La silhouette a changé. L’éternel jeune homme aux cheveux longs ressemble plus aujourd’hui à un Gandalf malicieux. Mais le talent est resté intact. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter l’album (Crimson/Red) des morceaux comme « The Best Jewel Thief In The World » ou « List Of Impossible Things ». D’une confondante gentillesse, Paddy McAloon a patiemment répondu à nos questions sur cet album de Prefab Sprout.
Ta musique a toujours été très originale… On peut difficilement la relier avec évidence à d’autres… C’est assez rare et la marque du talent…
Oh merci, c’est une très généreuse première question ! (rires) J’ai essayé d’écrire différemment mais je ne pense pas avoir échappé à la musique que j’aime. J’apprécie des styles très variés, et je te dirais que la musique que je n’aime pas m’a aussi sans doute influencé dans ce qu’il fallait ne pas faire. Mais c’est vrai que, au fil du temps, des chansons, des albums, tu développes fatalement un style d’écriture, une empreinte musicale qui est la tienne.
Oui, tu as créé ta propre trace musicale, finalement assez éloignée des Beatles ou de T-Rex que tu adorais enfant…
Oui, j’aimais Marc Bolan quand j’avais treize ans. Et Bowie. Mais depuis j’ai tellement aimé de choses différentes, du classique à la pop, en passant par le jazz ou le blues… Je suis un fan de Howlin’ Wolf par exemple. Comme Captain Beefheart que j’apprécie énormément aussi.
Dans ce nouvel album, tu rends aussi hommage au chanteur folk Jimmy Webb sur The Songs Of Danny Galway…
C’était avant tout une chanson sur le pouvoir de la musique, sur son importance dans nos vies. Je voulais faire cette chanson sur ces musiciens qui ont changé nos vies, qui nous ont remués. C’aurait pu être une chanson inspirée par Bob Dylan ou tous ceux qui nous touchent. Je me suis donc inspiré de ceux qui m’ont ému profondément. Enfant, j’ai été bouleversé par Wichita Lineman de Jimmy Webb. Des gens comme lui ou les Beatles m’ont donné la vocation. Sans eux, je ne serais pas là avec toi.
J’ai beaucoup aimé ta chanson « Grief Built The Taj Mahal ». Tu as été séduit toi aussi par la magie paisible du lieu (malgré la foule) et de ces jardins moghols ?
Oh quelle chance tu as d’y avoir été… Non, je n’y suis jamais allé… J’ai brodé cette chanson sur cette histoire d’amour sans connaître finalement beaucoup de détails dessus. Peut-être que ma chanson est plus romantique que la réalité historique mais j’en aime l’idée, cette image romantique…
Comment écris-tu tes chansons ?
Tout dépend. J’aime bien partir d’une idée de titre… Mais parfois, je n’ai rien. C’est plus difficile. Je m’assieds et je m’inspire de ce qui m’entoure. Tu vois, aujourd’hui il pleut, donc je vais partir de cette idée, de ce sentiment. Après je peux aussi étirer un autre fil, celui d’une progression d’accords qui me plaise… C’est cela que j’aime dans la musique… Les sentiments et les possibilités sont infinis.
Et quels instruments utilises-tu pour composer ? La guitare, un clavier ?
Cela dépend des jours. Avant que tu n’arrives, j’avais pris ma guitare. Mais beaucoup de titres de Prefab Sprout ont été composés au clavier. Utiliser les deux me permet, même au sein d’un même morceau, de varier les possibilités et les textures.
Sur ton nouvel album, tu as étonnamment joué de TOUS les instruments. Pourquoi ce choix ?
Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, nous ne tournons plus donc nous gagnons fatalement moins d’argent, et nous ne pouvons plus passer un temps fou en studio. L’autre raison est que j’ai de gros problèmes d’acouphènes depuis dix ans et que je ne peux plus jouer avec de gros amplis et une batterie en direct. Je suis condamné à la manière soft. C’est triste mais c’est ainsi, je n’ai plus le choix. Je suis devenu un chef d’orchestre qui dirige un orchestre invisible. Mais mon amour de la musique, mon souci de donner le meilleur de moi-même sont restés intacts. Et je me suis particulièrement appliqué pour que le résultat soit similaire à celui d’un vrai groupe et pas d’un disque de dance. (rires)
Je pense que tu as réussi ! (rires) Cela veut dire que le vieux magicien ne sera pas de retour sur scène…
Pour être tout à fait honnête avec toi, je pourrais tourner, mais de manière acoustique. Peut-être seul avec ma guitare…
Je me souviens des formidables démos acoustiques publiées sur la réédition de Steve McQueen. Qui ne voudrait pas entendre ces morceaux sonner ainsi sur scène ?!
Merci, c’est vrai que j’ai progressé depuis toutes ces années !
On sait que, comme Brian Wilson, tu n’aimes pas beaucoup tourner…
Oui, c’est vrai, ça a toujours été le cas. Nos fans ont toujours réclamé plus de concerts. J’aimerais être différent. Et mon tempérament solitaire et ce besoin d’écrire n’ont pas facilité la vie du groupe non plus. Car les autres voulaient tourner davantage bien sûr. Et la vie en tournée ne favorise pas ce processus d’écriture que j’aime par-dessus tout. Mais aujourd’hui, le problème se pose différemment car mes acouphènes ne nous laissent plus aucun choix là-dessus. Et j’ai encore tellement de choses à écrire…
Est-ce pour cette raison que Wendy Smith a quitté le groupe en 2000 ?
Peut-être un peu, mais je pense que c’était surtout parce qu’elle avait fait le tour de Prefab Sprout. Cela faisait 18 ans qu’elle jouait dedans. Elle avait un métier assez prenant à côté, et avait envie de passer à autre chose, ce qui est assez naturel quand on atteint un certain âge comme le nôtre. Cela ne s’est pas fait en un jour mais progressivement.
Wendy a un autre métier ? Elle ne vivait pas de vos royalties ?
Oh non (rires), on en a vécu mais plus depuis longtemps. Tu sais combien les ventes de disques se sont écroulées. Nous ne tournons plus (et nous serions plus riches si nous avions davantage tourné, je le reconnais). Et nous n’avons jamais vendu des millions de chaque album. Juste des millions de TOUS nos albums. Cela fait une différence.
Dans quels pays Prefab Sprout a-t-il eu du succès ?
Nous en avons eu en France, en Espagne, en Italie et au Portugal. L’Allemagne s’intéresse à moi depuis quelques années aussi… On a jamais été énorme aux Etats-Unis car nous n’y avons jamais donné un seul concert.
Pas possible ?!!!
Oui, oui, on y a enregistré mais jamais joué. On avait enregistré à Los Angeles, dans le studio de Stevie Wonder (qui avait joué de l’harmonica sur un morceau).
Vous avez aussi enregistré avec Pete Townshend des Who…
Oui, c’est un immense guitariste. Mais j’aurais du mal à t’en parler, c’est mon frangin Martin qui y était. J’étais malade ce jour-là, j’avais la crève ! Donc je n’ai pas vu les prises de Townshend. Mais je sais qu’il aime notre musique. Quant à Stevie Wonder, il m’a impressionné car il joue de tout très bien : piano, harmonica, batterie… Il était si bon qu’il me faisait peur.
Tu as été étudiant en Lettres. Quels auteurs aimes-tu ?
J’aime beaucoup Jane Austen, Don DeLillo… Et je lis aussi beaucoup de poésie : T.S. Eliot, j’adore les Français comme Mallarmé, Nerval, Villon, Verlaine, Rimbaud et énormément Baudelaire… Je suis en train de lire justement La Folie Baudelaire de Roberto Calasso, une biographie poétique en elle-même aussi. Savais-tu que Baudelaire a beaucoup influencé Bob Dylan ?
Non, je l’ignorais. Quels sont les disques que tu as écoutés ces derniers jours ?
Mmm, j’ai écouté hier Trout Mask Replica de Captain Beefheart. Et John Barry.
Et la musique française ?
J’adore la musique française. Le dernier concert que j’ai vu – ce n’était pas à Newcastle mais à Londres – était celui de Pierre Boulez, il y a trois ans je crois… Et j’aime beaucoup le divin Debussy (il est peut-être le plus grand de tous), Ravel, Satie…
Bertrand Lamargelle
Abus Dangereux
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