle joue alors un sublime Nocturne de Frédéric Chopin dont on peut supposer qu’il représente un hommage au pianiste auquel elle a dédié ce concert, le grand Nicholas Angelich.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse