La Binocle
Le restaurant de la rue Alexandre Fourtanié fait partie de ces établissements emblématiques du nouveau souffle qu’a connu le paysage gastronomique toulousain ces dernières années. De la jeunesse, du pep’s, de l’humilité, de l’exigence. Et l’apparition de La Binocle a été d’autant plus remarquée en raison de son emplacement : à quelques encablures de la place Saint-Georges plus réputée – à l’exception du vénérable Émile – pour ses terrasses à touristes que pour la qualité de ses tables. Voici donc plus de trois ans (ouverture en septembre 2015) que Fabien Mayer et Chikaike Mitsuya se sont installés. Le tandem s’est connu à Paris et a fait ses armes chez les plus brillants représentants de la bistronomie : Christian Etchebest pour le premier nommé, Yves Camdeborde pour le second. Fabien, en salle, et Chikaike, en cuisine, livrent une partition parfaite, gourmande et évidente. L’envie était de proposer une vraie cuisine de bistrot, conviviale, simple, pouvant séduire tous les publics, aussi bien les palais avertis que les béotiens, nous confie Fabien un jour de janvier, après le service de midi, alors que Placebo, en version unplugged, résonne dans les enceintes du restaurant.
C’est ainsi que l’art et la manière de La Binocle nous évoquent quelques groupes issus de la scène indépendante US – Yo La Tengo, Dinosaur Jr, Pavement, Sonic Youth… – capables de faire jaillir des guitares abrasives et roboratives comme de ciseler d’imparables mélodies pop que l’on a envie de siffloter. Dans ce dernier registre, il faut mentionner la vingtaine d’entrées proposées au déjeuner à deux euros la pièce. Des petites portions, de vrais singles acidulés (couteaux à la plancha, oreilles de cochon, carpaccio de poulpe, œufs mayo, terrines, légumes de saison…) dispensant un plaisir instantané tels des tubes que l’on aime écouter en boucle. Côté plats, on se dirige vers du solide, du classique exécuté dans les règles de l’art. Voici quelques jours, la carte du soir annonçait par exemple du sanglier à la bière, une lotte poêlée au beurre noisette, un dos de biche sauce vin rouge, un agneau de lait en quatre temps, une daurade sébaste sauce orange et fenouil, du lièvre à la royale… Pour les desserts, on reste dans les standards indémodables – riz au lait, baba chantilly, tiramisu, tarte poire / pistache… – et ceux-ci, tout en légèreté (divine surprise), réconcilieraient les plus réfractaires avec les notes sucrées.
Rayon vins, comme toute bonne table qui se respecte désormais, La Binocle mise sur les vins bio et naturels. Une soixantaine de références rassemble des incontournables (domaine Binner en Alsace, domaine Breton en Loire…) et des découvertes (domaine du Pech à Buzet…), playlist équilibrée où le goût de Fabien pour la fraîcheur et l’acidité n’exclut pas des jus plus charpentés. On aura compris que ce restaurant, tout en affirmant son caractère et sa singularité, joue un répertoire assez ouvert. Nulle surprise donc quand Fabien nous avoue que ses goûts musicaux le portent aussi bien vers Alain Bashung que vers Nirvana, Metallica, Pink Floyd ou Robert Cray, bluesman pour happy few.
D’ailleurs, lui-même pratique. Guitare, harmonica, chant. Le jeune homme a donné des concerts à Pau (sa ville natale) en solo ou en duo. Depuis quelques mois, il s’est mis au saxophone, nous dit-il. Nous lui suggérons de croiser le fer avec Eric Cuestas du Temps des Vendanges , trompettiste émérite. Restons dans la musique. Quand nous demandons à Fabien à quel groupe ou artiste il comparerait La Binocle, la réponse ne tarde pas : « Un groupe assez populaire, mais avec de la technique. » Pas mieux.
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photos © Pierre Beteille / Culture 31
La Binocle
10 rue Alexandre Fourtanier • Toulouse
Tel. : 05 61 29 84 21