La captation de ce ballet shakespearien mythique dansé sur une musique de Serge Prokofiev a eu lieu à l’Opéra de Stuttgart. Il est donné en trois actes et deux entractes sur une durée totale de 130 minutes. Roméo et Juliette par le Ballet de Stuttgart, c’est pour le dimanche 15 décembre 2019 à 18h au Cinéma CGR Blagnac.
55 ans après la première représentation de Roméo et Juliette, le Ballet de Stuttgart revisite la légendaire chorégraphie de John Cranko à l’origine du « miracle du Ballet de Stuttgart », et la fulgurante ascension de la compagnie vers la renommée. Les costumes et les décors et la mise en scène sont de Jurgen Rose. C’est le chef James Tuggle qui mène le tout, plateau et fosse avec les musiciens du Staatsorchester de Stuttgart
La distribution principale est la suivante :
Juliet / Elisa Badenes
Romeo / David Moore
Lord Capulet / Reid Anderson
Lady Capulet / Melinda Witham
Tybalt / Robert Robinson
Count Paris / Roman Novitzky
Juliet’s Nurse / Marcia Haydée
ainsi que le corps de ballet de l’Opéra de Stuttgart
En 1934, à propos de la musique de son ballet, Prokofiev publie dans un journal national Izvestia, un article intitulé « Chemin de la musique soviétique » : « On pourrait qualifier la musique dont on a besoin ici de « facile et savante », ou de « savante mais facile » … Avant tout, elle doit être mélodique…La simplicité ne doit pas être une simplicité passée de mode, mais une simplicité nouvelle », cit M. Dorigné, Serge Prokofiev, Fayard, 1994, p. 419. Ce ballet complet possède un élan théâtral et un pouvoir d’expression que ne peuvent égaler les différentes sélections de ses mouvements dans les Suites orchestrales que l’on connaît par ailleurs.
Roméo et Juliette est un ballet que l’on peut qualifier d’éternel, avec une histoire banale, c’est sûr, mais universellement répandue. C’est à la fois pertinent et approprié pour n’importe quelle période et le sujet ne perd rien dans des nouveaux récits, quel qu’en soit le lieu et le temps. Si vous avez découvert cette histoire par la pièce de Shakespeare, ou par des adaptations en film, ou par le ballet de danse classique, et même par la danse en ballet contemporain, on constate que c’est puissant et touchant à chaque fois, quel que soit le support. Les danseurs de la troupe connaissent bien sûr l’histoire et ses contraintes et l’on peut alors juger du niveau de leurs prestations dans leur façon de commenter, par leurs attitudes et leurs gestes et la qualité de leurs pas. De par leur jeu et leur danse exquise, ils apportent un côté éclatant à cette tragédie mais aussi à l’époque de la Renaissance italienne à Vérone.
Cette production est très belle pour beaucoup de raisons. La danse, la musique et l’histoire bien sûr, mais aussi visuellement, avec son ensemble et ses costumes. La partition, prodigieusement variée, détermine un lyrisme de la musique plus proche de la légèreté et de la grâce de la version de Berlioz que de la forte tension dramatique de celle de Tchaïkovski. D’une part, nous y trouvons l’agressivité des deux clans ennemis, la pompe des invités se rassemblant pour le grand bal des Capulet et l’arrogance des Montaigu qui s’y introduisent. D’autre part, et c’est le côté plus intime de l’histoire, il y a l’espièglerie de l’héroïne âgée, ne l’oublions pas, de treize ans, la ferveur enflammée de son amoureux, la passion de plus en plus exaltée de leurs rencontres. Tout cela est fort bien rendu par le ballet lui-même, tout comme, entre-temps, la mort qui a commencé à assombrir le déroulement de ce récit de premiers émois, d’abord celle de Mercutio, puis celle de Tybalt et enfin celle des deux tourtereaux qui paient le prix de la désastreuse discorde des deux familles. Pourtant, même ici, Prokofiev évite un pathétisme ostentatoire et c’est surtout par sa délicatesse et sa retenue que la conclusion est impressionnante, dans la fosse comme sur le plateau. À vos mouchoirs !!
Dans un article intitulé « A quoi je travaille actuellement » (1939), Prokofiev explique sa démarche dans Roméo et Juliette : « Je me suis appliqué à imprimer à chaque acte un coloris particulier » :
« Le premier acte, qui a lieu dans le palais des Capulets, offre le spectacle somptueux d’une fête de cette chevalerie féodale dont les traditions surannées écrasent sans merci les germes d’un amour jeune et pur. »
« Pour le deuxième acte, j’ai pris comme fond une fête populaire. La gaîté, la légèreté, l’insouciance qui règnent en font la contrepartie du premier acte. »
« Tout le troisième acte a lieu dans les intérieurs, dans l’intimité où se trame la collision qui amènera le dénouement tragique. C’est l’acte où se déroule le drame passionnel. En conséquence, l’orchestration plutôt intime est celle d’un orchestre de chambre. »
« Enfin, le quatrième acte est si court que je suis presque enclin à le désigner du nom d’épilogue. C’est précisément dans cette brièveté, dans ce langage musical condensé qu’il me semble voir la seule manière de rendre le sujet par des moyens chorégraphiques ».
Quelques mots sur la genèse du ballet Romeo et Juliette
Dès ses débuts, le compositeur Prokofiev a un talent particulier pour la musique de ballet qui l’élève jusqu’au rang d’un Tchaïkovski, de Ravel, de Stravinski, mais ce talent est alors orienté vers la satire et le commentaire social plutôt que vers les histoires d’amour.
« Pour Sergueï Prokofiev, Roméo et Juliette fut l’occasion de renouer avec sa patrie qu’il avait quittée, quatorze ans plus tôt. Désireux d’échapper aux aspects tapageurs et incertains de son existence de virtuose itinérant, il « rentra à la maison ». Une fois en Russie, il se mit à l’écoute des événements : « En Russie actuellement, des millions d’hommes découvrent la musique, et c’est à ces cadres nouveaux que doit penser le compositeur soviétique d’aujourd’hui ». Il constata aussi qu’à l’inverse de la tendance, en Europe de l’Ouest, à privilégier des chorégraphies courtes, on restait attaché, en Russie, au ballet développé sur toute la soirée. Cette forme s’accordait bien avec son désir d’un plus grand lyrisme et c’est ainsi qu’un Romeo et Juliette fut naturellement pressenti pour entrer au répertoire du ballet du Kirov de Saint-Pétersbourg : « A la fin de 1934, des conversations s’engagèrent avec le Kirov à propos d’un ballet. J’étais intéressé par un sujet lyrique. On s’arrêta sur Roméo et Juliette de William Shakespeare, mais le Kirov recula et c’est le Bolchoï de Moscou qui passa le contrat. Au printemps 1935, Sergueï Radlov et moi élaborâmes le scénario en consultant scrupuleusement le chorégraphe pour les questions techniques. La musique fut écrite au cours de l’été, mais le Bolchoï la trouva impropre à la danse et dénonça le contrat. »
L’initiative de l’ouvrage revenait à Sergueï Radlov, célèbre metteur en scène soviétique, disciple de Meyerhold, alors directeur du Kirov. A cette époque, le régime soviétique voyait dans l’histoire des amants de Vérone, le symbole d’une jeunesse avide de liberté et de nouveauté, cherchant à se débarrasser des conventions bourgeoises. De plus, Shakespeare était alors l’auteur préféré du théâtre soviétique et Radlov – chargé de composer le répertoire du Kirov – souhaitait que le ballet ait accès à l’œuvre du dramaturge élisabéthain.
Dès les débuts du travail sur le scénario dû à un triumvirat, certains responsables du Kirov doutèrent que l’on pût, sans recours à la parole, expliciter les finesses du drame shakespearien, et renoncèrent au projet. La raison officielle invoquée fut qu’il était sacrilège de créer un ballet sur l’écrivain.
Prokofiev signa alors un contrat avec le Bolchoï de Moscou. Dans le premier argument que le compositeur rédigea, l’action coïncidait avec les épisodes de la tragédie de Shakespeare si ce n’est qu’au finale les amants restaient tous deux en vie, l’accent étant mis sur le principe de vie propre à la Renaissance. A cette époque, se souvient Prokofiev dans son Autobiographie : « Beaucoup de discussions surgirent autour de notre tentative de donner une fin heureuse à Roméo et Juliette : au dernier acte, Roméo arrivait une minute avant, trouvait Juliette vivante, et tout se terminait bien. Les raisons qui nous avaient poussés à cette acte “barbare“ étaient purement chorégraphiques : des personnes vivantes peuvent danser, des mourants gisant à terre, non. Il y avait encore une justification : Shakespeare lui-même avait parfois hésité quant au caractère d’un dénouement, et parallèlement à Roméo et Juliette, il avait écrit Les deux Gentilshommes de Vérone où tout se terminait pour le mieux… ». Toujours est-il, que le Bolchoï trouva cet “happy end“ particulièrement inopportun, obligeant Prokofiev à lui substituer une fin à l’issue fatale pour, en fin de compte, refuser de chorégraphier l’œuvre. En effet, lors de la première audition de la partition que le compositeur donna au piano, les danseurs déclarèrent qu’ils ne pouvaient pas danser sur cette musique, en raison de sa complexité rythmique et de passages jugés inaudibles.
Prokofiev se laissa alors convaincre par le Ballet de Brno en Tchécoslovaquie qui finalement créa la pièce le 30décembre 1938. Le succès fut tel que le Kirov rappela le compositeur et confia la chorégraphie du ballet à Léonid Lavroski. Cependant, la première n’eut lieu que le 11 janvier 1940. Le retard dans la création fut dû à de nombreux désaccords entre Prokofiev, Lavroski, les musiciens et les danseurs. Ces derniers n’arrêtaient pas de se plaindre sur les difficultés à danser sur cette musique. Galina Oulanova, la créatrice du rôle de Juliette, déclara : « Il a fallu, par exemple, lors du premier duo sur le balcon, tout simplement ne pas écouter la musique, mais danser en se laissant guider par notre propre rythme. C’est très inhabituel pour moi et je le perçois comme une expérience qui, j’espère, ne se reproduira pas dans un autre spectacle. » La musique également, donnait beaucoup de difficultés à Lavroski qui insista pour que l’orchestration soit modifiée ainsi que l’ordre des numéros musicaux et pour que Prokofiev écrivit de nouvelles danses, des variations et des scènes entières. Après un refus obstiné de céder, le compositeur finit par obtempérer et soumettre à Lavroski de nouvelles compositions. La partition était tellement novatrice pour une musique de ballet que les musiciens de l’orchestre craignant un tollé général de la part du public, avaient demandé l’annulation des représentations. Malgré si peu de circonstances favorables, le ballet fut très bien accueilli et connut un réel succès.
Carole Teulet – Saison russe, décembre 2009 – Théâtre du Capitole de Toulouse.
Au Bolchoï de Moscou, où la Première eut lieu en 1946, les choses allaient être pires. En effet, la partition fut réorchestrée par le percussionniste et resta telle que pendant des décennies, le compositeur étant décédé en 1953, le même jour que Staline d’ailleurs. Ce n’est qu’en 1986, au Covent Garden de Londres, que le chef Gennady Rozhdestvenski put diriger l’œuvre selon les souhaits de Prokofiev. Musique et scénario étaient enfin réhabilités, même à Moscou.
Prokofiev tira une série de douze pièces pour piano, et au titre de l’anecdote, tira aussi de la musique du ballet, deux Suites pour orchestre, et c’est dans ces œuvres-là que fut repéré à la Halle, pour la première fois à Toulouse, dans la direction d’orchestre, le chef Tugan Sokhiev. C’était un soir de fin octobre 2003, déjà !
Cinéma CGR Blagnac
Roméo et Juliette • John Cranko
dimanche 15 décembre 2019 à 18h
Où déjeuner / Où dîner avant ou après votre séance de Cinéma à Toulouse Métropole ?