Le rap est aujourd’hui la musique la plus écoutée par les jeunes. Le hasard fait que sortent en même temps l’intégrale de Grandmaster Flash et le DVD du film Suprêmes (sur NTM) qui en furent, l’un et l’autre, un peu les pionniers dans leurs pays respectifs (les USA pour Grandmaster Flash et la France pour NTM). Sans oublier le retour en solo d’un ancêtre du genre : Abiodun Oyewole des Last Poets.
LAST POET
Le rap est une musique aux origines variées et complexes, pouvant tant remonter aux griots africains qu’aux sound systems jamaïcains, aux disques de Gil Scott-Heron, sans compter les apports pris au blues, au gospel, à la soul, au jazz, etc. Il faut aussi resituer l’époque des années 1970 marquées par l’émergence des luttes du Black Panther et autres – elles-mêmes faisant suite au mouvement des droits civiques des 60’s – ou de la blaxploitation (avec certains succès comme Shaft)…
La préhistoire du rap c’est aussi les Last Poets, les poèmes urbains de Jalal Mansur Nuriddin et des siens nés dès la fin des années 1960. Ce groupe empruntait son nom à Keorapetse Kgositsile, un révolutionnaire d’Afrique du Sud qui pensait que son époque était celle des derniers poètes avant l’avènement de la violence totale. Un des derniers survivants du groupe originel, Abiodun Oyewole, sort Gratitude (Fire Records) qui renoue avec ce flow lancinant et, ici, nostalgique.
THE MESSAGE
En 1979, la réalisatrice américaine Sylvia Robinson avait chopé dans la rue trois rapeurs du New Jersey qu’elle réunit dans le groupe ad hoc Sugarhill Gang. Le groupe cartonna avec le tube « Rapper’s Delight » utilisant un gimmick piqué au « Good Times » de Chic.
Deux ans plus tard, le rapeur new-yorkais Grandmaster Flash (de son vrai nom Joseph Saddler) allait définitivement imposer le genre, notamment avec le tube « The Message ». Et le message était en effet plus novateur encore (utilisation de scratchs pour la première fois – jouant simultanément deux vinyls pour un son fusionné dont on peut ralentir et accélérer la vitesse), avec l’évocation du Bronx :
« Verre brisé partout/ mecs qui pissent dans les escaliers, tu sais qu’ils en ont rien à foutre/ J’en peux plus de l’odeur, j’en peux plus du bruit/ Pas d’argent pour fuir, je crois que je n’ai pas le choix/ Des rats dans l’entrée, des cafards dans la chambre/ Des junkies dans la rue avec des battes de baseball/ J’ai essayé de me barrer mais je ne suis pas allé bien loin/ Parce que le mec à la dépanneuse a pris ma caisse. »
Notons d’ailleurs que Grandmaster Flash appréciait aussi cet aspect robotique, sans doute inspiré par Kraftwerk, dans sa musique.
SUPRÊMES
Tout le monde connaît NTM en France. Ils étaient d’ailleurs plus intéressants avec un son plus américain et puissant qu’IAM (davantage dans une filiation chanson et gentiment funk). Le film d’Audrey Estrougo restitue fort bien l’époque et l’ascension du groupe, avec tous les ingrédients du truc : le graf, le hip-hop en tant que danse, le posse (on est loin du schéma du groupe de rock à 4 – même si on a eu quelques exemples identiques dans le punk, cf. les Bérus et sa chorale des agités et ses acrobates déglingués), la banlieue et sa révolte… Très intéressant aussi, la dualité entre Kool Shen et Joey Starr, leur complémentarité, leurs fêlures (surtout celles de Starr, ayant grandi auprès d’un père véritablement infect), avec un Shen très McCartney/Jagger, posé et organisateur, et un Joey Starr très Lennon/Richards, partant en vrille mais amenant une touche de folie au plus punk des groupes de rap français. Sans oublier le duo de producteur/manageur Farran/Chevallier, beau témoignage de branchitude toc alliée à un flair indéniable.
Les acteurs incarnant le duo sont excellents de réalisme (il vaut saluer la performance car c’en est une) et ce film fera date pour ceux qui s’intéressent à cette culture et à la musique, même s’il est parfois un peu manichéen (c’est son seul très léger défaut).
Album Abiodun Oyewole : LIEN DIRECT
Réédition Grandmaster Flash : LIEN DIRECT