« Eastern boys », un film de Robin Campillo
Pour son second long (après Les Revenants en 2003), Robin Campillo nous offre un ovni cinématographique qui ne peut laisser indifférent. Ovni non par la forme, superbement maîtrisée d’ailleurs, mais par un fonds qui peut autant choquer, voire agacer, que fasciner ou pour le moins interpeller devant la multitude des thèmes qu’il aborde frontalement. Daniel est un quinqua sans histoire, avec un travail, un appartement, propre sur lui. Pour tromper sa solitude et son désir, il drague aux alentours des gares. Ce jour, il tombe en arrêt devant Marek, un jeune russe. Imprudent, il lui donne son adresse afin que ce dernier vienne le rejoindre. Le jour suivant, son appart est envahi par une bande de jeunes immigrés d’Europe de l’Est dirigée par le Boss. Abasourdi, il assiste impuissant au pillage de son logement.
Le lendemain, Marek revient. Seul cette fois. Commence alors une idylle tarifée d’une glaciale froideur. Mais, petit à petit, quelque chose d’invisible se passe entre ces deux solitaires. Puis, un polar s’installe dans ce film en apparence sociétal et presque romanesque. Le suspense envahit l’écran. Robin Campillo nous parle en fait d’autre chose. Il évoque crûment ici l’immigration clandestine, l’errance, la misère, la survie dans une Europe d’où l’humain est banni. Le scénario de Robin Campillo est risqué à plus d’un titre dont les moindres ne sont pas la stigmatisation des étrangers et la prostitution. Porté par des acteurs d’une incroyable justesse de ton : Olivier Rabourdin (Daniel), Kyrill Emelyanov (Marek victime autant que manipulateur) et, surtout, Daniil Vorobyev (Boss lumineux et formidablement dangereux, un acteur à suivre certainement !), ce film laisse un arrière-goût amer dans les neurones. Impression d’autant plus bizarre qu’il est difficile de ne pas s‘incliner et de saluer comme il convient une œuvre courageuse, originale, sensible et parfaitement aboutie.
Robert Pénavayre