Les portes font partie de l’action. Dans Le Château de Barbe-bleue, c’est une succession de portes qui gère la progression du livret et donc de l’opéra. Dans l’opéra de Bartók, Judith a décidé qu’elle voulait savoir ce qu’il y avait derrière chacune. Dans celui de Dallapiccola, Le prisonnier profite, lui, d’une seule porte qu’on a laissé entrebaillée : une porte mal fermée, pour un prisonnier, c’est tout le symbole de la liberté qui est matérialisé ainsi. Il faut en profiter.
Il Prigioniero
Opéra en un acte avec prologue
Livret du compositeur
D’après La torture par l’espérance de Villiers de L’Isle-Adam
et La légende d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak de Charles de Coster
Création scénique, Florence 20 mai 1950
Cet opéra court (moins d’une heure et sans entracte) est écrit pour grand orchestre, chœurs, orgue, cuivres et un carillon en coulisse. Rarement présenté en France, il fait son entrée au Théâtre du Capitole. La production fait appel à un panel d’artistes qui font tous leur début dans ce Théâtre, aussi bien Aurélien Bory pour la mise en scène avec ses assistants, Pierre Dequivre, Vincent Fortemps, artiste plasticien, Sylvie Marcucci, pour les costumes et Arno Veyrat aux lumières. Seul le chef milanais Tito Ceccherini connaît la fosse toulousaine pour avoir dirigé il y a peu la création des Pigeons d’argile de Philippe Hurel. Il dirigera pour la première fois Il Prigioniero. La mezzo-soprano suisse Tanja Ariane Baumgartner fera aussi ses débuts à Toulouse, dans le rôle de La Mère tandis que l’on retrouve Gilles Ragon dans un double rôle – voir plus loin. Le rôle éprouvant du prisonnier sera tenu par le baryton turc Levent Barkici.
Cet opéra créé scéniquement en 1950 place l’homme au cœur de la société. Sur la thématique de l’espoir et du désir de liberté, il reflète la violence de la propagande, du mensonge et des manipulations idéologiques causés par la dictature. Luigi Dallapiccola a choisi pour son opéra un livret à l’engagement politique fort. Il conjugue avec succès tradition lyrique italienne (Monteverdi, Verdi, Busoni) et germanique (Wagner, Mahler, Schoenberg, Webern).
Le compositeur Luigi Dallapiccola: Profond humaniste, passionnément épris de liberté, très exigeant et d’une grande lucidité, ayant fêté dignement le 25 juillet 1943, jour de la chute de Mussolini, on comprendra mieux les racines de sa musique si on l’écoute et le cite : « Je ne pense pas que l’artiste d’aujourd’hui puisse s’enfermer dans sa tour d’ivoire. L’artiste vit et souffre avec son époque, aujourd’hui non moins qu’hier. Croyez-vous que, sans la récente guerre et les persécutions qui s’ensuivirent, mon opéra Il Prigioniero eût jamais affleuré des limbes du subconscient ?…… ». Seul compositeur dodécaphoniste, selon le chef renommé, Erich Kleiber, à écrire avec son cœur, Luigi Dallapiccola était tout naturellement destiné à composer des opéras. Il Prigioniero a été composé peu après la découverte des camps de la Seconde Guerre mondiale. Le Prisonnier est un ouvrage qui prend ses distances avec l’opéra conventionnel : pas de grand duo d’amour, simplement l’histoire d’un captif à qui l’on ouvre une porte et qu’on rattrape aussitôt. L’action est donc profondément statique, mais la musique et l’orchestration ont une telle force……Quant à la mise en scène, on retiendra que Dallapiccola avait le désir d’universaliser son histoire et de lui donner une résonance générale et actuelle, donc, pas de localisation de l’action à une époque bien précise.
La musique de Dallapicola constitue donc volontiers une protestation politique. Et les pages bouleversantes dans son opéra sont à rapprocher de ses Canti di Prigionia, et Canti di Liberazione. Elles représentent un sommet musical dans la production italienne du siècle dernier – XXè – en même temps qu’un poignant message humain.
Afin d’apercevoir le lien étroit qui unit la vérité spirituelle d’un ouvrage et sa constitution technique, on peut connaître un extrait du commentaire que le compositeur fait lui-même sur son opéra composé d’après un ouvrage au titre bien plus explicite que le sien, à savoir La Torture par l’espérance de Villiers de l’Isle-Adam : « L’œuvre est écrite selon le système dodécaphonique. Les séries principales sont au nombre de trois : celle de la prière « Seigneur, aidez-moi à suivre ma route » ; celle de l’espérance et celle de la liberté (…). Il faut leur ajouter des combinaisons dodécaphoniques variées dont les plus importantes sont celles qui sont constituées par « frère » et par « rœlant » (…). » L’auteur ajoute, tenant absolument à nous en persuader : « Ce que j’écris, je l’écris dans l’espoir de convaincre les gens que, même un compositeur qui sympathise vivement avec la technique dodécaphonique n’est pas détaché, mais, comme tout le monde, vit sa propre existence avec ses mille peines et ses quelques joies. » On retiendra que le compositeur utilise les techniques sérielles ou dodécaphoniques créées par Arnold Schœnberg, mais en les subordonnant toujours à l’expression de l’émotion et au lyrisme de la ligne vocale.
Le Prisonnier dont la trame musicale et la thématique sont inséparables de celles des Canti di prigionia, fut conçu dès après la Libération comme une réponse à la barbarie, une réponse à portée universelle. Toute la partition est un long cheminement vers l’issue fatale, au cours duquel le Geôlier puis le Grand Inquisiteur – c’est volontairement le même interprète dans les deux rôles à savoir le ténor Gilles Ragon qui nous avait récemment agréablement surpris dans ce chant à la tessiture improbable dans Les Pigeons d’argile – accompagnent le captif vers la mort. Mais, bien plus insidieuse et plus cruelle que la mort physique, la dernière torture, la torture par l’espérance est appliquée par les deux bourreaux.
Le livret : « Je te reverrai mon fils, je te reverrai… Mais dans mon cœur une voix murmure : C’est la dernière fois…. » Ce sont les mots qui ouvrent l’opéra. Si on se réfère au cadre historique du livret, on est à l’époque de la rébellion des Flandres dans l’Espagne de Philippe II, responsable des exactions de l’Inquisition. Tous, vous connaissez l’opéra Don Carlo de Verdi. Dans la prison de l’Inquisiteur, un prisonnier est enfermé dans sa cellule, subissant tortures diverses. Une mère est ainsi ravagée par l’angoisse car elle pressent la fin prochaine de son fils : elle a vu en rêve le roi Philippe prendre l’apparence de la mort. Elle rend visite à son fils dans sa cellule. En tant que rabbin, il doit être brûlé sur le bûcher. Alors que le prisonnier évoque les tortures qu’il a endurées, ils sont interrompus par l’arrivée du geôlier, qui laisse entendre au prisonnier que des troubles politiques annoncent la chute prochaine de Philippe II : le temps de la liberté est proche ! Mais le prisonnier ignore encore ce qu’est la torture par l’espérance…
« Frère… Espère… » répète le geôlier cherchant à bercer le prisonnier d’une illusion qui se révélera la plus raffinée des tortures… « Tu dois vivre pour pouvoir espérer » Et qu’espère un prisonnier si ce n’est la liberté ? Tendre et faussement fraternel, le Geôlier laisse la porte de la cellule entr’ouverte. C’est au travers de cette porte volontairement entr’ouverte que tout se dessine. Quand le Prisonnier croit avoir définitivement échappé à ses bourreaux, le Grand Inquisiteur le ramène à la raison et l’enserre dans ses bras, dans une étreinte aussi douce qu’insupportable. Le Prisonnier va alors prononcé le dernier mot de cet opéra : « La liberté. »
L’action est encadrée par deux très beaux intermèdes chorals, le premier dans la ferveur, le second dans la soumission à la loi divine « Seigneur, tu ouvriras mes lèvres et ma bouche proclamera tes louanges ». Les chœurs chantent en coulisse, sauf le second intermède qui d’après le compositeur peut être retransmis sur scène par haut-parleurs.
La nouvelle production débute par l’unique opéra écrit par Bela Bartók, Le Château de Barbe-Bleue, souvent donné en version concert et beaucoup plus rarement en version scénique. Tel est le cas pour la scène du Théâtre du Capitole. Le couplage de ces deux opéras choisis par Frédéric Chambert paraît des plus judicieux.
« Il est des moments où je prends conscience que je suis totalement seul. Et je prévois, j’ai le pressentiment que cet état de solitude morale sera ma destinée. Je regarde autour de moi à la recherche de la compagne idéale, mais je sais bien que c’est là une quête vaine. Et même s’il m’était donné de la trouver un jour, j’en suis sûr que je serais bientôt déçu » (Lettre du 10 septembre 1905, citée dans l’Avant-scène Opéra).
Confidence bien prémonitoire car, c’est finalement le sort du héros de son unique opéra, qui est à la fois, sa première œuvre scénique et sa première œuvre vocale. En un seul acte d’une heure, cet opéra ne cessera de fasciner, alors qu’au départ, l’ouvrage est refusé par un jury. C’est un parmi les nombreux épisodes de la lutte incessante que Bartók mène en Hongrie, pour sa musique, et pour toute la musique moderne.
Composé de mars à septembre 1911, il est créé sept ans plus tard, à la fin de la Première Guerre mondiale, à l’Opéra de Budapest. Cette première exécution enchantera le compositeur aussi bien par l’orchestre et son chef italien Egisto Tango que par les deux chanteurs à qui il rendra hommage.
Il est à remarquer que la vie du compositeur n’est pas sans présenter des points communs avec l’œuvre qui nous occupe. Le parallèle est flagrant. Retenons l’attachement viscéral du compositeur à sa terre natale, à la nation, attachement à la musique qui en jaillit et qui n’est semblable à aucune autre. Comme un Dvorak, l’un et l’autre n’ont cessé d’écouter et de transmettre le fabuleux et tellurique chant de leur TERRE. Bartók recherche, inventorie, classe, observe, dissèque. N’oublions pas qu’avec son ami Zoltan Kodaly, il parcourt la campagne et recueille les chants des paysans, avec les moyens d’enregistrement de l’époque !! sa passion ardente de la langue hongroise – il interdisait aux membres de sa famille de s’adresser à lui en allemand – ne pouvait que l’amener à concevoir un opéra en cette langue, comme une sorte de consécration. Le jeune patriote brûle de voir à l’affiche de l’Opéra de Budapest, une œuvre écrite spécifiquement dans cette langue si mystérieuse, ni slave, ni latine.
Synopsis. Malgré l’amour de sa quatrième femme, Judith – une réincarnation de l’héroïne biblique qui trancha la tête d’Holopherne –, l’être tourmenté conduit par un insatiable désir de connaître l’Amour, le duc Barbe-Bleue reste prisonnier de lui-même, muré dans ses secrets comme dans sa sombre forteresse farouchement verrouillée, son palais de solitude.
L’opéra se déroule bien en un seul acte et se présente comme un long duo entre le duc et sa nouvelle épouse, Judith. Celle-ci va vouloir pénétrer les pièces interdites du château de son époux, jusqu’à cette chambre où sont emprisonnées les précédentes épouses. Judith, ayant découvert le fatal secret devra les rejoindre. Nous sommes à l’époque où les compositeurs d’opéra sont, par réaction, en pleine influence des opéras en un acte, ou du moins plus brefs que ceux d’un Wagner, ou Massenet et même Verdi. Une nouvelle dramaturgie est née, reposant sur concision et rapidité.
Adoptant cette forme brève, Bartók va y développer pourtant l’absolu contraire, c’est-à-dire une extension fascinante et presque sans limite du temps musical : l’opéra avance lentement mais inexorablement vers sa fin attendue, vers une salvatrice apocalypse. Cette fin elle-même n’est en rien une conclusion mais ouvre, par les sortilèges de l’orchestre, sur l’espace immense et étoilé de la nuit et de la mort. Comme chez Wagner, l’orchestre fait le décor à lui seul, Bartók y multipliant les effets symboliques et imitatifs (les armes, les plaintes, les bijoux…), les sonorités magiques et délétères.
Le Duc, c’est le baryton roumain Bálint Szabó, et Judith, la mezzo-soprano suisse Tanja Ariane Baumgartner.
A la faveur du symbolisme littéraire et des premières explorations de la psychanalyse, le conte de Charles Perrault a repris du service et des couleurs en ce début de XXè siècle. D’abord le drame de Maurice Maeterlinck, Ariane et Barbe-Bleue, puis l’opéra que Paul Dukas a tiré de cette pièce en 1907, enfin la « ballade théâtrale » du poète hongrois Béla Bálàzs, qui sert de livret à Bartók, rouvrent les hostilités entre l’homme et la femme, entre les secrets jalousement gardés d’Adam et la curiosité insatiable d’Eve. Les sept issues cadenassées du château cachent les richesses de l’Homme et ses misères, les emblèmes de sa force – salle d’armes, terres opulentes – comme les insignes de sa faiblesse – lac de larmes, chambre des trois épouses recluses. Bálàzs fut poète, romancier, et plus tard, cinéaste considérable ayant collaboré avec Pabst et Leni Riefensthal à Berlin.
Les débats « psy » sur l’Homme et la Femme sont ouverts et pour longtemps encore ! : « Le conflit atteint des abîmes de plus en plus profonds et accentue les différences naturelles entre l’homme et la femme dans un antagonisme entre la connaissance et l’instinct. Maintenant, nous comprenons l’essence de l’histoire : la vaine illusion d’une union complète entre un homme vivant une vie pleine et luttant pour les idéaux et une femme suivant seulement ses instincts et vivant des émotions. L’idéalisme de l’homme est de plus en plus fortement transfiguré, tandis que la faiblesse morale de la femme devient de plus en plus évidente. » György Kroó (c’est bien une citation qui n’engage que son auteur !!)
Commencé dans une pénombre crépusculaire, l’affrontement s’achève, la septième porte refermée, dans les ténèbres de la résignation et du désespoir, après une illumination extatique à l’ouverture de la cinquième, point culminant de l’élan vital, de la conquête des ténèbres par la clarté. Dernières paroles du livret : « Es mindég is éjjel lesz mar…éjjel…éjjel… » (« Et désormais, tout ne sera plus que ténèbres, ténèbres, ténèbres. »)
Dans ce somptueux écrin musical, la langue hongroise déploie ses étranges accents et Bartók en accentue les archaïsmes, jouant sur les rythmes, les dissonances et les consonances. Zoltan Kodaly, au lendemain de la première, évoquait très bien cette particularité du chef-d’œuvre de Bálàzs et de Bartók : « Ce récit sans événements ne contient aucun des poncifs habituels de l’opéra, mais la manière dont il développe les thèmes de la vieille légende, sa façon de présenter le problème à tout jamais insoluble des rapports entre homme et femme, saisissent et fascinent l’auditoire du premier au dernier mot. La méthode du librettiste, qui consiste à composer une ébauche et à confier à la musique le soin d’en préciser les contours, de la rendre plus vivante, permet au texte de se fondre avec la musique. Sans être contraints à nier leur existence propre, le drame et la musique s’affirment néanmoins dans une union plus parfaite. Cette union, loin d’être troublée par la structure symphonique de la musique, en est au contraire resserrée : la courbe dramatique et la courbe musicale se développent en parallèles et se renforcent mutuellement, tel un double arc-en-ciel grandiose. »
Le livret complet en français (en téléchargement pdf)
Traduction française : M. D. Calvocoressi
Prologue
Il est un conte. Que l’on raconte. On dit : « Il était une fois… ». Et, comme en songe, l’on revoit, messieurs, mesdames…
Espoirs, chimères, lointains mystères. Que nous apporte celui-ci ? Que nous apprend ce vieux récit, messieurs, mesdames ?
La joie est brève, tout n’est que rêve; On aime, on souffre et le destin se rit de nous, frappe soudain, messieurs, mesdames.
Ce n’est qu’un conte que l’on raconte. Peut-être qu’il vous en souvient.
Écoutez bien, regardez bien, messieurs, mesdames. (Le rideau se lève)
La pièce finie, je vous en supplie, si elle a plu, applaudissez.
Voyez dans l’ombre ce château sombre, messieurs, mesdames. Sans doute, vous le connaissez. De ses merveilles, l’histoire est vieille…
(Une grande salle ronde, de style gothique. A gauche, un escalier monte à une petite porte de fer. A droite de cet escalier, sept grandes portes closes, dont quatre face à la rampe et trois face à l’escalier. Point de fenêtres ni d’ornements. La salle ressemble à une caverne sombre, vide, taillée en plein roc. Au lever du rideau, la scène est plongée dans l’obscurité ; le barde s’efface. Soudain, la petite porte s’ouvre et dans le rectangle de lumière, les silhouettes noires de Barbe-Bleue et de Judith apparaissent).
Barbe-Bleue : Nous voici au but. Ce château de Barbe-Bleue est la demeure. Il fait plus clair chez ton père. Me suis-tu Judith, ma femme ?
Judith : Je viens, je viens, Barbe-Bleue.
(Barbe-Bleue descend lentement les marches).
Barbe-Bleue : Le tocsin là-bas résonne, là. Ta mère en deuil sanglote, ton vieux père a pris ses armes et ton frère monte en selle. Me suis-tu, Judith, ma femme ?
Judith : Je viens, je viens, Barbe-Bleue.
(Barbe-Bleue est arrivé au bas et se tourne vers Judith, qui s’est arrêtée à mi-chemin. La lumière de la porte éclaire les deux personnages).
Barbe-Bleue : Tu hésites ? Tu recules ?
Judith (Portant les deux mains à son cœur) : Non. Ma robe s’était prise, un clou l’avait accrochée.
Barbe-Bleue : Vois, la porte reste ouverte.
Judith : Barbe-Bleue !
(Elle descend quelques marches).
Quand j’ai quitté mes deux parents, quand j’ai quitté mon frère aimé…
(Elle descend jusqu’en bas)
délaissé mon doux fiancé, je t’ai suivi sans hésiter.
(Elle se serre contre lui).
Barbe-Bleue ! Si tu me chasses, je resterai devant ta porte, je languirai devant ta porte.
(Il prend Judith dans ses bras).
Barbe-Bleue : Soit, je vais fermer la porte.
(La petite porte de fer est fermée. La salle reste faiblement éclairée, juste assez pour que se distinguent les deux personnages et les sept grandes portes. Judith, tenant la main de Barbe-Bleue, vient s’appuyer au mur).
Judith : De Barbe-Bleue c’est la demeure. Sans fenêtres ? Toujours sombre ?
Barbe-Bleue : Toujours.
Judith : Le soleil n’y brille jamais ?
Barbe-Bleue : Non, jamais.
Judith : Toujours froide, glaciale ?
Barbe-Bleue : Froide, glaciale.
Judith (S’avançant) : Nul n’aurait osé sans doute divulguer ce noir présage.
Barbe-Bleue : Quel présage ?
Judith : Le château si noir, si sombre.
(S’avançant encore et avec un sursaut) : L’eau ruisselle ! Barbe-Bleue ! D’où vient donc cette eau qui suinte ? Tes murailles, elles pleurent !
(Elle se couvre les yeux).
Barbe-Bleue : De ton fiancé, plus claire, plus joyeuse est la demeure. Des murs blancs, couverts de roses et des flots de gaie lumière.
Judith : Tais-toi, tais-toi, Barbe-Bleue ! Que m’importent la lumière et les roses ? Peu m’importent lumières, roses. Tais-toi, tais-toi, tais-toi ! Mais que ton château est sombre ! Que ce grand château est sombre ! Triste, sombre… Hélas, combien tu es à plaindre !
(Elle tombe, sanglotante, aux pieds de Barbe-Bleue et prend ses mains qu’elle baise).
Barbe-Bleue : Pourquoi m’as-tu suivi, Judith ?
Judith (Se dressant) : Pour tarir ces eaux qui suintent de mes lèvres, les tarir ! Réchauffer ces froides pierres de mes bras et de mes lèvres et j’ai hâte de le faire, Barbe-Bleue ! Dissiper l’ombre accablante, faire entrer ici la joie. Brises douces, gaie lumière, gaie lumière, porteront ici la joie !
Barbe-Bleue : Rien n’éclairera ma demeure.
(Se tournant à droite, Judith va vers le milieu de la scène).
Judith : Barbe-Bleue, mène-moi par ta demeure.
(Elle arrive au milieu). Sept grandes portes sinistres. Les sinistres portes closes !
(Il la suit du regard, demeurant immobile et muet).
Pourquoi donc sont-elles closes ?
Barbe-Bleue : Nul ne doit ouvrir ces portes.
Judith : Ouvre, ouvre, ouvre vite. Ouvre vite, que pénètrent brises douces, gaie lumière !
Barbe-Bleue : Songe à l’effrayant présage.
Judith : Que rayonne la lumière. Que s’éclaire ta demeure, pauvre, triste château sombre ! Ouvre, ouvre vite !
(Elle frappe à la première porte. Soudain s’élèvent de sourds gémissements, pareils au bruit que produit le vent soufflant à travers de longs corridors surbaissés).
Oh !
(Reculant vers Barbe-Bleue)
Oh ! Qu’est-cela ? Qui soupire ? Qui sanglote ? Barbe-Bleue, ta demeure… Ces murs sombres ! Ces murs sombres !
Barbe-Bleue : Tu trembles ?
Judith (Pleurant doucement) : Oh, ces sombres murs qui pleurent !
Barbe-Bleue : Tu trembles ?
Judith : Oh, ces sombres murs qui pleurent ! Ouvre, ouvre, ouvre vite ! Laisse-moi bien vite ouvrir. Douce et tendre, j’ouvrirai, douce, tendre, tendre. Donne-moi les clefs bien vite. Donne-les, comme je t’aime !
(Elle appuie sa tête sur l’épaule de Barbe-Bleue).
Barbe-Bleue : Ta main soit bénie, Judith ! (Les clefs tintent dans l’obscurité).
Judith : Merci bien, merci bien ! (Elle retourne vers la première porte).
Je m’en vais ouvrir sur-le-champ. (On entend la clef tourner dans la serrure : de nouveau de profonds soupirs).
Qu’est-ce ? Qu’est-ce ? (La porte s’ouvre silencieusement, un rectangle rouge apparaît, semblable à une blessure et un long trait de lumière rouge se projette sur le plancher de la salle).
Oh !
Barbe-Bleue : Que vois-tu ? Que vois-tu ?
Judith (Portant les deux mains à son cœur) : Des chaînes, des verges, des tenailles, une roue…
Barbe-Bleue : C’est ma chambre de torture !
Judith : Quelle épouvantable chambre ! Barbe-Bleue ! Horrible !
Barbe-Bleue : Tu trembles ?
Judith (Avec un sursaut) : Tous ces murs de pierre saignent ! Tes murailles saignent !… saignent… saignent
Barbe-Bleue : Tu trembles ? (Judith se tourne vers Barbe-Bleue, clairement silhouettée dans la lumière rouge).
Judith (D’une voix blanche, mais calme et décidée) : Non ! Je ne tremble pas ! Vois, déjà point la lumière. (Elle se rapproche de Barbe-Bleue, suivant avec soin le trait de lumière).
Vois ces rayons, vois ce flot de lumière ! (Elle s’agenouille et plonge ses mains réunies en forme de coupe, dans le trait de lumière).
Barbe-Bleue : Un flot rouge, du sang rouge.
Judith (Se relevant) : (Oh, regarde la lumière, là, regarde ! Il faut vite ouvrir les portes, à la brise, à la lumière. Il faut vite ouvrir les portes !
Barbe-Bleue : Mais sais-tu ce qu’elles cachent ?
Judith : Donne-moi les clefs bien vite ! Donne-moi les clefs bien vite ! Que les portes s’ouvrent toutes ! Donne vite !
Barbe-Bleue : Judith, pourquoi m’y contraindre ?
Judith : Puisque je t’aime !
Barbe-Bleue : Déjà mes murailles tremblent, ouvre si tu veux ou ferme. (Il lui tend la seconde clef. Leurs mains se rencontrent dans la lumière rouge).
Mais prends garde, prends bien garde pour toi, pour toi, prends garde, Judith !
Judith (Allant vers la deuxième porte) : Douce et tendre, je les ouvre, douce, tendre
(La clef tourne avec un bruit sec. La deuxième porte s’ouvre sans bruit. Le cadre s’éclaire de lueurs cuivrées fuligineuses. Un deuxième trait de lumière se dessine sur le plancher).
Barbe-Bleue : Que vois-tu ?
Judith : Glaives, lances, arcs et flèches, cent affreux engins de guerre.
Barbe-Bleue : C’est ma salle d’armes, Judith.
Judith : Ta puissance est sans mesure, ta puissance est implacable !
Barbe-Bleue : Tu trembles ?
Judith : Ces armes sont ensanglantées, toutes sont ensanglantées !
Barbe-Bleue : Tu trembles ?
Judith (Se tournant vers Barbe-Bleue) : Où sont les clefs des autres portes ?
Barbe-Bleue : Judith, Judith !
(Judith revient vers l’avant-scène, marchant le long du second trait).
Judith : La clarté pénètre, la lumière brille, brille ! Donne les clefs des autres portes !
Barbe-Bleue : Prends garde à nous !
Judith : Donne-moi les clefs bien vite !
Barbe-Bleue : Sais-tu ce que les portes cachent ?
Judith : Confiante, je suis venue. Me voici, je suis tout à toi. Conduis-moi par ta demeure, ouvre toutes les portes, toutes.
Barbe-Bleue : Déjà mes murs de pierre tremblent, la joie dans mon château pénètre Judith, Judith ! Moins brûlante est une plaie qui saigne.
Judith : Tout amour, je suis venue, ouvre vite les sept portes !
Barbe-Bleue : Prends les clefs de trois encore. Ouvre-les, mais n’interroge pas, regarde mais n’interroge pas !
Judith : Donne-les, que j’ouvre vite ! (Elle prend les clefs avec impatience et se précipite vers la troisième porte devant laquelle elle s’arrête, hésitante).
Barbe-Bleue : Tu hésites ? Tu chancelles ?
Judith : Non, je cherche la serrure.
Barbe-Bleue : Ne crains plus rien, peu importe.
(Judith tourne la clef dans la serrure. La troisième porte s’ouvre avec un son profond et vibrant. Un rectangle de lumière dorée se dessine et un troisième trait de lumière est projeté).
Judith : Quelles richesses ! L’immense trésor !
(Elle s’agenouille, plonge ses mains dans ses richesses et en retire une couronne, un manteau d’apparat et une parure qu’elle pose sur le seuil). Combien d’or, de pierreries, diamants, rubis et perles ! Des couronnes scintillantes !
Barbe-Bleue : Mon trésor, mes richesses.
Judith : Merveilleux trésor, Barbe-Bleue !
Barbe-Bleue : Ces joyaux sans prix sont à toi. Prends ces gemmes, prends ces parures.
Judith (Se dressant subitement) : Le sang ruisselle des parures. (Elle se tourne avec stupéfaction vers Barbe-Bleue). Du sang sur la belle couronne ! (Judith manifeste une agitation croissante. Elle se tourne vers la quatrième porte, l’ouvre).
Barbe-Bleue : Ouvre la quatrième porte, à la lumière ouvre, ouvre.
(Des rameaux fleuris apparaissent dans le rectangle de lumière bleutée de la porte ouverte et un trait de lumière bleutée vient se dessiner à côté des précédents).
Judith : Oh ! Le beau jardin ! Oh ! Quel enchantement ! Tant de fleurs sous ces murs sombres !
Barbe-Bleue : C’est là mon jardin secret.
Judith : Jardin merveilleux ! Que ces grands lys blancs sont beaux ! Doux parfums, brillantes roses, clématites, rouges œillets. Merveilleux jardin de rêve.
Barbe-Bleue : De ces fleurs reçois l’hommage. Pour toi sont ces lys, ces roses ! Fais-les vivre, fais-les croître, refleurir toujours plus belles.
Judith (Se penchant brusquement effrayée) : Toutes ces racines saignent ! De partout le sang ruisselle !
Barbe-Bleue : Ces corolles s’ouvrent pour toi, pour toi, chantent et s’inclinent. (Judith se dresse et se tourne vers Barbe-Bleue).
Judith : Qui a arrosé la terre ?
Barbe-Bleue : Bien-aimée, n’interroge pas. Vois, la lumière à flots pénètre. Ouvre la cinquième porte !
(Judith va d’un pas ferme vers la cinquième porte et l’ouvre. La porte ouverte révèle une grande baie d’où un panorama sans bornes s’offre à la vue. La lumière ruisselle, éclatante. Judith, comme éblouie, se met les mains devant les yeux).
Judith : Ah !
Barbe-Bleue : Là, tu vois mon territoire. Toute la contrée est mienne. N’est-ce point un beau domaine ?
Judith (Émue, regarde au loin, fixement) : Grand et beau est ton royaume.
Barbe-Bleue : Prairies vertes, forêts vastes, rivières claires qui serpentent et au loin de hautes montagnes.
Judith : Grands et beaux sont tes domaines.
Barbe-Bleue : Tout ceci t’appartient désormais. Là, le crépuscule et l’aube, là, soleil, étoiles, lune seront ton cortège fidèle.
Judith : Ce nuage rouge saigne ! D’où vient ce nuage rouge ?
Barbe-Bleue : Vois, c’est le soleil qui brille, grâce à toi dans ma demeure. Ta main soit bénie, Judith.
(Ouvrant les bras) Viens dans mes bras, ma bien-aimée !
(Judith reste immobile).
Judith : Deux portes encore sont closes.
Barbe-Bleue : Laissons ces deux portes closes. Que montent des chants d’allégresse ! Vois, mes bras ouverts t’attendent.
Judith : Ouvre les dernières portes !
Barbe-Bleue : Judith, Judith, vois, mes bras ouverts t’attendent, bien-aimée !
Judith : Ouvre les dernières portes !
Barbe-Bleue (Laissant ses bras retomber) : Tu désires la lumière ? Vois, mon château en resplendit.
Judith : Je désire que pas une des sept portes ne reste close.
Barbe-Bleue : Ah ! prends garde, ma demeure jamais ne sera plus claire.
Judith : Que je vive, que je meure, peu importe ! Barbe-Bleue…
Barbe-Bleue : Judith, Judith !
Judith : … ouvre vite ces deux portes, Barbe-Bleue, Barbe-Bleue !
Barbe-Bleue : Laisse Judith ! laisse Judith ! Judith ! Judith !
Judith : Ouvre vite !
Barbe-Bleue : Je te donne encore une clef.
(Judith sans parler, tend avidement une main vers lui. Il lui donne la clef. Judith va vers la sixième porte. Au premier tour de clef, un long gémissement monte. Judith recule).
Judith, Judith ! Ne l’ouvre pas !
(Judith va vivement vers la porte et l’ouvre. Il semble qu’une ombre passe sur la salle. La lumière baisse un peu).
Judith : Des eaux blanches, des eaux mornes, immobiles, blanches, mornes. D’où viennent ces eaux funèbres ?
Barbe-Bleue : Des larmes, Judith, des larmes, des larmes.
Judith (Frissonnant) : Eaux dormantes, eaux dolentes !
Barbe-Bleue : Des larmes, Judith, des larmes, des larmes. (Judith se penche et contemple les eaux).
Judith : Immobiles, pâles, mortes.
Barbe-Bleue : Des larmes, Judith, des larmes, des larmes.
(Judith se tourne lentement et interroge Barbe-Bleue du regard. Barbe-Bleue ouvre lentement les bras).
Viens, mes bras ouverts t’attendent, bien-aimée.
(Judith demeure immobile et muette).
Mes baisers t’attendent, Judith. (Judith : même jeu). La dernière reste close, toujours close.
(Judith, la tête baissée avance lentement vers Barbe-Bleue. Triste, elle se serre contre lui).
Judith : Aime-moi, Barbe-Bleue.
(Barbe-Bleue l’étreint. Long baiser. Elle met la tête sur l’épaule de Barbe-Bleue) M’aimes-tu vraiment, Barbe-Bleue ?
Barbe-Bleue : Tu m’apportes joie, lumière. Aime-moi. Tais-toi. N’interroge pas. (Long baiser)
Judith (La tête sur l’épaule de Barbe-Bleue) : Dis-moi vite, sois sincère : as-tu aimé d’autres femmes ?
Barbe-Bleue : Tu m’apportes joie, lumière : aime-moi, tais-toi, n’interroge pas.
Judith : Étaient-elles plus belles ? Les aimais-tu mieux ? Plus tendrement ? Réponds vite, Barbe-Bleue.
Barbe-Bleue : Judith, aime-moi, tais-toi, chère.
Judith : Ta réponse, Barbe-Bleue !
Barbe-Bleue : Judith ! Tais-toi, tais-toi, chère.
Judith (S’arrachant de ses bras) : Ouvre la septième porte !
(Barbe-Bleue reste immobile). J’ai compris, ô Barbe-Bleue, ce que cette porte cache. Tout le sang souillant tes armes, la couronne ensanglantée, les racines qui saignaient et ce ciel sanglant, sinistre : j’ai compris, ô Barbe-Bleue, d’où vient le morne lac de larmes. Là sont toutes tes épouses, égorgées, de sang baignées. Ah ! l’affreux présage était vrai.
Barbe-Bleue : Judith !
Judith : Hélas, trop vrai ! Ouvre vite, que je sache ! Ouvre la dernière porte.
Barbe-Bleue : Soit, soit, prends la dernière clef.
(Judith le regarde fixement, sans prendre la clef).
Ouvre, Judith, va, regarde ! Là sont toutes mes épouses.
(Judith reste un temps indécise, puis prend la clef d’une main tremblante marche à pas chancelants vers la septième porte qu’elle ouvre. Au bruit de la clef, la sixième et cinquième porte se referment avec un faible son plaintif. La lumière décroît sensiblement. Seules les quatre portes restées ouvertes éclairent la scène de lueurs colorées. A ce moment, s’ouvre la septième porte, donnant passage à une lueur blanche lunaire qui éclaire les traits de Judith et de Barbe-Bleue).
Vois, ce sont là mes épouses, celles qu’avant toi j’aimai.
(Judith recule, stupéfaite et horrifiée).
Judith : Vivantes, vivantes ! Elles vivent ! (De la septième porte surgissent trois femmes, couronne en tête, richement vêtues et couvertes de bijoux. Elles sont pâles, hautaines et marchent à pas lents, l’une derrière l’autre, pour venir s’arrêter devant Barbe-Bleue qui tombe à genoux comme en extase et leur tend les bras).
Barbe-Bleue : Belles, belles, bien-aimées, vous vivez inoubliées. Vous m’avez porté richesses. Vous avez fait fleurir mes roses, agrandi mes beaux domaines. Tout ici est vôtre.
(Judith, anxieuse, se place près d’elles, quatrième)
Judith : Qu’elles sont belles, qu’elles sont riches ! Moi, je suis si humble et pauvre. (
Barbe-Bleue se lève et dit d’une voix émue).
Barbe-Bleue : A l’aurore la première vint à moi, parée de roses. Depuis lors, la fraîche aurore, son manteau de roses rouges, l’argent clair de la couronne sont à elle pour toujours.
Judith : Oh, qu’elle est heureuse et belle !
(La première femme se retire à pas lents).
Barbe-Bleue : La deuxième vint, brillante, dans l’ardent éclat de midi. Depuis lors, midi, sa gloire, son pesant manteau de flamme, sa couronne éblouissante, sont à elle pour toujours.
Judith : Oh, qu’elle est heureuse et belle !
(La deuxième femme se retire).
Barbe-Bleue : La troisième au crépuscule vint à moi dans l’ombre calme. Depuis lors, le soir, sa pluie, son manteau lourd de mystère sont à elle. Pour toujours.
Judith : Oh ! qu’elle est heureuse et belle !
(La troisième femme se retire. Barbe-Bleue reste devant Judith. Ils se regardent longuement l’un l’autre. La quatrième porte se referme lentement).
Barbe-Bleue : La quatrième au cœur de la nuit vint à moi.
Judith : Barbe-Bleue, arrête, grâce !
Barbe-Bleue : Dans la nuit semée d’étoiles.
Judith : Tais-toi, tais-toi, je suis encore là !
Barbe-Bleue : La clarté sur ton visage, l’ombre dans ta chevelure. Désormais la nuit est tienne.
(Il va prendre sur le seuil de la troisième porte le manteau, la couronne, et les joyaux. La troisième porte se referme. Il place le manteau sur les épaules de Judith). Son brillant manteau d’étoiles.
Judith : Barbe-Bleue, arrête, grâce !
(Il lui place la couronne sur la tête).
Barbe-Bleue : Sa couronne scintillante…
Judith : Pitié ! Pas cette couronne !
(Il lui met les bijoux autour du cou).
Barbe-Bleue … est à toi pour toujours.
Judith : Pitié ! Pas cette parure !
Barbe-Bleue : Belle, belle, rayonnante ! Tu as été de toutes, de toutes la plus belle !
(Ils se regardent longuement l’un l’autre. Judith succombant presque sous le poids du manteau, la tête penchée, s’en va doucement le long du trait de lumière et disparaît par la septième porte qui se referme sur elle).
Désormais, plus rien que l’ombre, l’ombre, l’ombre…
(Nuit complète. La silhouette de Barbe-Bleue disparaît).
Michel Grialou
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