Hedone
Âgé à peine de vingt-sept ans, Balthazar Gonzalez fait partie de cette génération arrivée derrière les fourneaux à une époque où la cuisine est devenue furieusement branchée. Voici plus de dix ans, les chefs, les recettes et la gastronomie dans ses divers aspects sont sortis de leurs cases spécialisées pour tout envahir : la téléréalité (première édition de Masterchef en 2010), les blogs, les réseaux sociaux, les médias traditionnels… De fait, les chefs se sont transformés en people comme les autres. Jamie Oliver, Gordon Ramsay et d’autres sont aussi célèbres que les stars du rock ou du cinéma. La mise en scène, les apparences, l’image ont accompagné les modes culinaires (cuisson sous vide, légumes oubliés…) au point que parfois plats et assiettes semblaient avoir été conçues pour Instagram plutôt que pour le client.
Rien de cela chez Balthazar qui, malgré son jeune âge, a déjà douze ans d’expérience derrière lui et qui a fait ses armes sous l’égide de grands noms de la gastronomie française : d’abord auprès de Joël Robuchon puis au Dôme du Marais de Pierre Lecoutre, à L’Oasis des frères Raimbault… Une formation idéale pour apprendre les classiques de la cuisine, se frotter aux basiques et à la tradition. À Toulouse, il a poursuivi sa route au Solides de Simon Carlier et au Bàcaro d’Emmanuel Garnacho – deux tables représentatives de la nouvelle vague gastronomique toulousaine – avant de se lancer dans sa carrière solo. Une carrière toute fraîche, car Hedone n’a ouvert ses portes qu’en août dernier, mais longuement murie. L’idée de départ (inspirée notamment par un restaurant de Genève) : une table d’hôtes de douze couverts pour un menu unique servi en même temps aux convives. La conception de l’endroit est confiée à l’architecte Stéphane Deligny. Rémi Basson, cuisinier sommelier, et Samuel Fourcade, chef pâtissier, accompagnent Balthazar. Ils cuisinent et assurent le service dans un même élan avec le désir de faire découvrir des saveurs, des associations (en ce moment huître et saké par exemple), des produits.
Cela pourrait être compliqué, démonstratif, prétentieux, mais ce qui frappe est plutôt l’extrême précision de cette cuisine qui, au-delà de la technicité, privilégie le plaisir, impressionne par son évidence, sa créativité, son inspiration. Un travail d’orfèvre qui évoque l’art des concept-albums, tel le Pet Sounds des Beach Boys, pour la magie des arrangements et des harmonies. Audace incroyable et finesse absolue derrière l’apparente simplicité de la pop à l’instar de Wouldn’t It Be Nice ou quand Brian Wilson côtoie les anges. D’ailleurs, la musique a son mot à dire chez Hedone puisque la platine, située entre la cuisine et la salle, n’est pas décorative et que des vinyles accompagnent les repas. Pas pour une banale musique d’ambiance, mais pour compléter l’expérience. Ce mariage devrait être appelé à se développer plus encore avec la recherche d’accords mets / vins et… musiques. Avec discrétion et délicatesse, à la manière de Balthazar.
Les compositions d’Hedone se dégustent à déjeuner avec deux menus (quatre ou six plats, 32 et 43 €) et à dîner avec un menu de sept plats (67 €), en attendant la prochaine apparition d’un menu entrée / plat / dessert à midi. Côté vins : superbe carte riche de deux cent références mêlant grands domaines et vins d’artisans (qui sont parfois les mêmes), avec une prédilection pour les vins naturels, parfaits compagnons de cette cuisine affranchie, singulière, libre, honorant le produit, bousculant à l’occasion les conventions. Pour oser, en cuisine comme ailleurs, il faut connaître les fondamentaux. Pas de bon rap ou de trip hop (deux genres qu’affectionne Balthazar) sans des racines soul, funk ou jazz. Nous ne sommes donc pas vraiment surpris quand le jeune chef nous dit écouter aussi du jazz ou vouer un culte à Frank Sinatra. Frankie, The Voice, Ol’ Blue Eyes : quelle époque… On l’aurait bien vu, lui dont la devise était d’avoir trois verres sur le monde entier, chez Hedone. A la grande table ovale avec ses copains du Rat Pack et d’autres moins fréquentables ? Ou aux quatre places du comptoir qui donne sur la cuisine ? Peu importe. Fly Me to the Moon : telle pourrait être la devise d’Hedone.
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photos © Pierre Beteille / Culture 31
Hedone
2 impasse st Félix (avenue Jean Rieux) • Toulouse
Tel. : 05 82 74 60 55
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