Mahler au sommet , un concert magique ! Ivan Ficher et son Budapest Festival Orchestra : quels artistes !!
Diriger et jouer Mahler n’est pas donné à tout le monde, rendre justice à sa 9° symphonie encore moins. Le Budapest Festival Orchestra, dirigé par Ivan Fischer a ce soir été à la hauteur des attentes du public venu très nombreux. Il parait vain en quelques lignes de parler des exigences d’une telle partition, unique entre les symphonies les plus complexes jamais composées par Gustav Mahler. Nous dirons juste que rien d’aussi délicat et subtil n’a été écrit par Mahler lui même. Faisant suite à son extraordinaire Chant de la Terre, la neuvième symphonie a été composée en un temps record. Jamais retouchée par son compositeur, elle n’a été créée qu’après sa mort le 26 juillet 1912 à Vienne sous la direction de Bruno Walter. L’orchestration est subtile, le discours est fluide et sans les insistances et redites de certaines symphonies. Encadrée par deux mouvements lents d’une absolue beauté, cette symphonie en quatre mouvements a un rapport au silence inouï. Jamais il ne parait aussi évident que la musique nait du silence et y retourne comme l’eau de pluie va à la mer. Comme la vie elle même vient et va du néant vers le néant. Dès les premières mesures les violoncelles, les harpes et les cors bouchés, en une audace d’orchestration bouleversante, invitent à cette compréhension quasi métaphysique de la musique. Tout est possible après un tel commencement, comme une naissance en toute quiétude dans le silence. Ce premier mouvement, vraie symphonie à lui seul, exige tant d’attention et d’énergie du chef comme des instrumentistes, afin de permettre à l’auditeur de planer dans un entre deux incommunicable à la fois berceuse de l’infini invitant au sommeil éternel et musique de l’introspection sur la finitude de tout et la paix de la mort. Ivan Fischer comprend tout ce que cette partition contient et nous la rend limpide. L’orchestre est merveilleux de concentration, de précision et d’audaces assumées dans les couleurs et les nuances. L’écoute est éblouie et devient flottante devant tant de beauté et d’intelligence. Après ce premier mouvement bouleversant, le chef sort quelques instants de scène afin de récupérer et l’orchestre se raccorde, le public tousse et reprend conscience. Les deux mouvements médians, dansants et provocants, rappellent toute la vanité de l’agitation du monde. Ivan Fischer obtient de son orchestre, dans une relation de confiance de près de trente ans, de ne pas jouer joli. Ainsi les sons s’enhardissent à être laids et grotesques. Les sarcasmes sont délurés et le vulgaire de la vie est assumé. Ces deux mouvements affreusement moqueurs créent un contraste saisissant. Le final de cette symphonie est un hymne au repos et à l’au-revoir accepté aux êtres, aux mondes et à la musique même. Le chant des violons, déchirants et oppressés ouvre un océan de tendresse. L’immense Adagio déploie ensuite son espace de mélancolie sublimée. Comme le dernier chant, l’Abschied, du Chant de la Terre, ce merveilleusement long mouvement de pure beauté chante et dépasse les cadres étroits du normal. Un adieu ainsi distendu devient une vie à lui seul. Devant tant d’émotion, le demi-sommeil semble un refuge pour continuer à penser sans s’effondrer. L’interprétation d’Ivan Fischer et son Budapest Festival Orchestra est admirable en tout. Intelligence des phrasés, beauté des nuances, précisions des attaques et du rythme. Les instrumentistes rivalisent d’une virtuosité musicalement déchirante. Il faudrait citer chacun mais c’est le collectif de ce don de tout ce que chacun a de meilleur qui fait le prix de cette interprétation à la forme parfaite et au fond infiniment grand. Avec une telle oeuvre et de tels interprètes nous touchons aux limites même du commentaire possible. Tant de génie ne peut se dire, ni même se murmurer. Les mots manquent, le souffle lui-même… Chacun a été confronté à sa finitude et a été changé. Véritable expérience d’une humanité partagée en sa solitude absolue. Le long silence imposé par le chef à la fin a permis un retour en soi après cet immense voyage dont la fin a un gout d’éternité dans son lien au silence. Jamais un concert des Grands Interprètes n’a mérité ainsi son nom.
Hubert Stoecklin. Toulouse. Halle-Aux-Grains, le 6 décembre 2013. Gustav Mahler (1860-1911) : 9° Symphonie en ré majeur. Budapest Festival Orchestra. Direction, Ivan Fischer.