Gwenaël Morin propose au théâtre Sorano quatre pièces de Molière inspirées de la mise en scène d’Antoine Vitez en 1978, avec 10 jeunes comédiens, qui à leur tour transmettront leur « Tartuffe » à une compagnie éphémère de Toulouse.
Quand la troupe d’acteurs de Gwenaël Morin s’installe dans un théâtre ou quelque lieu public, ça se voit, ça se reconnait : banderoles dessinées au gros feutre noir sur la façade extérieure, mots écrits à la main et scotchés dans le hall d’accueil, textes des pièces imprimés sur un format journal et empilés sur des palettes… Une esthétique de l’urgence et de théâtre brut, typique des mises en scène de Gwenaël Morin quelles que soient les pièces représentées : celles de Shakespeare comme de Fassbinder. Installé à Lyon, où il dirige le théâtre du Point du Jour depuis 2013, le metteur en scène poursuit l’aventure du Théâtre Permanent des Laboratoires d’Aubervilliers, à savoir : répéter (tous les jours), jouer (tous les soirs), transmettre (en continu).
Pendant deux semaines, dix jeunes comédiens issus du conservatoire régional de Lyon, investissent le théâtre Sorano pour y donner quatre pièces de Molière sous la direction de Gwenaël Morin, telles que Antoine Vitez les avait montées en 1978 au festival d’Avignon : avec une même troupe d’acteurs et un décor unique. Ils s’appellent Pierre Laloge, Chloé Giraud, Michaël Comte, Marion Couzinié, entre autres et sont les héritiers de Dominique Valadié, Didier Sandre, Nada Strancar, Richard Fontana… Chaque soir, du mardi au vendredi, dans une distribution tirée au sort, ces dix filles et garçons jouent « L’Ecole des femmes », « Tartuffe », « Dom Juan », « Le Misanthrope ». Le samedi après-midi, ils enchaînent la tétralogie jusqu’au soir. Ainsi « Dom Juan » n’a pour seul décor que des chaises en plastique et une figure en carton du David de Michel-Ange. Les costumes et accessoires se résument à quelques grossières épées de bois, deux étoles, deux perruques, un gigantesque chapeau noir comme sorti tout droit du « Médecin malgré lui »… Et aucun effet de lumière ; la salle étant éclairée tout autant que le plateau, permettant aux spectateurs de se voir, et en l’occurrence, de se voir rire. Ainsi dépouillé de tout artifice scénographique, le théâtre de Gwenaël Morin privilégie le jeu d’acteur. Un jeu vif, effréné, inventif, joyeux qui renoue avec l’enfance et s’approprie tout l’espace (du plateau aux sièges des spectateurs, en passant par les travées) multipliant ainsi les possibilités d’interactions avec le public. Les comédiens empoignent leurs rôles dont la distribution aléatoire (et donc équitable) se joue des sexes et des corps, avec une jubilation communicative. Le Sganarelle de « Dom Juan » est ainsi interprété par une comédienne formidable, Marion Couzinié dont le débit effréné reste toujours audible. Elvire est jouée par un jeune homme barbu en escarpins à talons. Quant au couple de paysans Charlotte et Pierrot, ils se voient incarnés l’une par un acteur et l’autre par Chloé Giraud, petite comédienne à l’abattage époustouflant ! Alors oui, c’est hâtif, potache, pas toujours subtil dans les intentions et l’interprétation : les allusions sexuelles y sont appuyées, les perruques se font la malle et sont réajustées par un souffleur présent sur le plateau, la prononciation des diérèses est volontairement exagérée, le texte est parfois oublié, la nudité banalisée. Mais le dépouillement de la forme – au sens propre comme au figuré – fait éclater l’audace du propos, la force vitale et la générosité de ce que l’on a coutume de nommer « spectacle vivant », rappelons-le. Bref du théâtre à l’état pur ! Le théâtre de Gwenaël Morin est à l’image de ce personnage du « pauvre » intègre que Dom Juan ne parvient pas à pervertir, interprété par un acteur nu comme un ver : fragile, honnête, humain. Encore une fois, les acteurs de Gwenaël Morin auront réussi leur pari : réintroduire le théâtre dans la vie, déployer une convivialité entre les artistes et le public, au demeurant très varié. Leur générosité prend aussi la forme d’un héritage : après leur départ, ils auront transmis leur mise en scène de « Tartuffe » à une troupe de 11 comédiens toulousains qui se feront ainsi le relais de ce théâtre pour tous. Ce projet dont on pourra voir la restitution samedi 28 janvier dans ce même théâtre Sorano, s’intitule « Les Molière de tout le monde ». Jamais titre n’aura porté aussi bien son nom.
Une chronique de Sarah Authesserre pour Radio-Radio
« Les Molière de Vitez » du 10 au 21 janvier et « Tartuffe ou L’Imposteur » samedi 28 janvier, théâtre Sorano, 35, allées Jules-Guesde, Toulouse, 05 32 09 32 35, www.theatre-sorano.fr
photos : Pierre Grosbois