Pérégrinations gastronomiques, solides et liquides, à Toulouse et parfois un peu ailleurs.
Rien de plus éphémère que l’art de la table et de la gastronomie. Que reste-t-il de nos plus beaux repas ? Rien, sinon nos souvenirs. On peut à l’occasion revoir ou réentendre un concert, relire un livre, revoir un film à l’infini, mais les bonheurs gastronomiques ne sont pas duplicables et ce ne sont pas des photos sur Instagram qui vont reconstituer la magie d’un déjeuner, les éclats d’un plat, l’ivresse suscitée par un vin. La cuisine a par essence partie liée avec la mémoire. Mémoire du goût, des lieux, des êtres. Une valeur refuge. D’autant qu’un peu plus de deux ans après notre entrée dans l’ère Covid, les tables toulousaines semblent figées. Pas de fermetures d’établissements (malgré les sombres prédictions des représentants de la profession), mais peu de créations. La tendance est à des cartes raccourcies et à des tarifs à la hausse. Le « quoi qu’il en coûte » est, sans surprise, à la charge du client.
Vins naturels et cuisine de bistrot au Mauzac
Alors, pourquoi ne pas revenir dans le passé et se souvenir de restaurants qui n’existent plus ? Au début du XXIème siècle, notre repaire favori était Le Mauzac, boulevard Lascrosses. Un vrai bistrot créé par Jean-Michel Delhoume et son épouse Christine venus de Paris. Ouvert du matin au soir, Le Mauzac proposait des plats savoureux, directs, mariant gourmandise et authenticité. Côté liquide, c’était le paradis pour les amateurs de vins naturels qui n’étaient pas encore à la mode à Toulouse.
Les flacons de Villemade, Puzelat, Derain, Lapierre, Richaud, Hauvette, Landron et bien sûr des Plageoles (qui ressuscitèrent le cépage mauzac à Gaillac) se bousculaient sur les tables. En prenant le patron par les sentiments, on pouvait obtenir un vieux Gramenon ou une cuvée Reflets de Thierry Michon, millésime 1995. Un rouge du domaine de Peyra valait 10 euros. Le tort de Jean-Michel Delhoume est d’être arrivé trop tôt dans une cité endormie qui ne cesserait par la suite de découvrir avec quinze ans de retard la « bistronomie ».
Au bonheur des Carmes
La Rôtisserie des Carmes d’Alain Chabrier a laissé beaucoup d’orphelins. Là-bas aussi, on ne plaisantait pas avec les fondamentaux. Gibiers et volailles étaient à l’honneur. Des plats simples – merveilleux bacalao – gagnaient leurs titres de noblesse. Le maître des lieux évoluait avec bonhomie entre ses habitués et les clients de passage. Que de déjeuners ou de dîners d’anthologie dans ces murs… Seule consolation, Simon Carlier prit le relais de Chabrier avec son restaurant Solides.
On n’a pas oublié que le meilleur restaurant de poissons fut longtemps le Casanou, installé rue des Couteliers. Des années durant, Bruno et Sonia firent partager aux Toulousains leur art de cuisiner des produits nobles ou plus communs avec une touche d’exotisme. Dans la même rue, L’Empereur de Huê de Sarah Truong Qui fit le bonheur des gastronomes avec une cuisine de haute volée, d’inspiration asiatique et totalement singulière.
Ce que nous avons eu de meilleur
Qu’est devenu Yohann Travostino ? Au meilleur de sa forme, le chef à la fausse nonchalance punk était aux manettes de trois établissements : Le Solilesse, Le Glastag et le « restaurant sans nom ». Cela virevoltait dans les assiettes, la bonne humeur circulait entre les tables, de bons flacons faisaient du pied. Il était difficile de négliger trop longtemps ces endroits. Qui a des nouvelles de Philippe Lagarde ? Certes, la cave de la place Dupuy, Le Tire Bouchon, a repris du service sans renier la ligne originelle (vins nature), mais nous sommes nombreux à pleurer la cuisine de Laurence Lagarde.
Un repas hebdomadaire s’imposait comme hygiène de vie. Les entrées pétillaient, les plats faisaient des étincelles, les desserts rallumaient le moteur. En fin de journée, l’ambiance « clup » n’était pas interdite. Des bouteilles un peu louches – baptisés « vins découverte » par le taulier – s’ouvraient en attirant des initiés. Les options Gin To ou Bonal permettaient de basculer vers la soirée. Ce que nous avons eu de meilleur ?
Belles équipes
A La Belle équipe aussi, l’ambiance ne portait guère à la mélancolie. Didier et Marie tinrent l’endroit une vingtaine d’année du midi à… parfois au petit matin. Les soirs de grand vent, il fallait s’attacher au zinc, mais on pouvait aussi naviguer en père peinard. Ce type de restaurant aurait dû être inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Le Comptoir du vin d’Emmanuel Marinoni eut une histoire plus éphémère, mais nous ne gardons que de bons souvenirs de ce lieu repris par la suite par Manuel Garnacho (Bàcaro).
D’autres restaurants ont conservé leur nom, mais pas toujours leur art et leur manière. Ainsi, au Nez Rouge, on découvrit en cuisine les premiers pas d’Aziz Mokhtari et une carte des vins rassemblant quelques-uns des meilleurs vignerons de l’Hexagone. On songe aussi à Chez Navarre qu’anima avec passion Jérôme Navarre. Autour de tables d’hôtes, des plats traditionnels mitonnés à la perfection incitaient à se resservir tandis que des vins savamment choisis garantissaient un plaisir maximum à des tarifs amicaux. Depuis, Jérôme Navarre a repris l’hôtel-restaurant la Villa Cahuzac – rebaptisée La Maison Navarre – à Gimont dans le Gers. Une petite visite est prévue avec de bons compagnons aux beaux jours. Message à l’attention de M. Navarre : on ne va pas venir pour beurrer les sandwichs.