Les Passions ont 30 ans !
L’année 2016 sera celle du trentième anniversaire des Passions-Orchestre Baroque de Montauban. Le bel âge pour cet ensemble qui aura pris en trois décennies toute sa place sur la scène musicale régionale et nationale. Avant de célébrer l’événement comme il se doit dès cet été et au début de l’automne, retour sur 30 ans de Passions avec Jean-Marc Andrieu, fondateur et directeur artistique de l’orchestre.
L’orchestre des Passions est né en 1986… à Toulouse. Pourquoi avoir voulu fonder cet ensemble et dans quelles conditions sa création a-t-elle eu lieu ?
J’ai d’abord créé un ensemble vocal avec des amis. J’étudiais la direction de chœur et j’avais envie de faire du chant choral avec un groupe de camarades. En 1985, l’année qui a suivi la création de cette formation, nous avons décidé de monter les Messes brèves de Bach. Une folie ! Pour la réaliser, il a fallu adjoindre des instruments à notre petite bande de chanteurs. J’ai donc trouvé des copains dans les couloirs du Conservatoire de Toulouse et j’ai constitué un orchestre. En septembre 1986, le premier concert a été donné avec ces Messes brèves de Bach et ça a été le début d’une aventure… instrumentale, cette fois-ci. Le chœur a continué ainsi quelques années, toujours sur le mode amical. Mais petit à petit l’orchestre a pris toute sa place, les musiciens ont voulu approfondir le travail et ce qui devait être ponctuel est devenu régulier.
Donc, au départ, il n’y avait aucun objectif précis si ce n’est de faire de la musique entre amis. Ça ne devait pas forcément s’inscrire dans la durée.
Aucune ambition professionnelle à vrai dire. Cependant, il faut se rappeler qu’à cette période, entre le milieu et la fin des années 1980, il y avait un manque dans le grand Sud Ouest. Il n’y avait pas de formations de ce genre, nous étions les seuls dans le domaine baroque. L’Orchestre était très demandé, à la fois par les organisateurs de concerts et par les ensembles vocaux de la région, de Bordeaux à Montpellier en passant par Toulouse, et parfois à Paris. Nous avons donc beaucoup tourné les premières années, ce qui nous a permis de faire nos armes.
Vous aviez déjà un répertoire de base ou celui-ci s’est constitué au fil du temps ?
Pas vraiment. Nous montions des programmes en fonction de nos envies. Après les Messes brèves, il y a eu des Suites de Purcell, puis nous avons joué beaucoup de pièces de Bach, de musiques allemandes, italiennes, surtout de Vivaldi, ce qu’on pourrait appeler plus généralement le baroque tardif. Je précise que pendant cinq ans, jusqu’en 1990, nous jouions sur instruments modernes. Ce n’est qu’en 1990/1991 que nous sommes passés aux instruments d’époque, au moment où nous avons décidé d’enregistrer notre premier disque (paru en 1993) sur lequel on trouvait des œuvres de Purcell, Vivaldi, Leclair et Telemann.
Le « déménagement » de l’orchestre à Montauban, où vous êtes encore aujourd’hui en résidence, survient en quelle année et pour quelle raison ?
C’est en 1991 que nous nous installons à Montauban pour une raison très simple : je venais d’y être nommé directeur du Conservatoire. J’ai expliqué au maire que j’avais un orchestre et que je cherchais un lieu d’accueil, des locaux. Il m’a proposé immédiatement de nous accueillir en résidence à Montauban. Au début, c’était avant tout un soutien logistique. Puis la ville nous a rapidement octroyé une subvention qui nous a donné les moyens de commencer la structuration de l’orchestre.
Ce nom, Les Passions, vous le lui avez donné dès le début ? Quelle est son origine ?
Ce n’est qu’en 2003 que ce qui fut l’Orchestre Baroque de Toulouse puis l’Orchestre Baroque de Montauban (OBM) est devenu Les Passions-Orchestre Baroque de Montauban. Lorsque nous avons été missionnés par le ministère de la Culture, la décision de changer de nom a été prise. Notre ambition de rayonnement national et international exigeait un nom plus porteur, plus original. J’ai proposé Les Passions pour trois raisons. D’abord il y a un rapport avec Les Passions de Bach et cette forme musicale, bien sûr. Nous avions donné en concert la Saint-Matthieu en 2000 et ça avait été un des grands moments de l’orchestre. Ensuite, c’est une référence au traité des Passions de l’âme de Descartes publié en 1650, une œuvre qui a conditionné toute la composition musicale pendant la seconde moitié du XVIIè siècle et une bonne partie du XVIIIè. La troisième raison, plus triviale, est liée à la connotation moderne du mot et au fait que nous sommes « vraiment » passionnés par la musique que nous jouons.
Vous venez d’évoquer un des grands moments de l’orchestre, je suppose qu’il y en a eu beaucoup d’autres. Quelles sont les grandes dates, les étapes, les rendez-vous qui ont marqué ces 30 ans d’existence des Passions ?
Je citerai en premier lieu notre saison toulousaine à la Chapelle Sainte-Anne. Elle a duré une dizaine d’années et nous a permis de fidéliser un public qui nous suit toujours. Nous donnions cinq ou six concerts par saison dans une Chapelle pleine à craquer. Malheureusement, nous n’avons pas pu poursuivre cette aventure parce que ce n’est plus le rôle d’un orchestre soutenu par le ministère de la Culture d’organiser des concerts. Les dix années de stages de chant choral à Monflanquin ont également été très importantes. Je considère que notre mission est, entre autres, de promouvoir la musique et les musiciens professionnels auprès de la pratique amateur. Dans le même registre, on peut rappeler les rendez-vous avec Alix Bourbon à la Halle aux Grains et la reprise de la Passion selon Saint Matthieu, du Messie de Haendel, des grandes œuvres de ce répertoire de musique sacrée dont la Passion selon Saint Jean que nous allons d’ailleurs bientôt redonner. Il y a eu aussi les grands festivals qui nous ont reçus comme Pontoise ou la Chaise-Dieu, des tournées en Amérique du Sud et en Espagne, sans oublier une invitation au Palais Farnèse à Rome.
Il y a eu également des collaborations qui ont compté…
Ah oui ! La plus marquante, c’est celle que nous avons de longue date avec Les Éléments, le chœur fondé et dirigé par Joël Suhubiette que je ne remercierai jamais assez pour sa confiance et le travail que nous avons fait ensemble. Nous sommes liés par une amitié ancienne, depuis que nous chantions tous les deux sur les bancs du chœur d’Alix Bourbon. Je suis très heureux que nos deux formations soient si complémentaires et qu’elles concourent à montrer la vitalité et la qualité de l’activité musicale dans notre région.
Y a-t-il des souvenirs de concert qui vous ont profondément touché ? Des moments de partage, d’émotion avec les musiciens et le public qui restent gravés dans votre mémoire ?
Pour moi, la plus grande émotion, c’est La Passion selon Saint Matthieu en l’an 2000 à la Halle aux Grains. Ça reste un sommet inégalé à ce jour. Plus anciennement, un autre moment fort en 1993, Les Vêpres de Monteverdi que nous avions données à l’église Saint-Jacques de Montauban ainsi qu’à l’église de Muret et au Festival du Périgord. Je me rappelle aussi avoir été impressionné par un interminable silence à la fin du Requiem de Jean Gilles dans l’immense cathédrale d’Utrecht, aux Pays-Bas. Des concerts inoubliables, et je pense que c’est le cas pour tous ceux qui y ont assisté.
Lorsqu’on consulte le site web des Passions, on peut y lire qu’il s’agit d’un « orchestre à géométrie variable ». Pouvez-vous expliquer pour les non-initiés ce que ça veut dire ?
Suivant les concerts, la salle, le répertoire… et évidemment suivant le budget, nous pouvons nous retrouver de trois à quarante musiciens. Nous proposons donc des formules à trois ou quatre musiciens, ou à huit, douze, vingt… jusqu’à quarante.
Puisqu’on en parle, comment a évolué l’effectif de l’orchestre depuis sa création ?
Les premiers temps, le recrutement était local et même amical. Je l’ai étendu au niveau national au fur et à mesure de la progression et de la structuration de l’orchestre. C’est surtout lorsque nous avons été missionnés par la DRAC à partir de 2003 que nous avons intégré des musiciens originaires d’autres régions. Je fais souvent cette comparaison avec le Top 14 de rugby, les joueurs du Stade Toulousain ne viennent pas tous de Toulouse. C’est la même chose aux Passions, les membres de l’ensemble viennent de Paris, Nice, Marseille, Bordeaux, Nantes… et de Toulouse ! Depuis quelques années, le noyau de l’orchestre est constitué d’une douzaine de musiciens réguliers et fidèles.
Et le répertoire des Passions, comment a-t-il évolué avec le temps ? On parlait de « baroque tardif » au départ mais s’est-il étendu depuis ?
Dès lors que nous avons eu cette politique ambitieuse de rayonnement de l’orchestre au niveau national et international, nous avons eu le besoin d’être reconnus pour un répertoire spécifique, d’être identifiés comme spécialistes. Le choix s’est porté sur la musique française de la fin du XVIIè siècle et du début du XVIIIè, autour de 1700, notamment sur celle de Marc-Antoine Charpentier et plus encore sur celle de Jean Gilles. J’ai consacré beaucoup de recherches à cette période, sur l’interprétation et la façon d’orchestrer cette musique.
Ce travail de recherche que vous réalisez pour faire revivre des œuvres et des compositeurs plus ou moins tombés dans l’oubli, parfois même en retrouvant et en interprétant pour la première fois des inédits, est-ce aujourd’hui une des missions principales de l’orchestre ?
Absolument. Je considère que c’est presque 50% de notre rôle, une sorte de vocation et, reprenons le terme, une passion. Je suis toujours très ému quand je vois dans les bibliothèques des partitions qui attendent qu’on les sorte de l’oubli. Il faut le faire vivre, ce patrimoine ! Et ne pas oublier que la musique n’est vivante que lorsqu’on la joue. Donc ce qui m’intéresse, ce sont ces partitions oubliées que je vais chercher à la Bibliothèque de Toulouse, à la Bibliothèque Nationale à Paris ou dans le Fonds des ducs d’Aiguillon à Agen. Il a beaucoup attiré mon attention et nous avons redonné vie et interprété plusieurs pièces qui en sont tirées.
Il y a donc eu des œuvres de Jean Gilles, il y a maintenant celles d’Antoine-Esprit Blanchard. Pourquoi ces deux compositeurs ?
Jean Gilles, parce qu’il est mort à Toulouse en 1705. C’est un emblème de ce qu’on a envie de défendre, c’est-à-dire le patrimoine de la musique française, plus précisément celle d’origine méridionale. Gilles est né à Tarascon en Provence, il a exercé toute sa vie dans le sud de la France. C’est l’école d’Aix-en-Provence. Il a été ensuite à Agde avant d’achever sa carrière comme maître de chapelle de la Cathédrale Saint-Étienne à Toulouse. Une carrière qui aurait dû s’achever à Versailles si sa vie avait été plus longue. Antoine-Esprit Blanchard fait partie de cette même école aixoise. Il est né à côté d’Avignon et a commencé à Aix-en-Provence. Comme il a vécu beaucoup plus longtemps que Jean Gilles, son talent l’a amené à Versailles. Il mérite d’être davantage connu et je ferai tout pour qu’il le soit. Sa musique est magnifique, je veux la donner à entendre et la faire partager au public.
En dehors de Gilles et Blanchard, pensez-vous faire le même travail de recherche et de « recréation » avec d’autres compositeurs ? Il y a des travaux en cours ?
Je voudrais approfondir ce que nous avons réalisé pour Antoine-Esprit Blanchard avec un deuxième tome de ses œuvres. Il a composé quarante-trois grands motets et nous n’en avons pour l’instant repris que trois. Ensuite, concernant notre fameuse « musique française », il y a le projet ancien de monter un opéra de Mondonville, une œuvre en occitan : Daphnis et Alcimadure. C’est une entreprise que j’espère arriver à mener à bien un jour. Nous avons besoin du soutien d’une maison d’opéra mais, aujourd’hui, il est encore difficile de mettre le pied dans ce type d’établissements qui sont un peu des tours d’ivoire. Je ne désespère pas d’y parvenir.
Trente ans de Passions… comment allez-vous célébrer l’événement et fêter ça ?
Ah, nous avons notre maîtresse de cérémonie en la personne de Catherine Kauffmann-Saint-Martin, notre fidèle et très efficace attachée de presse, à qui nous devons l’idée d’organiser un colloque universitaire sur la musique baroque méridionale, celle du Sud Ouest en particulier. Il aura lieu les 6 et 7 octobre prochains à l’université Toulouse Jean-Jaurès et réunira les plus grands spécialistes de la musique baroque française. Ils nous feront découvrir leurs dernières recherches en matière de pratique musicale, qu’elle soit privée ou religieuse, qu’elle relève de la scène ou de l’opéra, et nous parleront de tout ce qui concerne la circulation des compositeurs, des musiciens et des œuvres dans ce qu’on peut appeler le Languedoc. Le célèbre musicologue Gilles Cantagrel a accepté d’être président d’honneur de l’ensemble des manifestations pour l’anniversaire de ces « 30 ans de Passions ! ».
Il y aura aussi des expositions et des conférences à Toulouse et à Montauban.
Oui, entre autres à Toulouse à la Bibliothèque du Patrimoine. Je souhaite montrer dans ces expositions des manuscrits, des partitions, des instruments anciens, de l’iconographie et des tableaux d’époque pour que le public puisse voir des exemples de ce qu’était la pratique musicale à la période baroque.
Et bien sûr, il y aura des concerts, à commencer par la participation des Passions au prestigieux Festival Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées où vous vous produirez le 25 juillet.
Nous interpréterons lors de ce concert trois Motets à grand chœur d’Antoine-Esprit Blanchard avec le chœur de chambre Les Éléments. Au programme, il y aura In exitu Israël et deux inédits que nous créerons à cette occasion : le Magnificat et le De profundis qui n’ont, à ma connaissance, jamais été joués. Ce concert sera diffusé en direct sur France Musique. Son enregistrement fera l’objet d’un CD dont le montage et le mastering seront faits par Radio France. En octobre, le 5 à Montauban et le 6 à Toulouse, nous donnerons le Requiem de Jean Gilles et le Magnificat et In exitu Israël de Blanchard, toujours en compagnie de nos amis des Éléments. Il y aura aussi un concert consacré à des pièces de Valette de Montigny, un compositeur méridional qui a exercé ses talents à Toulouse où il fut maître de chapelle à Saint-Sernin. On lui doit de petits motets avec un ou deux chanteurs solistes et une basse continue. Une autre belle musique que j’ai envie de faire découvrir lors de concerts qui sont prévus à Toulouse et Montauban pour les 30 ans des Passions.
Quand vous vous retournez sur ces 30 ans d’existence des Passions, quels sont les sentiments qui dominent ?
La fierté et le bonheur. Nous avons donné plus de 600 concerts, ce n’est pas rien. Je suis fier aussi que l’orchestre ait tenu le cap contre vents et marées. J’ajouterai à ces deux sentiments la reconnaissance envers toutes les personnes qui nous ont aidés, suivis, soutenus tout au long de cette aventure. Nous avons eu la chance d’avoir Catherine Kauffmann-Saint-Martin, Pierre-Bernard Kempf, notre administrateur, et Aurélie Malka, notre chargée de production. Je n’oublie pas les journalistes de la presse, de la radio et de la télévision à Toulouse, à Montauban et ailleurs, qui nous apprécient et nous soutiennent depuis longtemps. Il y a avec beaucoup d’entre eux des liens de confiance et d’amitié qui sont inestimables pour nous. Donc fierté, bonheur, reconnaissance et gratitude.
Après avoir regardé en arrière, regardons devant. Comment envisagez-vous l’avenir ?
Me concernant, je vois arriver un nouveau changement de dizaine au compteur. Je me dis que j’ai quand même encore au moins dix ans à faire de la musique. J’ai de nombreux projets dont deux me tiennent particulièrement à cœur : Daphnis et Alcimadure, l’opéra de Mondonville que j’ai déjà évoqué, et la Messe en Si de Jean-Sébastien Bach. C’est la seule des grandes œuvres de Bach que je n’ai jamais montée et ça fait vraiment partie de mes rêves.
Manifestations organisées autour du Baroque méridional à l’occasion des 30 ans des Passions :
Trois grands rendez-vous :
- le 25 juillet à Montpellier : 3 Motets à grand chœur d’Antoine-Esprit Blanchard (2 inédits) – Création diffusée en direct sur France Musique.
- Le 5 octobre à Montauban et le 6 à Toulouse pour l’ouverture du Festival Toulouse les Orgues, en partenariat avec Odyssud : Requiem de Jean Gilles et Magnificat et In exitu Israël de Blanchard avec Les Éléments, Anne Magouët, Cécile Dibon, François-Nicolas Geslot, Bruno Boterf, Alain Buet, direction Jean-Marc Andrieu.
– Plusieurs concerts « miniatures » d’œuvres de Valette de Montigny (Montauban – Toulouse)
– Un colloque universitaire les 6 et 7 octobre à l’université Jean-Jaurès de Toulouse
– Des expositions (Montauban – Toulouse)
– Des conférences (Montpellier – Toulouse)
…. et 1 CD d’Antoine-Esprit Blanchard (enregistré au Festival Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées – Label Ligia)
Site web des Passions de Montauban : http://www.les-passions.fr
vidéos Vivaldi et Gilles © Nicolas Kauffmann
Jean-Marc Andrieu et Joël Suhubiette / Festival d’Utrecht © Joyce Vanderfeesten
Les Passions / Cathédrale Saint-Etienne © Jean-Jacques Ader