L’opéra-ballet dont il est question, tout comme le Costa Concordia, a trouvé son rocher. Touché mais pas coulé, bien au contraire. Cela pourrait débuter, à la manière de Christophe Hondelatte, par « Faites entrer l’accusé, celui-là qu’est coupable ». Vite trouvé le coupable, c’est bien Laura Scozzi. Son profil a grandement facilité la recherche. Vous prenez une féministe, sûrement, de surcroît altermondialiste, anti-berlusconienne à très forte tendance mélenchonnesque, anti-DSK, anti-cléricale fondamentaliste, à “donf“ écolo et qui a oublié de vendre sa production à Eva Joly. Projetée, elle aurait pu lui faire multiplier par 10 son score aux dernières élections.
Flanquée d’acolytes tout aussi acquis à sa cause, Natacha Le Guen de Kerneizon pour les décors, Jean-Jacques Delmotte pour les costumes, Ludovic Bouaud aux lumières et le vidéaste Stéphane Broc, la subversive metteuse en scène et chorégraphe nous livre une succession ininterrompue de tableaux complètement déjantés sur lesquels sont plaquées des séquences chorégraphiques, pour certaines tout à fait réjouissantes. Quelques gestuelles très “techno“ surtout des Amours ne peuvent que réjouir les travées “paradisiaques“.
On ne reviendra pas sur le Prologue-et l’épilogue “scozzien“- et ses danseurs nus, dont le traitement délicat ne peut souffrir aucune critique de mauvais goût. Bien choisis, nous sommes très loin des créatures des pubs genre Dolce&Gabbana ou Diesel. Pas complètement hommes et femmes des cavernes cependant ! Et si le Prologue est chargé de nous expliquer l’idée générale censée relier les épisodes entre eux, ceux qui n’auraient toujours pas compris…
Des Indes Galantes de feu Jean-Philippe Rameau, ouvrage créé en 1735, que reste-t-il ? La musique est bien là, airs et ritournelle, gavottes, forlanes, menuet et musettes, chaconne, mais les yeux sont tellement captivés, “happés“ que les nerfs auditifs semblent même placés en dérivation optique. L’image n’aurait-elle pas un peu anesthésié le son ? D’autant plus que le talent des Talens lyriques n’étant pas mis en doute, on peut regretter que Christophe Rousset n’aie pas lui aussi disjoncté et rajouté un brin de folie à l’entreprise. Le visuel pouvait sans souci s’en accomoder. Question plateau vocal, tout ce petit monde joue le jeu facilité en soi par leur jeunesse et une certaine aisance vocale pour la plupart. Du théâtre, de la musique, du chant, qui s’en plaindrait ? Même les Chœurs du Capitole, vaillamment entraînés par leur Chef Alfonso Caiani, ont participé avec jubilation à l’entreprise.
Alors, que pourrait-on reprocher ? En quoi peut-on faire la fine bouche, sans aller jusqu’à déclencher, tout de même, une nouvelle Querelle des Bouffons ? Le spectacle ne laisse pas indiffèrent, jubilatoire pour les uns, il vous entraîne, ou vous irrite et vous laisse en chemin pour les autres. L’accueil du public est éminemment favorable donc pari gagné. Mais trop d’idées, une certaine accumulation ne finit-elle pas par nuire à l’ensemble ? Serait-ce donc maintenant la seule solution pour donner au théâtre, Les Indes ? Peut-être bien, après tout. Le livret de départ présente déjà une telle dose d’invraisemblances ! Mais, c’est sûrement toujours à la musique, dans sa rigueur qu’il faut en référer, c’est à partir d’elle qu’il faut inventer aujourd’hui des images qui puissent la faire entendre aujourd’hui, au XXIè siècle.
Cependant, une chose paraît sûre, car si l’on a pu donner, à quatre reprises, Madame Butterfly dans la même mise en scène, sur une quinzaine d’années, je doute que celle-ci puisse reparaître sur la même scène de sitôt. Il en est un peu de ces images comme de celles des appareils photo numériques, des milliers et milliers qui, inoxérablement, finissent à la… corbeille. Montée pour l’instant, elle ne s’inscrit pas pour le temps. Laura Scozzi aura pris, tout de même, pas mal d’avance, et sa propre réussite dans son choix de mise en scène pour Les Indes Galantes de Rameau repousse la concurrence dans les cordes, par K-O. Elle repousse aussi à des années-lumière le travail réalisé par Pier-Luigi Pizzi de monter Les Indes pour les yeux et les esprits des spectateurs de la fin du millénaire précédent.
De tout cela, qu’en aurait donc pensé Debussy qui écrivait en 1908 : « La musique de Rameau réserve l’accueil d’une politesse charmante à ceux qui savent l’écouter. » ?
Michel Grialou
photos © Patrice Nin