Compte rendu concerts. 37 iéme édition de Piano aux Jacobins ; Toulouse ; Cloître des Jacobins ; Le 20 septembre 2016. Voyage dans la musique entre 1300 et l’an 2000. Jeremy Denk, piano.
Quelle intelligence !
J’ai lu (dans le New York Times) que ce pianiste mérite d’être écouté quelque soit le programme proposé. Tout a fait dubitatif mais intrigué je dois avouer que je ne vois pas quoi dire d’autre après cet admirable concert promenade proposé par le pianiste américain Jeremy Denk.
Imaginez un voyage musical qui permet de comprendre la construction et l’évolution de la musique occidentale entre 1300 et les années 2000. Cette proposition très iconoclaste l’autorise à jouer sur un clavier tempéré des œuvres vocales écrites en modes. Les compostions de Machaut, Binchois et Ockeghem sont sous es doigts si sensibles de Jeremy Denk hors du temps et nous « parlent » à travers les âges avec une émotion très particulière. La délicate et fragile mélodie de Binchois terminera le concert comme elle l’a commencé en une boucle qui achève de nous faire perdre les repères temporels.
Les artistes qui savent rendre le public plus intelligent au sortir d’un concert sont des artistes précieux et je crois que le public de Piano Jacobins en a été conscient ce soir et a semblé particulièrement ravi. Cet enchainement de pièces improbables au clavier tempéré, la première surprise passée, se révèlent des plus aptes à nous émouvoir par leur étrangeté. Ainsi la musique occidentale savante en deux heures peut se comprendre comme une mise en place de l’harmonie, de la mélodie puis du rythme. Le Zeffiro torna de Monteverdi est au piano aussi improbable … qu’irrésistiblement séduisant. La fin de la première partie permet d’ arriver à un premier sommet avec Johann Sebastian Bach. Jeremy Denk est un extraordinaire interprète de Bach, ses variations Goldberg sont acclamées au concert et son CD est admirable de beauté fluide. Son interprétation de la fantaisie chromatique et fugue en ré mineur, BWV 903 est époustouflante de vie et de précision rythmique. La richesse de cette partition en belles mélodies et architecture complexe montre le degré de perfection atteint par la musique savante et pourquoi Bach est un demi Dieu.
Après l’entracte c’est le divin Mozart avec l’andante de la sonate en sol majeur K. 283. Le charme, l’élégance, la ligne de chant infinie, les nuances subtiles et les couleurs douces tout est enchantement. Beethoven suit tout naturellement avec une énergie rythmique qui bouscule le cadre. Schumann apporte une complexité harmonique et une densité de toucher qui préparent Wagner. Chopin apporte la virtuosité sensible du piano, le legato qui va jusqu’au belcanto. L’interprétation de l’adaptation par Liszt de la Mort d’ Isolde de Wagner est un bouleversant moment de piano roi à la virtuosité faite musique. Jeremy Denk est un virtuose accompli qui rend lisible tous les plans et sait doser les nuances jusqu’à un fortissimo quasi orchestral.
Brahms ensuite aborde la déconstruction du sur le plan harmonique et bouscule les rythmes avec un Intermezzo. Schoenberg va toujours plus loin dans cette liberté prise. Debussy apporte de nouvelles couleurs et propose un tout « autre piano ». Poulenc déconstruit complètement le rythme. Stockhausen fait perdre tout repères tonal, Glass aboli la pesanteur, et Ligeti ne permet aucun repère, mis à part la perte des repères connus…
Et Binchois revient, tout simple et comme perdu parmi nous, tout ébaubis.
Nous avons fait un Grand Voyage avec un guide fulgurant. Un pianiste de haut rang, un musicien délicat et un pédagogue plein d’humour.
Jeremy Denk est un Grand Artiste à réécouter dès que possible.
Hubert Stoecklin
Compte rendu concerts. 37 iéme édition de Piano aux Jacobins ; Toulouse ; Cloître des Jacobins ; Le 20 septembre 2016. Œuvres de : Machaut ; Binchois ; Ockeghem ; Dufay ; Deprez ; Janequin ; Byrd ; Gesualdo ; Monteverdi ; Purcell ; Scarlatti ; Bach ; Mozart ; Beethoven ; Schumann ; Chopin ; Wagner/Liszt ; Brahms ; Schoenberg ; Debussy ; Poulenc ; Stockhausen ; Glas ; Ligeti ; Jeremy Denk, piano.
Photograph: Simon Jay Price