L’Espace Job, une belle réalisation à mettre à l’actif de la Ville de Toulouse, accueille désormais Music Halle (L’Ecole des Musiques Vivaces) qui méritait bien un tel lieu à sa mesure. Dans la salle de spectacle flambant neuve, dont le son répond aux attentes pour la structure la plus représentative des musiques actuelles, la crème de ses musiciens a voulu rendre un hommage à ceux des sixties et des seventies qui les ont bercés; et le public a répondu très nombreux à leur invitation, sexagénaires mais aussi jeunes amateurs de progressive rock, un genre à part.
Peu de musiciens se sont attaqué à ce répertoire jugé difficile apparu à la fin des années 1960 : particulièrement élaboré au niveau de la technique instrumentale, de la composition, des textes ou encore des pochettes, souvent de véritables oeuvres d’art; très populaire dans les années 1970, il a vite été relégué aux oubliettes par les grandes maisons de disque au profit du Rock FM ou du Pop Rock, beaucoup plus vendables car plus « faciles à digérer ». Imaginez des morceaux dépassant largement les sacro-saintes 3 minutes (imposées pour la diffusion en radio) pour aller jusqu’à 15, 30 ou même 45 ; et dont l’écriture rejoint souvent la musique savante, si ce n’est que tous les instruments sont électrifiés et amplifiés !
L’expérience, c’est le cas de le dire, qu’ils ont acquise au fil de leurs carrières de musiciens professionnels permet à nos « régionaux » d’interpréter fidèlement ces titres, si ce n’est à la lettre. Mais je vois aussi dans leur nom un clin d’œil au groupe de Jimi Hendrix : Experience. Et ce n’est sans doute pas un hasard, car, en écoutant le son puissant et la virtuosité de Serge Faubert*, on ne peut qu’évoquer l’étoile filante du rock-and-roll. Il a assimilé son approche révolutionnaire de la guitare électrique, notamment son utilisation des pédales d’effet, des ressources de l’amplification et des techniques d’enregistrement en studio : il combine savamment comme lui la saturation des amplificateurs à lampes avec la Fuzz Face, une pédale de saturation, entre autres. Mais il n’oublie jamais que Jimi était un mélodiste issu du Blues; et un grand travailleur.
Laurent Marc, au vibraphone électronique et claviers (dont le fameux mellotron, ancêtre des synthétiseurs, au son polyphonique si reconnaissable), restitue les climats souvent orientalisants qui faisaient aussi l’originalité de cette musique.
Sylvain Jazédé, le batteur, n’est pas de cette génération, mais en bon musicien, il est curieux, et abonde avec précision l’assise rythmique impeccable d’Olivier Brousse (qui prend visiblement beaucoup de plaisir), digne d’un Paganotti aux grandes heures de Magma. Ce n’est pas un hasard si certains passages m’évoquent le crescendo du Kontarkos de ce groupe mythique en 1974 (sur disque et lors de concerts mémorables que j’ai organisés pour eux au Théâtre du Taur, dans le Grand Théâtre de la Cité de Carcassonne). Sans qu’on sache si Vander et ses musiciens étaient inspirés par ceux de King Crimson, ou le contraire, Lark’s tongues in aspic (on dirait une recette de chef étoilé), Red, et surtout Starless, sensiblement de la même époque, sont aussi des morceaux d’anthologies ; puissants et envoutants tant au niveau rythmique que mélodique.
Egalement au programme, quelque peu hétéroclite, Gong, Frank Zappa, Mahavishnu Orchestra de John Mc Laughlin, Mallard (Cap’tain BeefHeart’s Band), Can, Larry Coryell. Ces compositions qui ne sacrifiaient pas à l’air du temps n’ont donc pas ou peu vieilli ; elles sont même furieusement actuelles pour ceux qui aiment l’excitation physique et le lyrisme musical propres au vrai Rock.
Les vidéos psychédéliques de circonstance d’Arnaud Courcelle, habiles, avec des images d’époque, collent parfaitement aux ambiances, et avec les lumières et le son de qualité complètent bien le spectacle.
En première partie, LOUD CLOUD, Lone Kent (vocals, guitars, harmonica) et Seb Gisbert (percussions, vocals, harmonica) : un Post Rock minimaliste oscillant entre harmonies bluesy, mélodies pop entêtantes et riffs rock, efficacement servis par la voix au timbre chaud du guitariste, ainsi que par les percussions primitives dont le cajón en lieu et place de la grosse caisse. On se souvient avec sympathie du Guitarkestra, de cette formation composée de huit guitares électriques, d’un batteur et d’un bassiste, aux improvisations collective et individuelles, une expérience sonore inédite en France, dirigée par le guitariste.
#XP#RI#NC#, un groupe à suivre, qui réunit plusieurs générations dans la passion de la bonne musique et du travail bien fait, tout à fait dans l’esprit de Music’Halle !
« C’est la musique au printemps des guitares, c’est l’électricité qui gratte et qui se marre » comme chantait Léo Ferré !
* Dans Mes Poètes du Rock des Baladins d’Icarie (le 8 août au Festival de Fleurance dans le Gers et le 30 août au Café Plùm de Lautrec dans le Tarn), Serge Faubert rend d’ailleurs un hommage sidérant au Vodoo Child, l’Enfant Vaudou, mais aussi à Pete Townshend des Who, Neil Young etc.
Elrik Fabre-Maigné
Chevalier des Arts et Lettres
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