Un très beau programme chorégraphique lui est consacré en clôture de la saison du Ballet du Théâtre du Capitole dirigé par Kader Belarbi depuis la rentrée de 2011. Cinq représentations vous attendent à la Halle aux Grains de Toulouse du 19 au 23 juin 2019.
Un hommage ainsi rendu à celui qu’Hofmannsthal, librettiste de Richard Strauss qualifiait de « la plus extraordinaire personnalité contemporaine du monde du théâtre ». Bien plus tard, c’est un certain Balanchine qui portera son œuvre à son point d’incandescence. Pour en savoir davantage, vous aurez lu l’article de Jérôme Gac, sur ce même blog, qui vous développe les quatre chorégraphies que Kader Belarbi a retenues et données par quatre chorégraphes, John Neumeier, David Dawson, Michel Kelemenis et Stijn Celis. Trois entrées au répertoire pour les trois premières, soit Vaslaw, puis Faun(e) enfin Kiki la Rose. Pour terminer, ce sera une création mondiale sur Petrouchka, bien sûr sur la musique de Stravinski, dans une version pour deux pianos. Petrouchka, cette succession de scènes burlesques en quatre tableaux d’Igor Stravinski et Alexandre Benois.
Le génie de la danse, celui qui fut aussi baptisé “clown de Dieu“ fut à l’origine du succès phénoménal des fameux Ballets russes et de leur créateur emblématique Serge de Diaghilev. Une rencontre entre les deux hommes, capitale dans les deux sens. Catalyseur inépuisable de l’art nouveau qui fit de Paris la capitale des arts, mégalomane passionné d’une remarquable fécondité, Sergeï Pavlovitch Diaghilev a tout inventé, et surtout il fut le magicien de ces fameux Ballets russes. Pour lui, il faut qu’un ballet soit une œuvre totale, une gesammtkunstwerk. Loin des ballets de Tchaïkovski, trop longs pour lui, il faut des ensembles homogènes plus courts, et que la musique devienne une sorte de texte sacré, l’âme même de la danse, avec l’intégration parfaite de tous les éléments du ballet dans une vision puissamment dramatique. Et par la fréquentation d’un certain Émile Jaques-Dalcroze par Nijinski et son mentor et amant Diaghilev, le corps du danseur devint encore davantage l’instrument même de la musique et non sa simple illustration.
Des Ballets qui furent obligés de s’ancrer à l’étranger après un incident dont le responsable n’était ni plus ni moins que Waslaw. Un incident réfléchi ou vraiment fortuit, on en débat encore ! En effet, nous sommes en janvier 1911. Diaghilev prépare une nouvelle tournée en Europe après le triomphe de la première. On danse Giselle à Saint-Pétersbourg avec Nijinski dans Albert. Conseillé par Diaghilev, ou plutôt à la demande de, il n’a pas revêtu par dessus le costume dessiné par Alexandre Benois, les “tonnelets“ d’usage. Si l’impératrice ne cille pas, le grand-duc, lui, se retrouve fort choqué par la tenue “indécente“ de Nijinski et demande réparation au directeur de théâtre. Pour faire court, le malentendu se soldera par la démission du danseur-phare, et voilà comment les Ballets russes n’auront plus qu’à choisir Monte-Carlo comme port d’attache. Ainsi, dès 1911, les succès iront bon train avec Narcisse, Petrouchka, Le spectre de la Rose, avec Fokine comme seul choréauteur, la direction artistique incombant à Alexandre Benois et Léon Bakst.
Quant au Faune, l’idée en est venue pour la première fois à Diaghilev à Venise en 1911. C’est lui qui montra alors à Nijinski la plastique angulaire du personnage mais sa participation à la création du ballet devait aller encore plus loin. Toue la composition du Faune lui appartient, en effet, depuis les poses des nymphes, reproduisant des danseuses antiques, jusqu’au geste final, en passant par l’arrêt de la danse sur le crescendo de l’orchestre. La première du Prélude à l’après-midi d’un faune le 29 mai 1912 provoquera un formidable scandale, pas tant par la danse mais bien davantage sur le plan de la moralité par le dernier geste de Nijinski avec le voile… ! Notons que c’est bien Diaghilev qui aura persuadé Debussy, réticent, de le laisser créer un ballet sur sa musique.
WaslawNijinski, fils d’un couple de danseurs, vivant maigrement de leur art et qui se trouveront bien soulagés quand leur fils, à dix ans, entrera à l’École Impériale, remarqué tout de suite par son corps alors parfait, puis remarqué encore par son professeur de danse, Nicolas Legat qui notera tout de suite les dispositions extraordinaires de ce nouvel élève, son génie de la danse, mais aussi les difficultés intellectuelles de l’intéressé car dans cette École, la tête bien pleine fait partie de la réussite. Il a quinze ans quand, dans un spectacle de lauréats, on ne voit que lui, et que l’on pourra lire : « L’élève Nijinski a émerveillé toute la salle. Ce jeune artiste doit poursuivre ses études pendant encore deux années. Il est d’autant plus surprenant de découvrir ses dons dès à présent. Sa légèreté, son élévation, la plastique de ses mouvements sont absolument remarquables… » Et ailleurs, deux ans plus tard : « sa petite taille et sa silhouette, fort éloigné de la perfection, ne semblaient pas, de prime abord, le destiner à devenir un grand danseur. (…) Et pourtant, sa danse, ses bonds, ses envolées majestueuses avaient quelque chose de surhumain, à tel point que lorsqu’il dansait, le spectateur oubliait toutes ces imperfections et, malgré soi, se laissait “emballer“… »
Quant à la comtesse de Noailles, sa découverte du danseur à tout juste vingt ans la laisserait presque muette ! Elle écrira plus tard : « Qui a vu danser Nijinski, reste appauvri à jamais de son absence, médite son départ saisissant vers les basses régions de la folie triste, où séjourne celui dont le corps habitait l’espace, sans étai et sans appui, et selon une observation pittoresque, “semblait parfois peint au plafond“. Qui ne l’a pas vu, ignorera toujours ce qu’est un adolescent puissant, ivre de force rythmique, terrifiant par le ressort de ses muscles comme l’est, pour un enfant dans la prairie, la sauterelle faisant jouer la coudure altière de sa jambe d’acier… » L’impression produite à Paris était d’autant plus grande qu’on avait, pour ainsi dire, oublié déjà l’existence de la danse d’homme en tant qu’élément autonome du ballet. On ne savait plus qu’outre la grâce de la danseuse, il y avait aussi l’élévation du danseur.
Mais si dans la relecture de Petrouchka par Stijn Celis, la marionnette devient imaginaire dans l’univers de catcheurs mexicains, replongeons nous tout de même dans la création du Petrouchka de Nijinski, et transcrivons l’opinion de M. Alexandre Benois, le créateur des décors et costumes et accessoires, au sujet de l’influence de Nijinski sur la chorégraphie : « Fokine était trop despotique pour admettre que Nijinski ait une part dans la composition chorégraphique. Son autorité était absolue. Stravinski était au piano, la grande partition d’orchestre ouverte devant lui. Il improvisait une réduction et Nijinski exécutait, mesure après mesure, d’après les données de Fokine et du musicien. À ce moment-là, il avait plutôt l’aspect d’une poupée. Il obéissait aux directives reçues. Mais, à la première répétition en costumes, il s’est transfiguré. Il a animé le personnage triste, tragique, sans aucunement le souligner par un maquillage comme on l’a trop fait depuis. Son goût personnel lui permettait de saisir ces subtiles nuances. C’est cette finesse que j’admire dans Nijinski-Petrouchka. Il a ciselé ce rôle de façon extraordinaire et, en ce sens, on peut lui en attribuer la paternité. Une fois entré dans la peau de Petrouchka, il a su en exprimer la qualité difficilement exprimable : le fantoche marionnette à l’automatisme primitif et, en même temps, l’être conscient et pitoyable, traversé part tous les sentiments. Il a trouvé cette expression double et simultanée avec un tel bonheur que, par la suite, tous les titulaires du rôle se sont réglés sur son jeu de la création.
C’était quelques lignes sur ce personnage hors du commun, dont tout danseur, quel qu’il soit, de danse classique ou contemporaine ou les deux, devrait connaître un peu de sa vie, du moins sur ses vingt plus foisonnantes années, de l’entrée à l’École Impériale à dix ans jusqu’à ses trente ans. Après,…
Billetterie en Ligne du Théâtre du Capitole
Ballet du Capitole
du 19 au 23 juin 2019 • Halle aux Grains