Dis-Moi Que Tu M’aimes – Assumant pleinement son sentimentalisme, Culture 31 se passionne pour les chansons d’amour : ceux qui les susurrent et ceux qui les écoutent.
Quand Elvis Presley enregistre Love Me Tender en 1956, il est jeune, beau et adulé.
Il a publié quelques singles et un premier album qui ont électrisé les foules, et délivre sur scène des déhanchements à rendre les filles si folles que les télés acceptent de le filmer seulement cadré au-dessus de la taille.
Son impresario, le trouble mais redoutable Colonel Tom Parker, pense qu’il est temps pour lui de passer au cinéma. La 20th Century Fox leur propose un rôle dans un western musical sans titre. Elvis, qui rêve d’une carrière à la James Dean, commence par refuser. Comme il en sera toujours, Parker finit par le convaincre. Durant les discussions préparatoires, il est décidé qu’Elvis, qui n’a jamais chanté que des titres up-tempo, y interprétera sa toute première ballade.
Le directeur musical du film, Ken Darby, pense immédiatement à Aura Lee, une chanson tombée dans le domaine public.
Contrairement à Elvis, l’œuvre a déjà une grande carrière derrière elle. Bluette composée en 1861 et jouée dans les bals populaires, elle devint la chanson favorite des élèves de l’Académie Militaire de Westpoint avant d’être l’hymne officieux de la Guerre de Sécession, entonnée au Nord comme au Sud pour motiver les troupes.
Contrairement à Elvis, elle a, aussi, déjà fait carrière au cinéma : dans le film Come and Get It de 1936, et les Les Trois Mousquetaires, en 1952.
Darby réarrange la mélodie et réécrit les paroles, mais sur le papier, les attribue à son épouse et à Presley. Créditer le chanteur doit montrer au public combien il est impliqué dans son travail. Quant au choix de désigner sa femme plutôt que lui-même comme co-writer, il expliquera : « Parce qu’elle non plus ne l’avait pas écrite.» Entre temps, Aura Lee est devenue Love Me Tender.
Elvis l’enregistre au mois d’août 1956 dans les conditions du direct. La session est bouclée en un temps record : la deuxième prise étant jugée bonne, il n’y en aura pas d’autres.
Il la présente au public le 9 septembre 1956 dans le Ed Sullivan Show, dix-neufs jours avant la sortie du single et un mois avant la sortie du film. Dès le lendemain, et pour cette seule journée, son label, RCA, reçoit plus d’un million de pré-commandes.
Si le film éponyme n’a rien de mémorable, Love Me Tender est un bouleversement dans la carrière d’Elvis Presley.
Chef d’œuvre de sobriété et bijou d’intériorité uniquement porté par les épaules de son interprète, elle démontre qu’Elvis, loin d’être un simple phénomène, est fait du bois d’un Sinatra ou d’un Nat King Cole,.
De ces crooners immenses car capables d’exprimer la douceur, la vulnérabilité et l’abandon, qualités à l’époque qualifiées d’exclusivement féminines.
C’est ce qui fit de lui un King. Incontesté.
Eva Kristina Mindszenti
Love Me Tender (live au Ed Sullivan Show)
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